Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, les deux showrunners de Papa ou Maman – La série et également auteur des deux premiers films, Papa ou Maman et Papa ou Maman 2, – et du Prénom – reviennent sur la création de cette variation sur un même thème des longs métrages. Dans la série, le couple se sépare et se bat pour la garde de leurs trois enfants. Si la famille est toute nouvelle, l’histoire est toujours aussi pleine de surprises et l’humour peut-être encore plus décapant. La diffusion de Papa ou Maman – La série commence ce 6 décembre sur M6.
Qui a eu l’idée de cette série ?
Alexandre de La Patellière : Nous y avons pensé pendant le tournage du deuxième film, Papa ou Maman 2. Nous avons eu le sentiment en réfléchissant à ce dispositif autour d’un couple qui se sépare et divorce mais qui reste inséparable d’avoir d’autres idées avec cet ADN un peu politiquement incorrect et doux. Nous en avons parlé avec notre producteur Dimitri Rassam. Nous avons découvert que nous avions une envie commune de développer une série autour de ce sujet.
Mathieu Delaporte : Cette idée qu’ils habitent dans deux maisons face à face est un dispositif parfait pour une série afin de suivre l’évolution de cette famille. De fil en aiguilles une nouvelle histoire est née.
Les séries comiques de 52 minutes sont très rares à la télévision française. Comment avez-vous convaincu M6 ?
AdLP : Nous avons été très bien accueillis. Quand nous les avons rencontrés, nous n’avions pas encore de série, nous en étions au début du développement. Eliane Montane, qui vient du monde de la série [elle a été scénariste, entre autres, sur Scènes de ménages et Dix pour cent], nous a rejoints extrêmement tôt pour développer la série. Dès que nous avons eu les premiers éléments, nous sommes allés voir M6 et ils étaient enthousiastes à l’idée de développer une série comique familiale mais moderne dans son ton.
MD : M6 avait produit les films, le partenariat avec cette chaîné était donc naturel. Cela correspondait aussi à leur envie de produire une série.
AdLP : Et une comédie.
Hippocrate, Papa ou Maman… Les adaptations de film en série peuvent-elles devenir une mode en France ?
AdLP : Quand nous avons créé Papa ou Maman, nous avions l’impression que cette histoire pouvait faire une suite et que c’était intéressant de la développer. Après, quand nous avons écrit le second film, chacun étant des narrations bouclées, nous nous sommes dit que plutôt que de faire un troisième film et de tirer sur la corde, nous pouvions développer une série. Même si nous gardons une forme d’ADN de ton, nous n’avons pas eu le sentiment d’adapter les films car nous repartons à zéro et nous avons inventé une nouvelle famille. Nous sommes partis d’un désir de parler d’une famille française d’aujourd’hui avec des gens un peu fous. C’est une variation sur un même thème plus qu’une adaptation stricto sensu des films.
MD : M6 a été très ouvert. Ils nous ont dit : « Libérez-vous ! » Ils ne nous ont jamais demandé que ce soit fidèle. Ce qui les intéressait, c’était une série sur la famille dans l’esprit des films. Quand nous avons commencé à écrire, nous avons repensé ce couple, sa biographie, le milieu dans lequel il évolue, l’endroit où il vit, les professions, qui sont leurs parents. Avec Éliane, nous avons recomposé toute une famille, différente de celle des films. Nous ne nous sommes pas posé la question du rapport aux films. Nous avons même pensé à changer le titre mais c’est un débat sans fin. Si nous changions le titre, on nous aurait dit que c’était très proche de Papa ou Maman. Nous n’avons pas changé le titre et on nous dit que c’est quand même assez loin de Papa ou Maman. Nous préférons être dans ce sens-là. Nous voulons qu’il y ait une curiosité du fait d’être reparti du même thème. Nous pensons aussi qu’une fois que le téléspectateur sera devant la série, il ne pensera plus au film. Le principal est que la série lui plaise, avec des personnages qui l’intéressent, une intrigue qui le bouleverse et qu’il ait envie de la suivre. Comme nous sommes les auteurs originaux des films et de la série, nous n’étions pas encombrés par tout ça.
Je trouve dommage que dans la série les parents veulent tous les deux la garde des enfants car dans le film le fait qu’ils ne veuillent pas de leur progéniture faisait toute l’originalité du sujet.
AdLP : D’autres choses vont se passer sur les six épisodes. Nous sommes sur une forme de narration qui prend des chemins différents. Nous étions aussi intéressés à ne pas livrer une version télévisuelle des films et ne pas nous répéter. C’était la meilleure manière d’être frais, d’être nouveau par rapport à la proposition. Nous ne voulions pas tirer un fil sur lequel nous avions déjà fait deux films. Cela aurait été de la facilité.
Comment s’est passée l’écriture d’une série car elle diffère encore de celle d’un film ou d’une pièce de théâtre ?
MD : C’est très différent mais c’est une série sérielle. C’est un peu comme un grand film saucissonné.
AdLP : C’est une série très feuilletonnante. C’est une écriture sur la longueur. Nous avons confronté nos univers, avec Eliane et le pool d’auteurs que nous avons constitué. C’est un travail collégial, une écriture commune et c’est formidable comme expérience. Avec Mathieu, nous travaillons à deux dans notre bureau et nous avons l’habitude de ce travail à plusieurs mains. Nous avons donc fait entrer d’autres auteurs dans notre bureau. Dans l’histoire de cette famille, il y a beaucoup de personnages, beaucoup d’intrigues. C’était très amusant de travailler avec des gens d’âges et d’univers différents. C’était une écriture très joyeuse. Nous nous sommes aussi frottés contre quelque chose que nous n’avions encore jamais fait et il y avait ce plaisir de trouver de nouveaux réflexes et une nouvelle manière de travailler si différente. Mais il s’agit toujours de raconter une bonne histoire.
Il faut quand même de l’endurance car un film dure 1h30 alors que votre série tient sur près de six heures. Comment ne pas s’essouffler et surtout garder le rythme quand on sait que c’est un des éléments les plus importants en comédie ?
MD : Le rythme a été notre obsession. Concernant la problématique de tenir une narration sur six épisodes, le travail avec Éliane a été très utile. Après, nous avons pensé la série sous forme de trois soirées avec à chaque fois deux épisodes qui se suivent et se bouclent. Eliane nous disait de faire attention à ne pas tout mettre dans un seul épisode et qu’il fallait en garder pour le suivant. Mais nous voulions qu’il se passe plein de trucs pour que le téléspectateur ne s’ennuie pas. Nous avons avant tout un regard de spectateur et nous trouvons parfois que la fiction de 52 minutes est un peu longue et qu’elle manque de rythme. Nous voulions l’énergie des films et leur rythme. Une fois que le spectateur était attrapé, il ne fallait pas le lâcher. Le rythme nous a demandé beaucoup de travail parce que, dans l’ensemble de la série, nos textes sont plus longs que les textes d’un épisode classique de la télévision française. Il fallait tourner plus vite, que les séquences s’enchaînent. Cela a demandé aussi du travail aux acteurs et au metteur en scène.
AdLP : Notre grande fierté sur cette première saison collective est d’avoir maintenu un rythme qui va crescendo, d’avoir cette sensation que c’est pied au plancher. Cette ambition rythmique était notre guide principal dans l’écriture.
Avez-vous vraiment eu toute liberté face au diffuseur car la télévision a plus de restrictions que le cinéma ?
MD : M6 nous a vraiment encouragés à nous libérer des films. Nous avons aussi dit aux équipes d’écriture que nous ne rentrions pas dans les questions de ce que le cinéma ou la télévision autorise ou non. Si un enfant de 12 ans dit un gros mot, il dit un gros mot. Les enfants devaient parler comme ils parlent dans la vraie vie. Nous allons assez loin sur certaines choses mais c’est toujours dans un esprit bon enfant, comme dans les films d’ailleurs. Et puis, ce sont des gens qui s’aiment. Ils sont un peu barrés mais il n’y a pas de méchanceté. Nous avons demandé à tout le monde de se lâcher sachant que pour qu’une idée soit drôle, elle doit venir des personnages. Ensuite, nous partons du principe que nous faisons ce que nous aurions envie de voir en tant que spectateur. Nous ne pensons pas à la place des gens, nous essayons de faire des films et des séries qui nous font rire. C’est notre moteur. Si cela fait rire les gens, tant mieux. Si un jour ce n’est plus le cas, ce sera triste pour nous. Nous essayons de faire la série la plus drôle et la plus émouvante possible. Nous n’intellectualisons pas plus que cela. Aujourd’hui, le spectateur est assez aguerri et ne regarde pas les mêmes séries qu’il y a 10 ou 15 ans. Il est en demande de séries françaises qui ont du rythme et une narration actuelle.
Comme dans les films vous avez gardé un mélange de différents genres d’humour : il y a de la comédie populaire, des gags visuels, de la comédie d’auteur… Est-ce votre marque de fabrique ?
MD : C’est en tout cas ce que nous cherchons à faire. Nous sommes nous-mêmes des spectateurs très impatients et nous nous ennuyons très vite quand nous avons l’impression que tout est déjà tracé et que nous savons ce qu’il va se passer. Alors nous voulons surprendre le spectateur en changeant de registre. C’est ce qui nous plaît en tant que spectateur. Cela passe par un mélange de différents types d’humour. Il y a des choses très bêtes qui nous font rire et en même temps des choses plus sophistiquées. C’est quelque chose qui nous correspond. Nous avons dit aux auteurs qu’ils se fassent plaisir, qu’ils essayent de nous faire rire. Si cela nous fait rire, cela fera rire les autres.
Voyez-vous l’écriture comme un exutoire pour dire et faire tout ce que vous n’oseriez pas dans la vie réelle?
AdLP : Parfois.
La scène où Florent Peyre insulte l’institutrice est très forte.
MD : C’est un bon exemple. Dans la vie, quand vous craquez, vous ne dites pas « Zut ! ». Ce qui nous a amusés, c’était de voir ce personnage en craquage insulter cette femme qui ne demande rien à personne. C’est drôle et transgressif. Les gens sont assez intelligents pour comprendre que ce n’est pas fait dans le but de dégrader cette femme.
Vous avez aussi créé des enfants qui sont parfois plus matures que leurs parents et des grands-parents qui sont plus modernes dans leur couple que la génération précédente.
AdLP : Nous avons été frappés de voir tous ces clichés dans la fiction française par rapport aux gens de plus de 60 ans, issus des Trente glorieuses, du plein-emploi et de la libération sexuelle et qui n’ont pas été que des bourgeois de province. C’était intéressant de poser un regard sur des gens plus libres et plus rock ‘n’ roll que leurs enfants et d’inverser les rôles. Nous avons vu un milliard de fois ce schéma de parents et de grands-parents castrateurs face à des jeunes qui cherchent la liberté. Nous n’avons pas l’impression que ce soit forcément la vérité aujourd’hui dans la société française. Nous avons un peu poussé les curseurs mais nous pensons que cela correspond à la réalité.
MD : Les jeunes qui avaient 20 ans en mai 68 représentent le troisième mage aujourd’hui. Comme ils vivent plus longtemps, à 60 ans, ils ont 50 ans dans leur tête. Ils sont très libres et n’ont pas du tout envie de s’arrêter de vivre. Et ceux qui ont 50 ans ont 40 ans dans leur tête. Mais ceux qui ont 20 ans en ont peut-être 30 dans leur tête parce que la crise est là. Notre sensation est que les personnes âgées d’aujourd’hui sont plus légères que les jeunes qui sont confrontés à des choses qui sont parfois plus compliquées. Cela nous amuse de parler de cela.
Avez-vous eu votre mot à dire sur le casting ?
AdLP : Tout à fait. Avec le réalisateur Frédéric Balekdjian. Le casting a été long mais passionnant. Par rapport à la scène d’insultes dont nous parlions plus tôt, il nous fallait un acteur qui puisse aller très loin dans le mauvais esprit tout en restant charmant. Nous avons fait cette découverte formidable avec Florent Peyre. La constitution de ce couple désaccordé mais si bien accordé a pris beaucoup de temps et nous avons aussi fait des essais pour tous les petits rôles.
MD : Cela a été agréable pour nous qui venons du cinéma où il y a parfois des figures imposées dans le casting. Là, nous avions totalement les mains libres. M6 ne nous a rien demandé en termes de vedettes. Ce qui était excitant avec cette série, c’était de créer une nouvelle famille pour plusieurs années. Nous avons découvert beaucoup d’acteurs formidables que nous allons d’ailleurs reprendre dans notre prochain film.
L’enjeu était aussi de faire oublier Marina Fois et Laurent Lafitte, les deux acteurs des films.
AdLP : Tout à fait. Nous avons a eu un très grand plaisir à travailler avec Marina et Laurent qui sont de superbes acteurs mais avec la série, nous partions sur de nouveaux personnages et sur une nouvelle famille. Il fallait que ce soit une vraie rencontre, que le couple s’impose à nous. Nous avons vu énormément d’acteurs et d’actrices et fait beaucoup d’essais croisés pour essayer de trouver la bonne paire. Le jour où nous avons fait des essais avec Émilie Caen et Florent Peyre, leur couple a tout de suite marché, comme s’ils avaient 15 ans de vie commune. Ils sont à la fois l’inverse et en même temps très proches. Ils ont beaucoup de douceur et en même temps une belle folie. Une fois que ce duo était formé, nous avons trouvé les grands-parents et les enfants. Le casting a beaucoup nourri les auteurs de la série. C’était un travail en commun et tout le monde voyait l’évolution du casting. Voir les rushs des premiers épisodes a également nourri l’équipe.
MD : Il fallait trouver des gens à l’aise à la fois dans la comédie et dans l’émotion. Il faut aussi rendre hommage à Frédéric Balekdjian car quand nous avons fait le casting pour le metteur en scène, nous en avons cherché un qui vienne plus du drama que de la comédie. Nous pension, en effet, que notre groupe d’auteurs nous fournirait l’humour mais qu’il nous fallait un metteur en scène qui s’attache à faire ressortir le côté vrai de ces personnages et l’émotion. Si la série ne devait être que de la vanne, le spectateur se désintéresserait très vite. Et Fred a fait un super boulot avec les acteurs.
C’est une comédie mais au centre de la série réside quand même un sujet sérieux avec cette famille en crise. Est-ce que le bonheur est ennuyeux à l’écran ?
AdLP : Non. C’était intéressant de montrer qu’il peut y avoir des choses qui peuvent être graves sans être tragiques. La série parle d’une séparation mais aussi du bonheur. Ils s’aiment même s’ils se disputent. Je me méfie parfois du politiquement incorrect et du poil à gratter parce qu’il y a beaucoup de liberté de ton mais c’est aussi une série qui est très positives, qui parle de choses qui sont douces. Vous avez le droit de vous engueuler et de ne pas être d’accord, vous pouvez parfois vous déchirer mais vous pouvez vous retrouver et vous aimer quand même. C’est une façon un peu différente de parler du bonheur.
MD : C’est aussi une façon de revisiter la différence entre le couple et l’amour. Vous pouvez aimer quelqu’un et vous engueuler avec lui ou elle. Vous pouvez ne pas être d’accord avec vos parents mais ce n’est pas pour cela que vous ne les aimez pas. C’était aussi vrai dans Le prénom. Dans le monde, il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre. Il peut y avoir du conflit là où il y a aussi de l’amour. Il existe des gentils qui veulent bien faire mais qui s’y prennent mal. Cela ressemble plus à la vie à nous qui sommes des foireux mais pas des chiens.
AdLP : C’est important. Dans cette série, les gens n’arrivent pas à vivre ensemble mais ils n’arrivent pas non plus à vivre séparer. C’est à la fois drôle et émouvant.
Vous êtes déjà dans l’écriture de la saison 2.
MD : Tout à fait. Je ne sais pas si c’est un secret ou pas, mais c’est vrai.
Fera-t-elle aussi six épisodes. Est-ce suffisant par saison ?
AdLP : Pour le niveau d’exigence d’aujourd’hui. On nous a demandé plus d’épisodes mais nous avons le sentiment que le 6×52 min est un très joli format pour raconter une histoire feuilletonnante. J’espère que cette saison 2 verra le jour mais nous sommes assez confiants.
MD : Nos idées conditionnent la saison. Si nous avons une idée qui peut mieux se développer sur huit épisodes, la question se posera.
Espérez-vous faire une saison par an ?
MD : C’est l’objectif. En tant qu’amateurs de séries, nous trouvons qu’une trop longue attente est assez pénible. Nous faisons donc le pari d’arriver à livrer une saison qui sera diffusée à peu près au même moment chaque année pour qu’il ait un vrai rendez-vous.
AdLP : Nous avons aussi des acteurs enfants qui grandissent vite. Nous voulons profiter du passage à l’adolescence car ce sont des âges tellement passionnants à traiter. Si nous attendons deux ans pour le faire, nous risquons de rater cela.
Crédit photos : © EndelmolShine Fiction/M6