Bill Nighy est à l’affiche de Vivre d’Oliver Hermanus, une relecture émouvante par l’écrivain Kazuo Ishiguro d’Ikiru, le film d’Akira Kurosawa de 1952, transposé à Londres dans les années 1950. Il interprète le personnage principal, M. Williams, un homme profondément conformiste et défini par son chagrin. Voici comment ce dernier a été créé. Vivre sort en salles ce 28 décembre.
Le personnage de M. Williams
Dans Vivre, M. Williams est fonctionnaire. Il travaille au County Hall. “Il est employé pour œuvrer dans une institution qui est conçue, plus ou moins, pour empêcher les choses de se produire,” remarque Bill Nighy qui l’interprète. “C’est une institution consacrée à la procrastination. Passer sa vie à essayer d’empêcher les choses d’arriver doit être assez éreintant, je pense.” Chaque matin, M. Williams prend le train pour se rendre au travail, à Londres. Il brasse quelques papiers à son bureau, puis rentre chez lui pour un dîner le plus souvent silencieux avec son fils et sa belle-fille.
“J’ai abordé le rôle en supposant que c’était quelqu’un d’institutionnalisé dans le chagrin,” reprend le comédien. “La perte de sa femme, très tôt, a arrêté quelque chose en lui. Vous avez quelqu’un qui, quoi qu’il fasse d’autre, doit faire face à ça. Et la nature répétitive de sa vie, et le fait qu’il essaie de faire tout de la même façon et de manière impeccable chaque jour, c’est autant pour s’enterrer et éviter la douleur, la perte et le chagrin que pour autre chose. Il n’a absolument jamais dévié de son train-train quotidien, ce qu’un diagnostic médical ébranle son univers.”
“Vivre parle de notre manière d’aborder la mort et de profiter au mieux du temps qui nous est donné,” continue-t-il. “C’est l’occasion de voir comment quelqu’un qui a une vision assez étriquée de la vie réagit quand il est confronté à sa propre disparition. En gros, ce qu’il découvre, c’est que ce qui donne du sens à la vie, c’est de faire quelque chose pour les autres.”
Le casting pour M. Williams
Le scénariste Kazuo Ishiguro, aux côtés du producteur Stephen Woolley et du réalisateur Oliver Hermanus, a développé Vivre avec Bill Nighy en tête. “Bill Nighy a fait partie intégrante de ce projet,” explique-t-il. “Il possède ce sens de l’humour si britannique, ce sens de l’ironie, un stoïcisme et un air mélancolique à fleur de peau. A mes yeux, il incarne parfaitement ces hommes, tout gris, qui attendent leur train de banlieue sur un quai de gare.”
“Bill Nighy est merveilleux,” souligne Oliver Hermanus. “C’est un privilège et une expérience unique dans sa vie de travailler avec un acteur qui cerne l’art dramatique avec une telle finesse. Bill est un perfectionniste. Il faut le voir travailler d’arrache-pied pour saisir cette dimension véridique à chaque instant devant la caméra, mais également en amont du tournage. Les gens sont extrêmement fascinés par lui, car il est réellement sympathique et facile d’accès. Cela m’a rendu la tâche aisée car c’est un maître en matière de jeu.”
Le costume de M. Williams
Pour la cheffe costumière Sandy Powell, le style vestimentaire de M. Williams n’a pas évolué depuis qu’il est devenu veuf. “C’est comme si son esprit l’avait quitté à la mort de sa femme,” détaille-t-elle. “Il porte le même costume tous les jours de sa vie professionnelle, et sans doute aussi le week-end. Bill ne voulait même pas changer de cravate. A Brighton, quand il se saoule, je pensais qu’il aller desserrer un petit peu sa cravate. Mais Bill a insisté que non, pas du tout, même éméché, il va rester tout raide dans son costume.” Sandy Powell a trouvé un costume d’époque qui tombait à la perfection sur l’acteur et qui a contribué à définir le style de M. Williams.
L’acteur considère la cheffe costumière comme un génie et une légende. “D’habitude, je vais aux essayages en disant ‘bleu marine’ ou ‘je ne porte pas ces pantalons’,” souligne l’acteur. “J’aime me sentir à l’aise. Mais quand j’ai entendu parler de Sandy Powell, j’ai simplement dit : ‘Que voulez-vous que je porte ?’.” Tous deux ont cependant eu une divergence d’opinion à un moment donné. Sandy Powell a trouvé un costume vintage. “Il était d’époque et magnifique,” se souvient Bill Nighy. “Je voulais que les épaules soient très douces et assez étroites car je pense toujours que j’ai un cou maigre et une petite tête. Mais elle a dit : ‘Non, tout le monde en 1953 avait ces grosses épaules.’ Si c’était n’importe quelle autre costumière, j’aurais probablement lutté avec ça et essayé d’argumenter. Mais quand Sandy Powell le dit, vous répondez : ‘Oui, Mme Powell’.”
La coiffure de M. Williams
La chef-maquilleuse et coiffeuse, Nadia Stacey a mené des recherches sur la coiffure des hommes de l’époque. Dans les années 1950, ils sont rasés de près et portent une coiffure courte. “Personne n’aurait porté les cheveux plus longs,” précise-t-elle. “Il y a vraiment un style très identifiable pour les années 1950, il s’agit toujours de silhouettes et de formes et une fois qu’on a ça, on peut se représenter cette époque.” Cependant, il s’agit là d’une indication d’ensemble. Pour Nadia Stacey, les hommes plus âgés comme M. Williams, qui plus est travaillant au County Hall, auraient sans doute eu la même coiffure toute leur vie, soit davantage un style des années 1930 que des années 1950. “Vivre est donc historiquement exact, mais évoque plusieurs époques,” conclut-elle.
La maison de M. Williams
La vie entière de M. Williams consiste à se rendre à son travail, puis à en revenir. Son domicile devait donner l’impression de refléter cette tâche routinière. “Je pensais que sa maison ne devait pas être le miroir de sa personnalité, puisqu’il n’en a pas vraiment,” confie la cheffe décoratrice Helen Scott. “Je voulais qu’elle soit un peu triste et vieillotte, et, plus important encore, figée dans l’époque à laquelle sa femme est morte, en 1930. Rien n’a vraiment évolué depuis. Ce sont les années d’après-guerre, juste après le Festival of Britain [une exposition d’art contemporain de 1951] et en ce sens, c’est un peu triste que Williams n’arrive pas à se projeter dans le futur. C’est un homme né à l’époque édouardienne. Il est très rigide et conformiste, engoncé dans les convenances et il ne sait pas vraiment comment casser cette image. Ce n’est tout simplement pas son genre.”
“Je suis admiratif de tout ce qu’Helen Scott a accompli,” admet Bill Nighy. “Les décors sont magnifiques et ils ne se contentent pas de reproduire fidèlement cette période. Il y a une touche particulière – une touche particulière nécessaire à Vivre. On avait besoin d’un style que les gens n’avaient pas encore vu, même s’il s’agit de 1953.”
La préparation de Bill Nighy
L’acteur a développé un processus précis quand il s’agit de se préparer pour une scène importante. “J’aime être prêt,” déclare-t-il. “Je serais prêt pour cette scène des semaines avant le début du tournage. J’aurais annoté le texte. J’aurais mis l’accent sur les mots sur lesquels je vais insister. S’il y a un accent, une voix en jeu, je pourrais l’enregistrer sur mon téléphone juste pour être sûr que le ton est bon. Mais je l’étudierai minutieusement et je l’apprendrai à l’endroit et à l’envers jusqu’à pouvoir dire ces répliques comme si elles ne m’étaient jamais venues à l’esprit auparavant et que je ne les avais jamais prononcées. C’est le travail de l’acteur, c’est tout.”
“L’idée que la répétition est l’ennemie de la spontanéité n’est pas vraie,” remarque Bill Nighy. “La répétition est l’amie de la soi-disant spontanéité parce que c’est le travail. Le travail est de le dire encore et encore et encore jusqu’à ce que vous puissiez donner l’impression que vous ne l’avez jamais dit avant. Mais cela ne veut pas dire que je vais être emprisonné dans ces intonations ou que je vais réfléchir d’une certaine manière à chaque fois, pas du tout. Cela signifie simplement que je suis prêt et ouvert à toute éventualité.”
Dans Vivre, M. Williams pousse la chansonnette
Dans une scène, M. Williams chante la balade écossaise O’ Rowan Tree. Chanter n’est pas quelque chose que Bill Nighy fait souvent. “On m’a déjà demandé de le faire, mais pas dans ce contexte,”avoue-t-il. “Il y a toujours un jour dans le planning où vous vous dites : ‘Vous plaisantez ? Je ne peux probablement, presque certainement pas faire ça.’ Et puis vous espérez juste que vous vous surprendrez comme vous l’avez fait auparavant. C’est comme quand vous êtes à l’enterrement d’un être cher. Vous gardez le contrôle jusqu’à ce qu’on vous demande de chanter. J’arrive à sortir les premières paroles, mais après ? Rien. Je ne pense pas que ce soit inhabituel. Il y a quelque chose dans la musique. Vous ne pouvez pas vous en protéger. Vous perdez juste pied. Cela a aidé pour cette scène. Ce jour-là était difficile, et pas seulement parce que je chante.”
“J’ai demandé à une jeune figurante, Chloé, si elle pouvait se tenir dans mon champ de vision et si cela la dérangeait que je chante pour elle,” poursuit-il. “Qui a besoin de ça ? Un homme d’âge moyen avancé ou un vieil homme, ivre, chantant une chanson folklorique écossaise directement dans vos yeux. 29 fois. Je suppose qu’elle pensait qu’elle allait passer une journée tranquille assise là, à faire semblant de boire. Quoi qu’il en soit, elle l’a fait pour moi, et elle n’a jamais hésité. Elle a maintenu sa ligne de regard et a établi un contact visuel avec moi. Cela m’a énormément aidé. C’est probablement une forme épouvantable d’auto-indulgence, mais qui s’en soucie ? Cela a permis de raconter l’histoire. Je voulais juste que quelqu’un me regarde dans les yeux tout le temps pour que je n’aie nulle part où me cacher. Et elle m’a aidé.”
Crédit photos : ©Metropolitan Filmexport