Gamin, il avait Spider-Man peint au plafond de sa chambre et portait des pyjamas à son effigie. Aujourd’hui, à 43 ans, Sam Raimi signe la première grande toile de ce super-héros qu’il appelle avec tendresse Spidey. Sa crainte : que trois générations de lecteurs le détestent pour ça.
Pourquoi pensez-vous que Sony Pictures vous a choisi pour réaliser Spider-Man ?
SAM RAIMI : Je me le demande encore ! (Rires) Quand mon agent m’a demandé si j’étais intéressé par le film, il m’a aussi dit que Sony pensait déjà à seize autres réalisateurs et que je ne devais pas me faire d’illusions. Six mois plus tard, je rencontrais les présidents de Sony et de Marvel Comics. Je leur ai parlé de ma passion pour Spidey, de ce que je voulais faire – c’est-à-dire concentrer l’action du film sur Peter Parker – du style, de la musique… Ils se sont montrés enthousiastes. Deux jours plus tard, le journal Variety annonçait que Sony avait arrêté une liste de trois réalisateurs mais je n’en faisais pas partie. J’étais soulagé car je me disais que je n’aurais pas su comment réaliser ce film. Je plaignais même le pauvre gars qu’ils avaient choisi. (Rires) Et c’est là qu’ils m’ont appelé pour m’annoncer que j’avais le job. J’ai failli leur dire : « Vous êtes sûr ? ». (Rires) Mais j’ai répondu : « Je commence quand ? ». J’étais terrifié.
Le studio vous a-t-il vraiment donné carte blanche pour l’écriture, les acteurs, le montage… ?
Oui, je ne l’aurais jamais cru. Je pensais que le studio essaierait de tout contrôler car Spider-Man est une manne financière très lucrative. Mais non. Ils m’ont écouté et permis de faire le film que je voulais. J’ai eu plus de contrôle sur ce film que je n’en ai jamais eu sur certains autres. C’est une situation unique et c’est pourquoi j’ai déjà signé pour la suite.
Jusqu’où vous êtes-vous impliqué dans l’écriture du scénario ?
J’ai étroitement travaillé avec David Koepp qui a basé son scénario sur celui de James Cameron. J’ai surtout voulu développer de ce que j’aime dans Spider-Man, c’est-à-dire le personnage de Peter Parker. Je n’en avais vraiment rien à faire de Spidey, je voulais un film sur Peter Parker. (Rires) Il est intéressant parce qu’il nous ressemble, il n’a pas beaucoup d’argent, il a grandi dans un milieu ouvrier, il n’arrive pas à s’intégrer, il a des problèmes à l’école… Son égoïsme et son irresponsabilité contribuent à la mort de son oncle et il ne sait pas comment vivre avec cela. Mais quand il prend conscience qu’il doit vivre pour devenir la personne responsable que son oncle souhaitait qu’il devienne, il prend le masque. Et c’est ce qui m’intéresse chez Spidey. Pour moi, il devient un héros en devenant responsable, pas en assommant quelques méchants. (Il réfléchit) Je me sens quand même investi de grandes responsabilités. Les parents vont emmener leurs enfants voir le film et qu’il soit bon ou mauvais, ces enfants vont pointer l’écran et dire : « Je veux être comme Spider-Man ». Je sais qu’il y aura cette admiration et je me devais de mettre à l’écran un personnage qui mérite cette admiration.
N’avez-vous jamais eu peur de faire fausse route ?
A chaque seconde. J’étais continuellement assailli par le doute. Et encore aujourd’hui je me demande si le public va aimer le film parce qu’il contient tant d’éléments négatifs. Spidey n’est pas le héros que l’on imagine, il ne finit pas avec la fille, il tue le père de son meilleur ami…
Pensez-vous que Tobey Maguire était vraiment le meilleur acteur possible pour interpréter Spider-Man ?
Tobey fait un très grand Peter Parker. J’avais besoin d’un acteur dont le jeu est sans artifice, quelqu’un en qui le public peut s’identifier, quelqu’un de crédible, sincère, vulnérable… Tobey a une bonne âme, il est intelligent. Il a aussi une très haute estime du public et un grand respect de la caméra.
Dans une scène on le voit courir, ouvrir sa chemise et…
… On voit le costume de Spidey, comme pour Superman. C’est un hommage à Richard Donner. J’adore son Superman. (Sourire)
Comment avez-vous fait pour les déplacements de Spider-Man dans les airs ?
Au départ, je voulais construire une caméra très légère, de 2 à 3 kg, chargée d’une minute de film, montée sur un système de grues et de poulies, avec des mini moteurs. Elle aurait pu survoler les rues de Manhattan, filer au-dessus des passants et atteindre une vitesse de 60 km/h. Mais la production était certaine que nous perdrions son contrôle et que nous tuerions des gens ! Alors nous avons essayé des tas d’autres choses qui n’ont pas marché, comme des cascadeurs suspendus à des câbles, mais ils n’avaient ni la grâce ni l’agilité acrobatique de Spidey. Puis John Dykstra, le responsable des effets visuels, a proposé un Spidey virtuel. Je n’aimais pas cette idée, je ne pensais pas pouvoir convaincre le public avec un humain virtuel, il ne ferait pas assez réel. Mais au point où nous en étions, nous avons essayé. Et cela marche. Mais parce que Spidey porte un costume. S’il avait fallu créer de la peau ou des yeux virtuels, personne n’y aurait cru.
Pourquoi avoir pris le Bouffon vert parmi tant d’adversaires possibles ?
Encore une fois parce que je voulais faire un film sur Peter Parker. Je voulais l’adversaire qui ait le plus d’interactions avec lui. Le Bouffon vert étant Norman Osborn, le père du meilleur ami de Peter, il y a une dynamique émotionnelle entre Spidey et lui. Quand vous devez tuer le père de votre meilleur ami, il y a de riches possibilités dramatiques.
Avez-vous déjà trouvé son adversaire pour la suite ?
Non. Nous allons déjà réfléchir sur l’évolution de Peter Parker, où il en est, où il va, ce qu’il attend de la vie. Nous mettrons ensuite quelques obstacles sur sa route et son adversaire émanera naturellement de ces réflexions.
Les fans de Spider-Man ont protesté via le Net en apprenant que votre Peter Parker devenait un homme-araignée dont le corps fabrique sa propre toile, alors que dans le comic, il invente la toile et un mécanisme pour la lancer…
Une pétition de 1 500 signatures a même circulé pour que Sony m’oblige à abandonner cette idée !
N’avez-vous pas eu envie de leur faire plaisir ?
Je reste fidèle à l’esprit de Spider-Man. Ses créateurs, Stan Lee et Steve Ditko, voulaient que Peter Parker nous ressemble. Je peux m’identifier à un simple lycéen pas à un génie capable d’inventer ce mécanisme et cette toile. Je voulais raconter l’histoire d’un garçon ordinaire qui devient un être extraordinaire, pas celle d’un garçon extraordinaire qui devient un héros extraordinaire.
N’êtes-vous donc pas un puriste ?
Je le suis dans l’esprit, pas dans la lettre. (Rires)
Article paru dans Ciné Live – N°58 – Juin 2002
Crédit photos : © Sony Pictures
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