Après la diffusion de Real Humans et Trepalium, Arte poursuit sa ligne éditoriale tournée vers l’anticipation avec Transferts, une série qui mêle la science-fiction au thriller et au drame. Les trois premiers épisodes sont diffusés ce 16 novembre et les trois derniers le 23 novembre.
Le neurochirurgien italien Sergio Canavero réalisera la première greffe de tête en décembre 2017. Le milliardaire russe Dmitry Itskov compte transférer la personnalité d’un individu dans une enveloppe corporelle non biologique en 2045. Le docteur Vautier a inventé une technologie qui transfère l’esprit d’un être humain dans le corps d’un autre humain.
Seule cette dernière affirmation est fictive. Et s’avère être le postulat de la série Transferts écrite par Claude Scasso et Patrick Benedek (Caïn). Dans leur fiction, l’esprit de Florian, un père de famille sans histoire tombé dans le coma, est transféré clandestinement dans le corps de Sylvain, un patient en mort cérébrale. A son réveil, Florian découvre un monde où le transfert est monnaie courante et a engendré une nouvelle criminalité avec le trafic de corps humains au point qu’une Brigade anti transfert illégal – la BATI – a été créée. Il découvre surtout que ce Sylvain s’avère être un vrai salaud et membre de ladite BATI. Perdu entre deux identités, il va devoir traquer des gens comme lui.
De la science-fiction sociale
« Nous voulions écrire de la fiction spéculative, explique Claude Scasso. Et faire une série monde comme il existe le roman monde, tel que Tous à Zanzibar de John Brunner ou Dune de Frank Herbert, c’est à-dire parler de la science et de son impact sur toute une société et non sur quelques individus. Nous pouvions alors brosser une société entière dans sa sociologie, sa politique, sa religion… » « Nous voulions faire de l’anticipation de proximité et voir véritablement comment les personnages vivent ces transferts, quel cas de conscience ou quelle crise identitaire cela provoque chez eux, renchérit Patrick Benedek, également coproducteur avec sa société Filmagine. Nous voulions quelque chose de très sociétal et il fallait que notre histoire soit ancrée dans une forme de rationalisation. Nous partons d’un concept irréaliste et impossible mais nous le ramenons à une forme de rationalité et de quotidienneté et nous l’ancrons dans des personnages et des émotions. » Le réalisateur Olivier Guignard (Un village français, Vénus et Apollon) reconnaît en effet que « le ressenti et l’angle personnel des personnages sont importants dans cette série. Il fallait que le téléspectateur soit dans un rapport très organique, charnel et direct. Et surtout très émotionnel. »
Olivier Guignard a été rejoint à la réalisation par Antoine Charreyron (The Prodigies). Tous deux ont été engagés sur casting. Chaque candidat devait présenter un dossier artistique et passer un oral de 40 min chez Arte. « Un seul réalisateur pouvait se charger des six épisodes mais Arte m’a demandé de faire entrer un second réalisateur, explique Patrick Benedek. Venant de l’animation et du jeu vidéo, Antoine pouvait apporter quelque chose de complémentaire et de différent. Olivier et lui ont chacun leur caractère, leur façon de filmer, leur univers et nous avons puisé le meilleur de chacun. Ils ont su trouver un langage commun et une sémiologie qui ne correspondent qu’à Transferts. »
En réalisant les deux premiers épisodes, Olivier Guignard a aussi imprimé sa patte à la série – il s’est également chargé des deux derniers, Antoine Charreyron s’occupant des épisodes 3 et 4. « Je voulais filmer caméra à l’épaule et la caler sur la respiration du personnage pour travailler très fort sur l’émotion. J’avais quelques références comme Les fils de l’homme ou The Leftovers qui se focalisent plus sur l’humain que sur le fantastique mais aussi des peintres comme Edward Hooper ou Joseph Turner, certains photographes, des architectes… Nous ne voulions pas nous accrocher à quelque chose de précis pour donner à Transferts son identité propre. Pour la couleur, nous voulions du doré et du cuivré – et non le ton habituel de l’anticipation qui est froid, métallique et bleu – tout en travaillant le contraste et les contre-jour, à l’anglaise. Nous voulions quelque chose de solaire et d’assez lumineux mais tout n’est pas comme ça non plus car en Belgique, le soleil n’est pas toujours au rendez-vous. »
Un tournage façon puzzle
La production a choisi de tourner à Bruxelles pour son architecture. Beaucoup de monuments historiques ont été détruits et remplacés par des bâtiments modernes. Cela permettait de jouer sur le contraste entre le moderne et l’ancien et ainsi créer une perception de l’anticipation tout en étant dans un monde proche du notre. Le tournage s’est cependant vite compliqué avec les attentats de mars 2016 car il est alors devenu impossible de tourner dans la rue avec des armes. La méthode de tournage était aussi assez particulière car le plan de travail n’a pas été cross-bordé sur l’idée qu’il y avait deux réalisateurs mais sur le fait de devoir tourner six épisodes par décors. Ainsi, en fonction de leurs séquences, les deux réalisateurs pouvaient se relayer au cours d’une même journée sur un même décor. Le puzzle était compliqué pour l’équipe technique – notamment le chef opérateur et la scripte – mais aussi pour les acteurs qui devaient être raccord pendant des séquences prévues dans des épisodes différents.
Pour pallier la difficulté, Arieh Worthalter, qui joue Florian dans le corps de Sylvain, tenait un petit carnet où il notait séquence par séquence l’évolution de son personnage et quelle était son humeur dans la séquence déjà tournée. Une technique plus qu’utile vu la complexité de son personnage. Pour cette série, le comédien a d’ailleurs donné de son corps, au propre comme au figuré. Il a ainsi fait de la musculation et suivi un régime drastique pendant les deux mois précédent le tournage afin de transformer son corps et en faire celui d’un flic d’élite. « Sa morphologie a réellement changé, se rappelle Patrick Benedek. Arieh s’est mis dans une situation où il disait que lui-même ne reconnaissait pas son corps ni sa façon de se déplacer. Cela a créé une forme de distorsion intéressante à exploiter pour nous et pour les réalisateurs. Sa nouvelle maladresse et ce décalage quasi insaisissable permettent de rendre son transfert dans un autre corps encore plus crédible. »
Les efforts de l’acteur ont été récompensés par le prix d’interprétation masculine au dernière Séries Mania. Transferts y a également reçu le prix de la meilleure série francophone et enchaîné avec le Bass Award de bronze pour son générique. Présente dans plusieurs festivals, la série enregistre de bons retours quant aux achats internationaux. Une saison 2 est donc quasi assurée.
Article paru dans Studio Ciné Live – N°94 – Novembre 2017
Crédit photos : © Laurent Thurin-Nal pour Arte / Filmagine