La série revient pour une saison 2 plus politique encore, non pas pour dénoncer les hommes politiques –ici plus idéalistes que la réalité – mais pour explorer l’extrême complexité du jeu du pouvoir. Et même si cela reste de la fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est pas fortuite. La diffusion de Baron noir commence ce 22 janvier sur Canal+.
Pour cette saison 2, la production de Baron noir a investi le château Duriez à Steene, près de Dunkerque. Il sert de doublure à La Lanterne, le fameux pavillon de chasse de Versailles devenu résidence présidentielle. Dans ces séquences de l’épisode 4, trois des principaux protagonistes ont été réunis : le Baron noir Philippe Rickwaert (Kad Merad), sorti de prison ; Amélie Dorendeu (Anna Mouglalis), élue présidente de la République et dont Rickwaert est le conseiller de l’ombre ; et Michel Vidal (François Morel), représentant fictif l’espace politique du réel Jean-Luc Mélenchon. « Chaque personnage est une combinaison de personnalités qui existent, précise Eric Benzekri, scénariste de la série avec Jean-Baptiste Delafon. C’est très ludique et il y a un peu de manigance de notre part. Mais les objectifs de nos personnages les guident au fur et à mesure des épisodes et nous éloignent de ces mélanges. Notre Vidal fera d’autres choix que le vrai Mélenchon. Il lui ressemble parce qu’il parle de la même chose – la France, les partis politiques, le système politique- et là, nous ne trichons pas. Le lien avec le réel est organique car ces matériaux existent mais cela reste de la fiction. » Pour preuve, c’est une présidente de la République PS sans majorité à l’Assemblée nationale qui officie à l’Elysée.
Un acteur joyeux et dissipé
A peine Kad Merad a-t-il salué les journalistes invités ce jour-là sur le plateau qu’il commence à les titiller : « Je vois des stylos, des cahiers… Vous avez vos trousses ? Vous avez vos pochons avec vos mandarines et vos Vache-qui-rit ? Mais non je ne suis pas dissipé. Je suis joyeux. Heureux. C’est une journée light pour moi donc là, je suis détendu. Vous avez de la chance. D’habitude, j’ai entre cinq et dix pages de dialogues par jour. C’est beaucoup trop pour un acteur normal. Ce n’est pas pénible mais dans la tête, c’est dur. Mais s’est intéressant de rendre la politique aussi intime et humaine. La mise en scène de ces textes aussi politiques et aussi techniques est une vraie réussite. C’est parce que Ziad [Doueiri, le réalisateur] ne filme pas la politique mais l’intimité de la politique et les gens qui la font. »
Ziad Doueiri met justement en place son plan. La caméra tournera autour de la table pendant la conversation entre les trois acteurs. Dorendeu et Rickwaert veulent convaincre Vidal d’un rapprochement. Dès la répétition en voyant la caméra tourner autour de lui, Kad lance : « J’ai mal au cœur. » Pour cette scène, les prises s’enchaînent. Les dialogues sont longs et complexes. Comme d’habitude. Chacun leur tour, les acteurs buttent sur leur réplique ou perdent le fil. Kad Merad a du mal avec le mot « conscientisation » et ce sera dur par la suite pour les autres de ne pas rire dès qu’il le prononcera. Mais à la 8è prise, tout le monde rigole moins. A la 9è, quand le réalisateur lance enfin « On l’a ! », tous se congratulent.
Cette scène est une des rares où les personnages sont assis. « Si je les fais marcher, la scène ne fonctionne pas car cela fait promenade et enlève toute la tension désirée, » remarque Ziad Doueiri. Dès la saison 1, il a été confronté au problème de scènes très dialoguées qu’il devait aérer afin d’éviter le champ contre-champ et l’accumulation d’images de têtes parlantes à l’écran. Sa solution a été de faire constamment bouger la caméra, mais pas dans le style du documentaire. Il ne filme pas caméra à l’épaule mais avec un Steadicam pour que les mouvements ne perturbent pas la scène.
Le Baron noir croit encore à la gauche
La saison 2 a reçu le feu vert dès que Canal+ a vu la saison 1 – avant même sa diffusion dont le succès a été aussi critique que public avec un total d’1 million de téléspectateurs par épisode. L’écriture a commencé dès janvier 2016. Quand le parti En marche a été créé, cela a été une révolution pour les scénaristes en termes de narration. Ils ont dû adapter leur récit pour rester actuel et proche du paysage politique d’aujourd’hui. Ils le sont sur les fondamentaux mais pas sur les détails. Ils savent qu’ils ne peuvent s’inspirer de l’actualité au risque d’être ridiculement obsolètes. Ils s’inspirent cependant de la réalité et après avoir surtout centré la saison 1 sur le Parti socialiste, ils s’aventurent désormais dans les autres partis : le Front national, Jean-Luc Mélenchon, le centre… Des images d’un rassemblement FN filmées par le réalisateur de la série Ziad Doueiri seront par exemple utilisées avec l’incrustation des personnages de Baron noir. « Tout cela est bordé par nos avocats, précise le producteur délégué Thomas Bourguignon. Nous ne demanderons pas l’accord de Marine Le Pen. Nous pouvons utiliser ces images tant que nous conservons la pluralité, que nous ne faisons pas d’apologie et que nous ne dénigrons personne. Après, ils peuvent nous faire un procès mais, a priori, ils le perdront. Et cela nous fera une bonne pub. »
Cette saison suit toujours Philippe Rickwaert, ses stratégies et ses tourments. « Malgré son cynisme et ses manipulations, il a ses limites, précise Kad Merad. C’est ce qui donne de la force au personnage. Il ne passera jamais de l’autre côté. Je l’espère en tout cas. » « Le Baron noir est plus machiavélien que machiavélique, renchérit Thomas Bourguignon. Avec lui, la fin justifie les moyens mais, au fond, il a un idéal. Il incarne la France populaire, le monde ouvrier qui représente encore six millions de personnes en France. Le PS a un peu abandonné ce monde qui était passé du communisme au PS et qui maintenant passe au FN et à Mélenchon. Rickwaert incarne ce monde-là. Il croit encore à la gauche, à des idéaux de gauche. Il croit qu’Amélie Dorendeu incarne un nouvel élan. »
Et pour incarner ce nouvel élan, Amélie Dorendeu a dû se présidentialiser. Anna Mouglalis a ainsi regardé des discours, participé à des débats, étudié les personnalités politiques qu’elle estime être parmi les meilleurs tribuns – elle cite Christiane Taubira et Jean-Luc Mélenchon. Elle a appris à poser sa voix, à s’adresser aux autres, à bouger… Comme Emmanuel Macron entre les deux tours des élections présidentielles. Mais contrairement au président Macron, Dorendeu n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale et doit créer une alliance avec le centre et la gauche. Sous la pression de Riekwart, elle tente le rapprochement avec Michel Vidal.
Les hommes politiques ne sont pas que des monstres
Pour filmer les négociations entre les deux protagonistes, Ziad Doueiri a à nouveau opté pour le Steadicam. Il commence sur les livres de la bibliothèque de La Laterne et la main de Vidal qui prend le premier tome de l’Histoire de la Révolution française de Jules Michelet. Le Stead recule ensuite jusqu’à se placer derrière l’épaule de Dorendeu pour finir par un plan large quand ils se rapprochent puis s’assoient. Le but de cette scène est en fait une humiliation de Dorendeu par Vidal. Ce dernier veut la tester, voir jusqu’où elle est prêtre à aller pour s’allier avec lui. Une union impossible qui, selon Eric Benzekri, se lit déjà dans les objets disposés sur la table basse. C’est subtil mais la série s’adresse autant aux néophytes qu’aux experts de la politique. Pendant la mise en place de la scène, le scénariste a fait déposer le cahier de notes de Vidal et les dossiers de couleur de type ministériel de Dorendeu – avec un côté des chemises repliés et des étiquettes. « Cela montre qu’ils viennent d’histoires politiques et de cultures différentes, explique Eric Benzekri. Ceux qui attachent encore de l’importance à la théorie politique ont un cahier. Lionel Jospin avait un cahier. Quand vous êtes jeunes, la conscientisation politique vient d’un certain nombre de lectures, comme le Michelet, et vous vous reconnaissez dans une histoire politique à vos lectures mais aussi dans le fait d’avoir ou non un cahier. Les lignes politiques changent car le réel les fait évoluer mais les cultures ne changent pas. »
Dans cette scène, Vidal va piéger Dorendeu avec une question sur Michelet pour lui montrer qu’elle n’a pas sa place dans la politiques et encore moins dans cette fonction de présidente. Il a bien préparé son coup et, habilement, avec une grande perversité, il se montre odieux et méprisant. Eric Benzekri s’est inspiré d’une anecdote sur François Mitterrand. Ce dernier a humilié un candidat à la députation en le questionnant sur les petites villes de sa circonscription. Dans le cas de Dorendeu, c’est tout autant une histoire de courant politique différent que du mépris de Vidal pour une femme politique. Dans cette saison, Dorendeu va découvrir ce que c’est que d’être à la présidence mais aussi d’être une femme à la présidence alors que la politique a toujours été un milieu misogyne. « Cette saison montre le poids de la fonction mais aussi la solitude du pouvoir, souligne Anna Mouglalis. C’est elle qui prend désormais les décisions et cela n’implique pas que la fonction mais aussi la personne privée. » « Ces gens-là ne sont pas que des monstres, affirme Eric Benzekri. J’aime les hommes politiques. Vraiment. Ce sont des animaux politiques à 100%, sinon ils ne seraient pas à ce niveau, mais ce n’est pas ce que j’aime chez eux. J’aime leur part d’humanité qui révèle une contradiction avec leur côté animal politique. Il y a toujours une facette de leur personnalité que j’aime et ce n’est jamais la même selon l’individu. »
Le plan avec François Morel et Anna Mouglalis est mis en boite en deux prises. Pendant ce temps, Eric Benzekri est retourné écrire le huitième et dernier épisode de la saison avec Jean-Baptiste Delafon. Une fois qu’ils l’auront fini, ils réfléchiront sérieusement à la saison 3 mais aussi aux saisons potentielles qui suivront. Ils ne veulent pas faire la saison de trop.
Crédit photos : © Rémy Grandroques / Kwai / Canal+