« Comique de génie ». « Homme le plus drôle du monde ». Ricky Gervais trouve tout d’abord ces titres embarrassants avant de balayera l’allusion d’un revers de main pour mieux en rire. Parce qu’au fond, il s’en fiche. Avec l’âge, il est devenu philosophe et sait faire la part des choses. Tout ce qu’il veut aujourd’hui, c’est écrire, réaliser et jouer. Et faire rire. Et rire. Parce que pour lui, l’un ne va pas sans l’autre. Il vient de finir Special Correspondents, le remake d’Envoyés très spéciaux où deux journalistes radio ratent leur avion pour couvrir un conflit et, cachés près de la station, envoient de faux flash d’infos. Il reprend le rôle tenu auparavant par Gérard Jugnot. Un personnage qui respire la gentillesse contrairement à la réputation de Ricky Gervais, élevé au rang de « comique le plus cruel du monde » depuis sa présentation des Golden Globes. Il est pourtant le plus avenant des hommes. Confortablement installé dans un fauteuil club de la luxueuse Netflix House, à Londres, il se montre sincèrement chaleureux dans son sourire et sa poignée de main. Son regard pétille cependant de malice, ses neurones à la recherche constante du bon mot ou de la citation spirituelle qui viendra appuyer ses dires. Rencontre.
Pourquoi avez-vous fait un remake du film français Envoyés très spéciaux ?
J’ai aimé cette relation entre les deux hommes et cette idée de fausse guerre. J’aime ces deux types qui se chamaillent tout en essayant de se sortir d’un mauvais pas. Ils ne veulent pas être ensemble mais ils n’ont pas le choix. J’aime ce petit bonhomme, Albert Finch. J’ai tout de suite su que c’était moi. Et en face, pour incarner Franck Bonneville, j’ai pris, Eric Bana, un adonis. Ce film, c’est moi contre Hulk. (Rires)
Vous aimez jouer ce genre de personnage, un peu loser mais qui gagne à la fin.
J’aime les petites résolutions. Il ne finit pas l’histoire sur un cheval blanc et il n’épouse pas la femme qu’il aime. Il lui achète un café. Je déteste les films qui finissent avec un baiser et qui veulent dire « et ils furent heureux à tout jamais ». Une petite victoire sur le moment ne veut pas dire le bonheur éternel. (Il sourit) Dans tout ce que je fais, il y a toujours une part d’existentialisme. Même quand je ne le fais pas exprès.
Savez-vous d’où cela vient ?
Peut-être parce que je suis athée et que je sais que je n’aurai pas plus que ce que j’ai sur terre. Je n’ai aucune raison de mourir mais toutes les raisons de vivre. Je veux donc que mes personnages soient heureux. Si l’un d’eux souffre, il a fait la paix avec sa souffrance. Je ne veux pas priver mes personnages de leurs propres sentiments afin que les spectateurs se sentent mieux dans leur peau. Aujourd’hui, tout ce que nous savons faire, c’est nous apitoyer sur nous-mêmes alors que nous devrions passer notre temps à vivre une belle vie. (Rires)
Vous attirez aussi souvent la controverse dans ce que vous faites. Vous sentez-vous parfois incompris ?
Par les inconnus, oui. Les inconnus vous jugent sur votre réputation. Vos amis vous jugent sur votre vraie personnalité. L’idée la plus fausse que l’on a de moi est que mon humour est cruel. Je ne le pense pas. Quand je suis sur scène, les gens me confondent avec le personnage cruel et idiot que j’interprète parce que j’utilise mon nom. Ils confondent aussi souvent la cible de la blague avec le sujet de la blague. Vous pouvez faire des plaisanteries sur la race, le sexe, les infirmités sans pour autant avoir des préjugés. En fait, c’est même souvent le contraire. Toute blague est bonne à faire, mais cela dépend de la blague. Vous pouvez vous moquer d’une idée ou d’une croyance, vous pouvez vous moquer d’une personne pour son comportement, ses idées, ce qu’elle dit… Mais vous ne pouvez pas vous moquer d’une personne pour des choses qui ne sont pas de son fait : sa race, son sexe, son âge… C’est en tout cas mon code de moralité.
N’êtes-vous pas fatigué de toujours devoir justifier votre humour ?
Cela ne me gêne plus. Au début, j’étais terrifié à l’idée que quelqu’un dise du mal de moi. Je pensais que ma réputation était tout. Aujourd’hui, je sais que ma personnalité est plus importante. Je me fiche de ce qu’un inconnu pense de moi. Quand vous lisez le titre : « Il a des ennuis pour avoir dit ceci ! » Il n’a pas d’ennui, il vient de vendre plus de billets d’entrée parce que vous parlez de lui ! (Rires)
Pensez-vous que la célébrité vous a apporté plus de bonnes choses que de mauvaises ?
Je le pense maintenant. Mais seulement parce que je suis devenu célèbre à 40 ans [il aura 55 ans cette année, NDLR]. Etre célèbre à 15 ans, ce n’est pas une bonne chose car alors cette célébrité vous définit. Elle n’a pas pu me définir car je savais déjà qui j’étais.
Où seriez-vous aujourd’hui si vous aviez été célèbre à 15 ans ?
Mort ! (Rires) Quand j’étais jeune, je voulais être une pop star et j’ai connu un minuscule succès vers 20 ans. J’aurais dû vouloir devenir musicien, je continuerais peut-être à jouer encore aujourd’hui. A 40 ans, je ne voulais pas être une célébrité, je voulais être auteur, réalisateur, acteur. Et si vous avez du succès, vous pouvez devenir célèbre. Mais vous devez savoir pour quoi vous êtes célèbre. Et la célébrité doit être une conséquence pas un but. Certains sont prêts à commettre des actes terribles pour être célèbres. Les tueurs en séries veulent être célèbres. Ce n’est pas bien. (Rires)
Que pensez-vous de tous ces titres de gloire qu’on vous attribue : « Génie comique », « Le Dieu du rire », « L’homme le plus drôle du monde »…
Je trouve cela embarrassant. Personne ne devrait qualifier un comique de génie. Seuls les scientifiques devraient être qualifiés de génies. Mais je trouve cela aussi drôle car quand je finis premier d’un sondage où je suis jugé comme le comique le plus drôle à 17%, je sais qu’il y 83% de gens qui n’ont pas voté pour moi. (Rires) Pour tant de personnes qui m’aiment, il y en a encore plus qui me détestent.
Quand avez-vous réalisé que vous étiez drôle et que vous pouviez en faire votre métier ?
Ce sont deux questions différentes. J’ai réalisé que j’étais drôle quand j’avais 7 ou 8 ans. J’ai réalisé que je pouvais en faire mon métier quand j’avais à peu près 41 ans. (Rires) J’aime rire autant que faire rire les gens. Si je fais rire quelqu’un, c’est génial. Si on me fait rire, c’est encore mieux ! (Rires)
La comédie est quand même le genre le plus difficile. Il est plus facile de faire pleurer.
Vraiment ? Je me sens manipulé quand je vois qu’on essaye de me faire pleurer. Je pense qu’il est plus facile de faire rire les gens. Tombez par terre. (Il sourit) Faites-vous mal. (Son sourire grandit) Cognez-vous la tête. (Il éclate de rire) Cela me suffit. Mais je pense que vous avez raison dans le sens où il n’y a parfois qu’une façon de raconter une blague. Je peux vous raconter une histoire tragique et même si je la raconte mal, vous pourrez la retransmettre à d’autres. Mais si je raconte mal une blague, elle est irrémédiablement gâchée. Il y a quelque chose de magique dans la plaisanterie, quelque chose de fragile. Vous pouvez buter sur un mot, manquer une respiration… Il existe cette théorie : ou vous êtes un comique né et vous avez cela dans le sang ou vous devez travailler très dur pour être drôle. A mes débuts, je pensais que cela me venait naturellement. Puis j’ai réalisé que je travaillais dur depuis 40 ans pour être drôle. (Rires)
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