Un homme élevé comme un chien, un maître qui s’en sert comme d’une machine à tuer et un accordeur de piano aveugle qui veut le sauver. Ce sont les principaux protagonistes du second os à ronger de Louis Leterrier qui, après Le transporteur, retrouve une production EuropaCorp et un scénario co-signé Luc Besson. Attaque ! Bon chien.
Les studios de cinéma d’Epinay-sur-Seine, près de Paris. Début mars 2003. Jet Li, qui tourne en France pour la deuxième fois après Le baiser mortel du dragon, arrive tranquillement de la loge maquillage sur le plateau de Danny the dog de Louis Leterrier (co-réalisateur du Transporteur). L’acteur affiche les traits marqués par les années de souffrance et de violence que son personnage a endurées. Au mot « Action ! », il abandonne sa démarche de félin et adopte un pas lourd et hésitant, les épaules affaissées, la tête basse, le regard inquiétant. Il porte des vêtements sales et déchirés. Un gros collier canin orne son cou. Il est Danny le chien. Littéralement. Il a la force physique d’un homme mais dix ans d’âge mental. En années humaines, pas en années de canidés. « C’est le premier film que je tourne en anglais et pour lequel je n’ai pas de difficulté avec la langue, » rit Jet Li. Forcément, il a à peine quelques mots à aboyer.
Danny a été élevé depuis sa plus dure enfance par Bart, un sale type qui, aux dires de Bob Hoskins qui l’interprète, ferait passer le pape Jean XXIII – que l’acteur a aussi incarné – pour un enfant de cœur. Bart ne lui a appris qu’une chose : tuer sur ses ordres. Et Danny est un animal très obéissant. Il suffit que Bart lui retire son collier pour qu’il se jette sur sa proie comme un pitbull sur un caniche, que ce soit pour une vulgaire vengeance ou un combat organisé. A la disparition de Bart, Danny est recueilli par Sam, alias Morgan Freeman, un accordeur de piano aveugle qui l’éduquera et lui apprendra l’amour de son prochain. Ce qui ne sera pas une mince affaire. « J’ai joué dans trente et un films où j’étais toujours le héros qui sauvait tout le monde, sourit Jet Li. C’est la première fois que je suis moi-même sauvé. C’est peut-être le début d’une nouvelle carrière… Ou mon dernier film. Moi qui cherche toujours la nouveauté, je n’avais encore jamais interprété un tel rôle. Mon personnage ne connaît rien de la vie sauf comment la détruire. Avec Sam, il va apprendre ce qu’est l’amour, la compassion, la famille, les responsabilités et devenir un être humain normal. »
La larme de Jet Li
Chaque jour Jet Li travaille son personnage avec son coach : sa façon de se tenir, de marcher, de regarder, d’exprimer des émotions… « Je suis assez fier d’être le premier à avoir fait pleurer Jet Li à l’écran, s’enorgueillit Louis Leterrier. C’est une des scènes difficiles à tourner, c’est un plan super lent, super serré sur le visage de Jet Li. La caméra se rapproche de lui, la larme monte et juste quand il le faut, elle coule sur sa joue. Non, en fait, je n’y suis pour rien. Tout le mérite en revient à Jet et à son travail sur son personnage. » Grand garçon de 29 ans, Louis Letterrier s’enthousiasme toujours autant d’avoir Jet Li sur son plateau. « Je pourrais dire à mes enfants : ‘J’ai fait un film avec Jet Li.’ C’est comme si mon père [le réalisateur François Leterrier] m’avait dit quand j’étais gamin : ‘J’ai fait un film avec Bruce Lee.’ C’est une légende. »
Mais pour l’heure, la légende s’est installée dans un fauteuil du décor et écoute les directives du grand gamin qui prépare la séquence suivante : Danny, coincé dans un faux plancher du salon de l’accordeur de piano, casse les planches d’un coup de pied pour s’en extirper. Louis Leterrier s’exprime en anglais pour l’interprète qui traduit en chinois pour le chorégraphe de combat Woo Ping – qui officie sur la triologie Matrix – dont c’est le premier film en France. « Tout le monde l’appelle Master, explique le réalisateur. C’est lui qui a réglé toutes les chorégraphies et les cascades du film et comme je ne peux pas être partout, je lui cède volontiers la caméra de la seconde équipe. Je lui suggère parfois des trucs pour les combats mais c’est toujours nul car je tombe tout de suite dans un lieu commun. Ce n’est pas évident de se renouveler dans ce domaine. Mais lui, il met la barre très haut à chaque fois. » « Comme Danny a été élevé comme un chien, continue Jet Li, il a fallu lui définir une personnalité à part, ou plutôt une animalité. Il a une façon bien spécifique de se battre, très brutale, très animale. Nous nous sommes servis des arts martiaux pour aider à développer ce personnage pour qu’il ne fasse plus qu’un avec les mouvements. »
Un trio dramatique
Si en apparence Danny the dog a tout du film d’action et d’arts martiaux, il n’en est rien. Il y a bien sûr quelques scènes de luttes promises comme inédites, mais le gros du film se base avant tout sur le jeu des trois principaux acteurs, Jet Li, Morgan Freeman et Bob Hoskins. « Dans Le transporteur, les scènes de comédie servaient à aller de scènes de combat en scènes d’action, précise Louis Leterrier. Dans Danny the dog, c’est l’inverse. Les scènes de combats constituent le lien entre les scènes de drame. C’est moins un film d’action qu’un conte fantastique, un peu comme Edward aux mains d’argent. Un peu. Il y a un peu de sang et quelques armes mais il n’y a pas de tués. Enfin si, quelques-uns. Mais il y a moins de morts que dans Le transporteur où les gens qui ne mourraient pas avaient quand même très mal. » Dans Danny the dog aussi.
Pour preuve, un Bob Hoskins bien amoché arrive sur le plateau. Le comédien arbore quelques belles contusions et entailles au visage et un bras dans le plâtre. « Bart est un rôle très physique, plaisante Bob Hoskins avec un accent cockney à découper à la tronçonneuse. J’ai des accidents de voiture, je suis tabassé… Je commence vraiment à être trop vieux pour cela. Je suis censé avoir une doublure, mais je continue désespérément à chercher un petit bonhomme rondouillard au crâne chauve sur le décor. » Avec le personnage de Bart, l’acteur ajoute une nouvelle ordure à son tableau de chasse. Une chance qu’il ne les ramène pas chez lui après sa journée de travail. « Vous m’imaginez dans la cuisine avec certains des rôles que j’ai interprétés comme Benito Mussolini ou Edouardo Noriega ? Jouer la comédie est une thérapie. Toutes ces choses horribles que vous avez en tête et que vous aimeriez faire… Au cinéma, vous les faites… Et comme je suis attiré par la folie et les fous… Les gens sains d’esprit, vous ne pouvez pas leur faire confiance. Je ne suis pas à l’aise avec eux. » Et avec un sourire énigmatique sur ses lèvres tuméfiées, il ajoute : « C’est pour cela que je m’entends bien avec Louis. »
Un vrai travail d’équipe
Le Louis en question est à quatre pattes sur le plancher du salon de l’accordeur de piano pour vérifier que les planches en balsa censées éclater d’un coup de pied sont bien fixées à leurs extrémités. Après plusieurs prises, il ne parvient pas à obtenir l’effet qu’il recherche. A chaque nouvelle tentative, il s’excuse auprès de Tiger, la doublure de Jet Li, qui doit attendre, allonger sous le plancher, que les planchent soient clouées et que l’équipe soit prête à tourner. La scène est filmée avec deux caméras. « Sur Le transporteur, je tournais tout et n’importe quoi car je pensais que tout pouvait me servir au montage, avoue-t-il. Je ne savais pas ce dont j’avais vraiment besoin, je ne savais pas à quel point Luc Besson serait impliqué au montage. C’était un film de commande et je me disais qu’en tournant tout, Luc aurait assez de matériel pour faire son film comme il l’entend. Mais vu qu’au montage il n’était pas plus impliqué qu’au tournage, cela me laissait le choix en tant que réalisateur. C’était vraiment ma conception de la chose. »
Encore plus sur Danny the dog, bien que Louis Leterrier n’hésite pas avant chaque grande scène à en discuter avec son équipe, Jet Li et Woo Ping en tête. Chacun y va d’ailleurs de son commentaire pour améliorer une scène ou un effet particulier. « Nous travaillons d’une façon très différente des grosses productions américaines, affirme Jet Li. C’est comme travailler sur un film indépendant. Nous décidons dans l’instant, nous n’avons pas besoin de se référer à un ponte du studio pour changer une réplique ou modifier une scène que nous trouvons incohérente. C’est très agréable de tourner ici. »
Article paru dans Ciné Live – N°68 – Mai 2003
Crédit photos : © EuropaCorp