Dans Mikado, l’autrice-réalisatrice Baya Kasmi explore les relations d’une famille à la vie en marge de la société. Cette œuvre touchante et humaine aborde avec justesse des sujets sensibles telle que la quête de liberté et le besoin d’attache. La comédie dramatique  Mikado, portée par Félix Moati et Vimala Pons, sort en salles ce 9 avril.

Dans Mikado, Patience Munchenbach, Louis Obry, Félix Moati et Vimala Pons vivent en marge de la société

Patience Munchenbach, Louis Obry, Félix Moati, Vimala Pons

L’histoire

Mikado (Félix Moati) et Laetitia (Vimala Pons) vivent dans un camion, avec leurs enfants, Nuage (Patience Munchenbach) et Zéphir (Louis Obry), dont ils n’ont jamais déclaré la naissance à l’état civil. Ils parcourent ainsi les routes, entre deux petits boulots et la fuite des autorités. Une panne les amène à s’installer quelques semaines chez Vincent (Ramzy Bedia), un enseignant qui vit seul avec sa fille Théa (Saül Benchétrit). Chacun expérimente à sa façon cette parenthèse enchantée qui bouleverse l’équilibre de toute la famille.

L'autrice-réalisatrice de Mikado, Baya Kasmi

Baya Kasmi

Qui est Baya Kasmi ?

Réalisatrice, scénariste et actrice française, Baya Kasmi s’est notamment fait connaître pour sa coécriture du scénario du film Le Nom des gens, inspiré de sa propre vie (César du meilleur scénario original en 2011). La même année, elle écrit et réalise le court métrage J’aurais pu être une pute. En 2015, elle signe et met en scène son premier long métrage, Je suis à vous tout de suite, une comédie dramatique explorant les thèmes de l’identité et, déjà, des relations familiales. Elle est, par ailleurs, la créatrice de la série Le Grand Bazar (2019), qui suit, là-encore, les tribulations d’une famille. En 2025, elle cosigne le scénario du Mélange des genres de Michel Leclerc. Mikado est son troisième film en tant qu’autrice-réalisatrice.

Mikado, le titre de votre film, est le surnom de votre personnage principal interprété par Félix Moati. Cela vient-il plus du fameux jeu d’adresse avec les bâtonnets ou de l’ancien terme désignant l’empereur du Japon ?

Baya Kasmi : Je ne savais pas pour l’empereur du Japon. Mais cela correspond très bien au personnage de Mikado : il a ce côté tyran d’un tout petit monde qui, en même temps, le protège. D’ailleurs, il sent bien que s’il en sort, il sera perdu. La référence au jeu d’adresse, en revanche, est totalement assumée. J’adore ce jeu. Il me rappelle l’enfance et ce n’est pas un hasard en effet, puisque c’est le sujet du film : l’enfance et le désir de liberté qui, souvent, l’accompagne. Très vite, j’ai voulu relier ce personnage à son enfance et le mikado sert à ça. Je l’imagine comme un objet transitionnel, quelque chose qui le rassure et qui lui donne l’impression que la vie est régie par des règles qu’il maîtrise.

D’où vient l’idée de ce couple qui, par choix, vit sur la route, avec ses enfants, en marge de toute institution et autorité ?

Vimala Pons, Ramzy Bedia

Je suis partie d’histoires personnelles que l’on m’a racontées. Les hasards de la vie font que dans ma famille élargie, dans mes amitiés, des gens ont été placés dans des foyers ou dans des familles d’accueil. Et cela sans que l’autorité parentale ait été retirée à leurs pères et/ou à leurs mères. Cela veut dire, en gros, que les parents n’étaient pas en mesure de s’occuper d’eux mais continuaient de décider pour eux… Ce paradoxe crée un sentiment d’injustice puissant chez eux et a fondé, en partie, ce qu’ils sont devenus à l’âge adulte. Comment ne pas être méfiant et ne pas avoir peur des autres, quand on a grandi sans protection et sans regard d’amour ? Mais ce qui m’intéressait, c’était surtout de voir ce qu’ils sont devenus. Comment ils se sont relevés, comment on gère ce vide dans la vie qui nous rend différent des autres, comment on en fait une force aussi… Mikado et Laetitia veulent recréer la famille qu’ils n’ont jamais eue mais ils n’ont pas les codes. Ils n’ont donc pas d’autres choix que d’inventer.

Quelles ont été vos références cinématographiques pour Mikado ?

À bout de course (Running on Empty – 1988) de Sidney Lumet [la vie clandestine d’un couple recherché par le FBI avec leurs deux fils, ndlr]. Ce film m’a portée ! L’image de River Phoenix et de sa soif de liberté m’a évidemment influencée pour écrire le personnage adolescent de Nuage. De même que l’image de la fin, lorsque le père laisse son fils sur le bord de la route pour qu’il puisse vivre sa vie. C’est tellement simple, tellement beau. Pour moi, c’est un modèle. Tout en étant politique, Lumet est un très grand cinéaste de l’intime. Je ne me lasse pas de regarder ses films ! En tout cas, nos deux histoires se rejoignent sur ce sujet : comment laisse-t-on partir les gens que l’on aime ?

Vimala Pons, Patience Munchenbach, Louis Obry, Félix Moati

Puisque l’on est dans l’hommage au cinéma américain des années 1980/90, il me faut également citer Un monde parfait (1993) de Clint Eastwood et Gilbert Grape (1993) de Lasse Halström. Et je pourrais ajouter L’Effrontée (1985) de Claude Miller, côté français. Tous ces films parlent d’enfance, de passage à l’âge adulte, d’attachement et de liberté. Ils m’ont marquée quand j’étais adolescente. Le fait est que toutes ces références ont été importantes, car c’est une forme de cinéma dont je rêve, qui allie l’exigence à la simplicité. C’est très compliqué d’être simple ! On parle de films très populaires, tournés vers le public, faciles d’accès et qui paradoxalement parlent de personnages à la marge. Ils sont très intimes, assez sombres et personnels. Je voulais que Mikado ait ce côté intemporel et accessible, qu’il soit solaire et mélancolique, vivant et dramatique. Je voulais aussi provoquer quelque chose de sensuel, qu’on sente les éléments, leurs sentiments de l’intérieur, que ça nous cueille dans le ventre, que ce soit généreux.

Crédit photos : © Marine Danaux / Michael Crotto / Kare Productions / Films Grand Huit