La saison 7 de l’incontournable série historique est actuellement en tournage en région parisienne avant de retrouver le Limousin. Ces 12 ultimes épisodes ont pour thèmes la mémoire et la reconstruction. Ils couvrent novembre et décembre 1945. Et c’est sûr et certain, le Père Noël n’apportera pas de saison 8. Diffusion d’Un village français, saison 7, 1ère partie, à partir du 25 octobre sur France 3.
Une bâtisse cossue à Seine-Port, en Seine et Marne. Elle fait office de demeure familiale de Jeannine Chassagne, ex-épouse de Raymond Schwartz. Jeannine a invité Raymond à boire un verre. Elle veut le persuader de s’associer avec elle afin de fournir les Américains en bois et béton pour leurs bases militaires européennes. La séquence appartient à l’épisode 3 de la saison 7 d’Un village français. L’action se déroule en novembre 1945.
Les deux acteurs Emmanuelle Bach et Thierry Godard répètent la scène une première fois, filmés par une steadicam qui les suit de l’entrée au salon de la maison. Des ajustements sont ensuite faits : l’assistant son ajoute un tapis sur le sol pour étouffer les craquements du parquet, l’accessoiriste change de côté le vase sur le manteau de la cheminée… Le réalisateur Jean-Philippe Amar prend surtout le temps de régler l’arrêt que doit faire le caméraman dans sa progression quand Raymond s’immobilise devant une fenêtre pour regarder dans le jardin. Plus que la discussion entre les deux ex-époux, c’est le moment clé de la scène. A travers la fenêtre, Raymond voit une domestique étendre un drap blanc sur un fil à linge et il se souvient alors de Marie, l’amour de sa vie, assassinée à la libération. Un flashback – tourné quelques jours plus tard – montrera Marie déclarer à Raymond qu’au final, il retournera vivre avec Jeannine.
C’est ce flashback qui décide Raymond à refuser la proposition de son ex-femme. Pour cette fois. « Jeannine et Raymond sont liés par une vieille relation, une vieille amitié et par encore un peu de tendresse, remarque Thierry Godard. C’est un peu Macbeth et lady Macbeth. Elle est forte et va petit à petit l’attirer et, comme un ours avec du miel, il va se faire avoir. » Elle le manipulera même pour l’inciter à devenir maire de Villeneuve, lui qui a pourtant louvoyé entre collaboration et résistance. « C’est la réalité historique, reprend l’acteur. Tous ces gens qui ont plus ou moins traficoté pendant la guerre se sont retrouvés à des postes politiques importants après-guerre. La reconstruction s’est faite avec des anciens collabos et avec des gens qui n’ont pas eu le meilleur des comportements. En fait, avec ceux qui se sont montrés les plus malins. C’est dingue. »
Des historiens de leur propre histoire
Thème de la mémoire oblige, les flashbacks font donc leur apparition cette saison. 80% d’entre eux sont spécifiquement écrits et produits pour être intégrés dans les séquences sans casser le rythme ni apparaître artificiels. Quelques personnages, morts prématurément, font ainsi un retour éphémère. « Nous revisitons la mémoire intime des personnages, explique Jean-Philippe Amar. Ils racontent leurs histoires et deviennent les historiens de leur propre histoire. Mais nous revisitons aussi la mémoire historique et montrons comment elle a été biaisée dès le lendemain de la guerre. »
« Nous montrons le travail de mémoire qu’un pays entier fait autour d’actions qu’il n’a pas envie de regarder tout à fait en face, renchérit l’actrice Constance Dollé, interprète de la résistante communiste Suzanne Richard. La France n’a pas vraiment connu de procès de l’épuration et a toujours eu du mal à faire son mea culpa. Chacun a raconté ce qu’il avait envie de raconter et s’est arrangé avec la réalité. La mémoire est quelque chose de particulier. Chacun réécrit en permanence ce qu’il vit. Il sélectionne des choses de son histoire et ne dira peut-être jamais la vérité car c’est une question de point de vue. Mais l’homme ne sait pas faire l’économie du récit ni de l’histoire. Il a besoin de se raconter des histoires et de se dire que tout cela a un sens. »
Sur le plateau, une dernière répétition et tout le monde est prêt à tourner. A « Action ! », la domestique ouvre la porte mais personne n’entre. A l’extérieur, le jeune chien du propriétaire de la maison est dans les jambes d’Emmanuelle Bach et de Thierry Godard. Il veut jouer et les empêche d’avancer. Un bout de bois lancé dans le jardin suffit à le déloger du perron et à l’occuper pendant la prise suivante.
Une plus juste vérité ?
La scène commence avec Raymond qui rappelle à Jeannine qu’elle a échappé au peloton d’exécution. Ce qui ne sera peut-être pas le cas pour les autres collabos dont la série couvre les procès, comme Daniel Larcher et le sous-préfet Servier. « Le procès le plus intéressant pour la série est celui de Maurice Papon, souligne le showrunner Frédéric Krivine. C’est-à-dire le procès d’un fonctionnaire qui n’a pas, à mes yeux, tellement pris d’initiatives collaborationnistes, qui a fait son boulot et qui a obéi aux ordres. Comme Servier et comme l’écrasante majorité des fonctionnaires de l’époque. Pour un fonctionnaire, Vichy était un régime légal. De défaite et de malheur mais légal. Le problème est qu’en 1945, les préfets qui ont été jugés n’ont pas été très inquiétés. » Un village français sera peut-être l’occasion de rétablir une plus juste vérité. Même fictive.
Pour l’heure, le tournage à Seine-Port est interrompu par un gros orage. Les coups de tonnerre et les éclairs ne sont pas raccord avec la scène. Et personne n’étendrait des draps sous une pluie battante. Le steadicameur profite de la pause forcée pour revoir la scène en vidéo afin de peaufiner le placement des acteurs. Il repère qu’Emmanuelle Bach s’est trop avancée et est sortie de ses marques. Thierry Godard est aussi parti plus tôt que prévu vers la fenêtre. De son côté, le reste de l’équipe espère que l’attente ne durera pas trop longtemps car l’après-midi est déjà bien entamé. Après le plan d’ensemble de la séquence, elle doit encore enchaîner avec les plans serrés sur les acteurs. Ceux sur Raymond n’ont pas de surnom mais ceux sur Jeannine ont été baptisés avec humour les plans « Ninja ».
Article paru dans Studio Ciné Live – N°80 – Juin 2016
Crédit photos : © France 3