Quatre ans passés à étudier le kung-fu pour incarner Ip Man, The Grandmaster, et Tony Leung Chiu Wai a découvert qu’il pouvait être heureux en tournant avec Wong Kar-Wai. Au bout de sept films, il était temps.

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Les combats dans le film sont très spectaculaires. Vous vous battiez vraiment sur le plateau ou c’était juste de l’esbroufe ?

Tony Leung : C’est du réel. Ce n’est pas deux pas de danse et paf, un coup de poing. (Rires) Mais je donne plus de coups que je n’en prends. Mais je n’aime pas ça, donner des coups. C’est la seule chose que je n’ai pas aimée sur ce tournage. Kar-Wai me disait : « Frappe ce type comme s’il était un sac de sable! » Mais ce n’est pas un sac de sable, c’est un homme ! Pour certains gros plans, je devais le frapper au visage, je disais alors à Kar-Wai : « Si on ne me voit pas, fais-le faire par quelqu’un d’autre ! » J’ai appris le kung-fu pour ce film et pour moi, le kung-fu, ce n’est pas se battre. C’est une technique d’auto-défense. Elle sert à vous protéger si on vous attaque. Dans mon cas, je donnerais certainement un ou deux coups puis je prendrais mes jambes à mon cou. Je ne fais pas de kung-fu pour tuer des gens. Je déteste la violence.

tony_4Le kung-fu est tout autant un art martial qu’une philosophie de vie.

C’est vrai. Ip Man était plus qu’un expert en kung-fu, c’était aussi un érudit. Il menait une vie très dure et pourtant il était très optimiste et toujours souriant. Cette attitude face à sa vie venait du kung-fu. J’ai étudié les maîtres du kung-fu et Bruce Lee. Bruce Lee était un intellectuel qui savait expliquer le kung-fu avec des mots et d’une manière philosophique. Pour lui, le kung-fu était une façon d’éduquer son esprit tout autant qu’un mode de vie. Cet art n’existerait pas depuis 4 000 ans s’il n’était qu’une technique de combat. Aujourd’hui, peu de maîtres enseignent le côté spirituel de cet art martial, au lieu de cela, c’est : « Dans combien de temps je peux me battre contre dix types ? » (Rires) Le kung-fu permet d’atteindre la paix, le calme de l’esprit et l’harmonie avec la nature. J’ai passé quatre ans à apprendre le kung-fu, à essayer de le comprendre et je n’y suis pas totalement parvenu. J’ai aussi essayé de comprendre les épreuves qu’Ip Man a traversées et comment il appréhendait le kung-fu. Incarner un personnage n’est pas difficile pour moi mais incarner un grand maître du kung-fu l’est vraiment surtout qu’au début, je ne savais pas de quoi on me parlait. J’ai donc lu des livres 500 fois, pratiqué le kung-fu et étudié encore. Je n’ai jamais abandonné malgré la difficulté. Je me suis même cassé le bras, deux fois. Et j’ai vraiment beaucoup appris pendant ces quatre ans. Il ne m’aurait fallu que six mois pour ressembler à un grand maître et maîtriser les scènes d’action mais je n’aurais pas eu l’âme d’un grand maître. Quand vous comprenez le kung-fu, on voit de la confiance dans vos yeux, vous n’avez plus besoin de dialogue, un geste suffit et le public peut alors dire que vous êtes un grand maître. (Rires)

tony_2Cette expérience vous a-t-elle profondément changé ?

Beaucoup. Avant, tous les dix ans, je faisais le point sur les dix années écoulées et décidais de ce que je voulais pour les dix années suivantes. J’ai eu 50 ans l’année dernière et je n’ai pas fait ce bilan. Cette expérience m’incite aussi à mener une vie plus positive. Ce qui est bien car j’ai toujours voulu transmettre de l’énergie positive au public. La réalité est très cruelle et on ne peut pas la changer mais on peut choisir sa façon de la voir : de façon triste ou heureuse ou plus optimiste. Résultat, je n’ai jamais été aussi heureux de travailler sur un film de Kar-Wai que sur The Grandmaster. Je connaissais mon personnage, j’avais une base de travail, quelque chose à quoi me raccrocher contrairement aux autres acteurs comme Zhang Ziyi et Chang Chen qui étaient aussi frustrés que je l’avais été sur les autres films de Kar-Wai car ils ne savaient pas qui ils jouaient. Kar-Wai ne montre jamais le scénario à ses acteurs, vous ne savez donc jamais quoi faire. Sur le plateau, il ne parle jamais. Il ne dit jamais ce qu’il veut dans la scène. Il ne donne pas de directives. Si ce que vous faites ne va pas, il vous dit juste : « Essaye ça et ça. » C’est comme ça qu’on travaille avec lui. Mais ici, je savais dans quoi je m’engageais car je savais qui je jouais et je pouvais alors m’adapter aux situations. (Il sourit) J’ai toujours aimé travailler avec Kar-Wai, même si la tâche s’est toujours avérée ardue. Mais pour la première fois, j’étais heureux de tourner avec lui.

Article paru dans Studio Ciné Live – N°48 – Avril 2013