Après le cinéma et le théâtre, cette enfant de la télé passe – enfin ! – à l’écriture et à la réalisation d’une série. La première mais certainement pas la dernière. Zabou Breitman parle de sa télé et de sa série sur le quotidien de cinq femmes à Paris. La diffusion de Paris etc. commence ce 27 novembre sur Canal+.
Quels sont vos premiers souvenirs de télé ?
Avec mon père et ma mère sur Thierry la Fronde [Jean-Claude Deret était le créateur de la série et Céline Leger jouait Isabelle, l’héroïne de la série]. Et c’est très fort car je suis à la fois dedans et dehors. Je vais sur le plateau, je discute avec mon père à propos des caméras, du scénario particulier d’une série. J’avais 4 ans quand il m’expliquait comment il écrivait ces épisodes à la fois fermés et ouverts pour laisser le spectateur avec une question et une réponse.
Quelle série vous a marquée cette année ?
The Handmaid’s Tale. Au niveau de la caméra, c’est dément. Je me suis renseigné sur une des réalisatrices, Kate Dennis. Elle disait qu’elle écrivait ce qu’elle voyait. Je ne suis donc pas la seule à travailler comme ça § En l’écrivant, je vois la scène d’abord. Et je ne filme pas ce que j’écris mais ce que je vois. La caméra n’est pas là pour filmer le scénario. Il faut qu’elle soit libre, qu’elle bouge. Il faut filmer ce qui nous inspire. Après quand j’entends : « Oui mais vous ne montrez pas votre personnage de face ». Je m’en fous. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas de grue que vous ne pouvez pas faire de plans de fou. Dans une scène, si vous n’avez pas de décor, vous filmez l’acteur comme ça [elle fait un cadre avec ses doigts au plus près de son visage]. C’est un plan magnifique. Je trouve d’ailleurs que les gros plans ne sont jamais assez gros et les plans larges jamais assez larges. C’est du cinéma. Enfin de la télé, mais c’est pareil. Ce n’est pas vrai que les gens de face en plan moyen sont intéressants. (Elle rit.) Et dire que je me trouve encore trop sage.
Quels réalisateurs vous ont incitée à ne pas être sage ?
Les frères Coen pour leur diversité, comme Kubrick. Selon le film, ils vont faire ça ou ça. Hitchcock n’était pas sage. Sergueï Paradjanov, Nikita Mikhalkov. Certains films coréens sont intéressants. Ils mettent la caméra dans des endroits improbables. Pourquoi une dame avec son caddie ne pourrait-elle pas être filmée du point de vue des courgettes ? A un moment donné, il faut y penser. Il faut s’amuser. Vous avez un cadre et vous faites ce que vous voulez. (Rires)
Aujourd’hui, que regardez-vous à la télé ?
Saturday Night Live… Des séries… Des émissions de téléréalité parce qu’elles me fascinent. J’essaye de comprendre pourquoi une chaîne envoie ça au spectateur, qui regarde et quel bénéficie il en retire. Mais je ne regarde pas trop longtemps car il y a une obscénité, quelque chose qui détruit celui qui regarde. Vous montrez des quidams qui n’ont pas de talent, qui ont une enveloppe et qui sont pris pour leur bêtise alors que tous ne sont pas forcément bêtes. Mais ils sont poussés à la bêtise. Et ils sont contents. C’est de la misanthropie totale. C’est cynique.
Connaissez-vous la série UnREAL sur les coulisses d’une émission de réalité ? Elle montre une nature humaine vraiment effrayante et pourtant si réelle.
Non. UnREAL ? Je voulais écrire ça. C’est un thème fascinant. J’ai écrit un synopsis sur la télé, sur un homme qui a une ascension vertigineuse, un monstre qui détruit tout le monde. Un winner. Tout le monde m’a dit non. Pourquoi la télé ne ferait pas ça ? Il n’y a pas mieux que l’autocritique. C’est la grande classe. UnREAL, voilà. Mais en France, ça n’arrivera jamais. Cela me rend malade. (Elle boit une gorgée de thé) Les séries, c’est super intéressant. J’ai envie d’en faire plein.
Et pourtant vous arrivez sur le tard à l’écriture et à la réalisation de série.
Parce qu’il faut se séparer, il faut avoir le droit, il faut s’autoriser. J’ai commencé à écrire il y a deux ans. Mon papa était déjà très très vieux. Mais je n’osais pas, tout simplement, à me comparer. En vieillissant, je me suis autorisée petit à petit. C’est ça la vraie raison, profonde. Mais ce n’était pas sciemment. Rien ne me venait à l’esprit.
Comment est arrivée Paris etc. ?
J’étais en train d’écrire une série sur cinq jeunes quand j’ai été approchée pour celle-ci sur cinq femmes. Et je me suis fait un croche-patte toute seule car j’ai mis ce que j’avais écrit pour l’autre série, c’est-à-dire les rencontres fortuites. Paris est fait de fortuité. Le monde est tout petit et c’est assez beau. C’était un vrai puzzle dans l’écriture et le tournage. Mais je voulais aussi qu’il n’y ait pas d’équilibre quant aux personnages. C’est beau quand un personnage n’existe quasiment pas et puis tout à coup, il est totalement présent. Mais c’est la ligne de progression de chacune de ces femmes qui est intéressante.
Pourquoi l’avoir appelée Paris etc. et non Femmes etc. ?
Pour éviter le « Regardez ! C’est sur les femmes ! ». Vous pensez : « Tiens, ça va parler de Paris » et puis vous réalisez que c’est sur des femmes. Mais si c’était l’histoire de cinq hommes, je l’aurais aussi appelée Paris etc..
Article paru dans Studio Ciné Live – N°94 – Novembre 2017
Crédit photos : © Les Films du Kiosque/Canal+
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