Pour son nouveau film, Tsui Hark se lance pour la première fois dans un film de guerre. Le résultat final est aussi épique qu’a pu l’être sa production. Première partie : préparation.
Propos recueillis par Xavier Leherpeur
Comment est né ce projet ?
Tsui Hark : Il date du début des années 70. J’étais alors jeune diplômé de l’université [du Texas] et je travaillais comme travailleur social à Chinatown [à Austin, au Texas]. Je suis devenu projectionniste bénévole et je montrais des films gratuitement aux gens de la communauté. L’un de ces films était la version de l’opéra de Pékin de La Bataille de la montagne du tigre. J’ai bien aimé l’histoire et j’ai surtout été surpris de découvrir qu’elle était basée sur des personnes qui avaient existé. Ce souvenir de cinéma m’accompagne depuis 40 ans. J’ai ensuite appris que les droits d’adaptation avaient été achetés par [la société de production] Bona Film Group qui connaissait mon grand intérêt pour porter l’histoire sur grand écran. Les trois années suivantes ont permis de peaufiner le scénario avec des idées et des suggestions venant de toutes directions. L’histoire s’est toujours voulue simple et nostalgie et le film se le devait aussi.
Quels étaient vos motivations à faire ce film ?
En réalisant un film, on s’ouvre à un monde de créativité tactile et en trois dimensions. Les émotions se bousculent et les gens s’agitent. Faire La Bataille de la montagne du tigre était une façon de revisiter un souvenir qui datait d’il y a 40 ans. C’est l’occasion pour moi de comprendre comment j’ai traversé toutes ces années pour devenir ce que je suis aujourd’hui. Parfois ces voyages finissent en cauchemars. Heureusement, celui-ci n’en est pas un. Un de mes amis proches m’a conseillé de ne pas faire ce film parce que le projet comportait trop d’inconvénients. Mais l’univers et les personnages de La Bataille de la montagne du tigre ont toujours été hypnotiques. Venant directement du tournage de Detective Dee 2, j’ai aussitôt pris en repérages avec moi la même équipe : directeur artistique, directeur de la photographie, superviseur des effets visuels et coordinateur des cascades. L’ampleur de la production était plus importante qu’elle ne l’est dans le film final. Mais plus nous comprenions la situation et plus nous faisions marche arrière et réduisions ce qui n’était pas nécessaire. A un moment, nous étions très sceptiques quant à cette scène classique de la rencontre entre le héros et le tigre. Heureusement, nous l’avons gardée. Le casting des rôles autres que celui du héros a beaucoup changé suite à la durée prolongée de la préparation. A un moment, les gens demandaient même à l’acteur principal qui joue Yang si le film allait vraiment se faire. En dépit de ces retards, notre chef décorateur a construit les décors. Ils sont restés en place pendant deux ans, visités par les touristes qui savaient alors où je tournerais mon film. Je n’avais encore jamais vécu ce genre de situations. La pré-production a pris autant de temps pour deux raisons. La première était le scénario, la seconde était la durée trop courte de l’hiver chaque année. L’écriture du scénario a été particulière car les membres de l’équipe créatrice avaient tous une vision différente. Une des discussions majeures que nous avons eues concernait la création d’un nouveau personnage, celui de la mère. Une autre était l’existence de l’avion caché dans le tunnel de la forteresse. Et bien sûr, la séquence de New York. Le film a demandé quatre ans avant que je puisse crier « Caméra et action ». Durant cette période, l’investisseur se demandait si je n’allais pas abandonner le projet jusqu’à ce que notre caméra vole au-dessus du château encore en construction. Le tournage a commencé, de la fausse neige voltigeait sur le décor. C’était un peu Noël pour tout le monde.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette histoire en termes de narration et de réalisation ?
Il y avait une version en noir et blanc dans les années 50 et une version de l’opéra de Pékin en couleurs, dans les années 60. Les deux étaient adaptées du roman de Qu Bo, Tracks in the Snowy Forest. Le roman a été vivement critiqué par Qiang Qing [ancienne actrice, femme politique et quatrième et dernière épouse de Mao Zedong] pendant la Révolution culturelle. Mais sous quelque forme que ce soit, cette histoire a été reçue de façon vraiment positive par le peuple. Mais ce n’est pas seulement cela qui m’intéressait. J’aimais aussi ce mélange entre les événements historiques sérieux et les traits divertissants des personnages. Cette histoire possède cet équilibre magique entre le comportement et la réalité. La vieille version était très amusante à regarder. Ma version était définitivement très très très amusante à réaliser.
Votre film s’inspire à la fois d’une histoire vraie et d’un film. Comment avez-vous combiné ces deux références dans le scénario ?
J’ai suivi mon cœur. J’avais déjà utilisé ces allers et retours entre le passé et le présent dans mes autres films. Peu ont marché. Alors quand j’ai commencé mon film avec une ouverture sur New York, mon autre moi intérieur m’a prévenu du risque de commettre la même « erreur ». Mais cet autre moi a vite disparu. Mon souvenir si précieux de New York d’il y a 40 ans a été le plus fort.
Pourquoi insérer des passages contemporains ?
Mes souvenirs de New York ne me lâchaient pas alors que j’écrivais le scénario. Instinctivement, j’ai été tenté d’incorporer mon expérience personnelle dans le film. Naturellement, mon équipe a mis en doute la pertinence de deux chroniques. Mais de toute façon, j’ai fait ce que je voulais. Puis, j’ai eu la sensation que la partie sur New York prenait trop d’importance et je l’ai beaucoup réduite par la suite. Ce qui est le plus passionnant reste cette rencontre à la fin du film entre le passé et le présent. J’ai toujours aimé ce drame qui existe entre les jeunes et les sages.
Je crois que c’est votre premier film de guerre.
Absolument. Je n’ai jamais été un grand fan du genre. Cela m’a amusé de devoir m’adapter à l’ennui naturel des séquences de batailles dans le scénario. Mon inconfort évident m’a mené à penser à une autre façon de filmer les combats. Je suis d’ailleurs assez curieux de savoir ce que pense le public des scènes de batailles du film.
Aviez-vous des références (réalisateurs, films) en préparant ce film ?
C’est une chose que j’ai évitée parce que je ne voulais pas que cela interfère avec l’expérience personnelle que je vis depuis le début avec cette histoire. Ce projet était trop personnel. Je ne pouvais m’inspirer d’aucun autre travail.
Les méchants de votre histoire ressemblent aux personnages de l’un de vos films d’épées. Etait-ce un désir personnel ?
L’histoire elle-même est plus légendaire que les films d’épées. Les célèbres romans Wu Shia (combattant à l’épée) ont été écrits en temps de guerre suite à l’oppression littéraire. Les méchants et les héros faisaient référence à des personnes imaginaires ou existantes. Cette culture est donc toujours au cœur des personnages. Néanmoins, j’ai toujours ces images des bandits du nord comme étant la vraie version des combattants à l’épée de notre monde.
Comment travaillez-vous avec vos acteurs ?
La première chose est de s’assurer que chaque acteur connaît son personnage. Le scenario était plein de noms et de fonctions. Tous les personnages ont un nom complet et une raison de leur présence dans l’histoire. Il y a évidemment eu des plaintes quant à la densité du scénario et son écriture particulière. Il y a avait trop de personnages. Il y en avait même plus que dans Seven Swords. J’ai dû trouver un équilibre entre les bons et les méchants, les drôles et les sérieux, les tristes et les joyeux, les disciplinés et incontrôlables. Le plus dur a été de créer un héros populaire et un méchant notoire. Cela m’a rappelé mon expérience sur Il était une fois en Chine. C’était aussi un défi de ressusciter un héros qui a joué dans 100 épisodes au théâtre. Le temps était limité pour les répétitions. Les meilleurs moments pour parler et échanger des idées avec les acteurs étaient pendant l’habillage et le maquillage. Le look de chaque personnage a été créé de façon très détaillée et certains acteurs devaient passer par deux ou trois étapes selon les costumes, le maquillage, la coiffure. Il y a eu quelques réunions avec les acteurs pendant le tournage mais seulement quand de nouvelles idées faisaient surface ou que des changements intervenaient.
Les décors sont impressionnants. Ont-ils tous été construits ?
Seuls 40% des décors ont été construits. La plupart des grands décors n’étaient en fait constitués que d’une entrée. Mon chef décorateur travaille bizarrement. Il construit les décors puis me présente les plans. Le tournage a été divisé en deux périodes à cause des vacances du Nouvel An chinois. Au retour des vacances, nous nous sommes retrouvés dans une situation délicate à cause de la météo trop douce pour la saison. La neige fondait trop, les premiers bourgeons apparaissaient sur les arbres. Nous devions aller chercher de la neige au pied des montagnes ombragées et l’apporter sur les décors. Tout devenait urgent. Puis le, miracle est arrivé : une tempête de neige. Nous étions de nouveau sous une neige épaisse.
Travaillez-vous avec un storyboard?
Oui, j’en ai l’habitude mais je garde à l’esprit qu’il ne s’agit que d’une image de référence et qu’elle sert surtout de moyen de communication. Le storyboard est la façon la moins chère pour que votre équipe pense vite, comprenne mieux et ose proposer de meilleures idées. Il n’est pas une loi immuable mais un point de départ. Il ne faut pas s’y enchaîner. Il faut garder à l’esprit que ces dessins sont là pour être changés et remplacés. Dessiner un storyboard ne doit pas être un travail laborieux ni prendre trop de temps. Dans certains cas, le storyboard n’est pas nécessaire, notamment quand il s’agit de capturer des moments uniques. Par exemple, la nature – le paysage, les êtres vivants, la météo – est imprévisible. La magie naît de l’imagination de chacun. Le jeu d’un acteur devient intéressant quand il est inattendu, quand l’acteur peut se lâcher. Dans des cas comme ceux-là, le storyboard est un gros obstacle.
Interview réalisée par e-mail.
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