Mark Osborne s’attaque à un monument de la littérature française, Le Petit Prince. Il juge lui-même le livre inadaptable car chaque lecteur s’étant forgé un lien spécifique avec cette histoire aucun film ne pourra jamais satisfaire tout le monde. Bien que ne voulant pas être celui qui aura gâché le livre sur grand écran, il a quand même relevé le défi et pris toutes les précautions possibles pour faire de son film un hommage à l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry.
S’il vous plaît… dessine-moi un mouton…
Mark Osborne : (Il éclate de rire) Personne ne me l’avait encore demandé. (Il prend un papier et un crayon). Voyons voir. C’est difficile. Je devrais préparer une réponse intelligente pour le prochain journaliste qui me le demande pour éviter d’avoir à en dessiner un autre. (Rires) Je vais le faire pendant l’interview.
Vous dites avoir un lien très personnel avec Le Petit Prince, quel est-il ?
J’ai rencontré ma femme à l’université. Quand j’ai décidé d’étudier l’animation, j’ai dû déménager à l’autre bout du pays. Nous avons continué notre histoire à distance pendant un temps mais c’est devenu très difficile et nous nous sommes séparés, ce qui a été assez douloureux. Quand nous nous sommes revus, elle m’a donné son exemplaire du Petit Prince et cela a été une façon pour nous de renouer. Aujourd’hui, nous avons deux enfants et nous sommes encore ensemble pour faire ce film. Je connais donc l’importance de ce livre car il a été important pour nous. Quand nous avons préparé notre déménagement pour Paris afin de commencer le film, j’ai retrouvé les lettres que je lui avais écrites ainsi qu’un exemplaire du livre que je lui avais envoyé. Je ne voulais pas la savoir sans ce livre. Dans une des lettres, j’ai écrit : « Ce livre a changé ma façon de voir le monde. Maintenant je vis ma vie en m’inspirant du Petit Prince. » Ce livre a vraiment changé ma façon de penser. Il a eu un impact sur ma vie et il a permis de nous retrouver, ma femme et moi. Et quand j’ai partagé ce livre avec mes enfants, j’ai vécu cette expérience que le livre est supposé vous faire vivre, à savoir vous aider à les comprendre et à vous mettre à leur niveau. Il vous dit d’arrêter parfois de penser comme un adulte pour mieux vous rappeler votre enfance et pour mieux comprendre les enfants. Ce livre et ses messages aident à nous rapprocher les uns des autres. La Petite Fille du film vit sa propre aventure et comprends les aspects du livre dont elle a besoin en tant qu’être humain. Le livre fait partie de son propre parcours tout comme il l’a été pour mon propre parcours dans la vie.
De tous les messages du livre, lequel est pour vous le plus important ?
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » C’est celui auquel je pense souvent, qui m’accompagne tout le temps, qui m’inspire le plus et qui me semble le plus universel. C’est étonnant le nombre d’interprétations qui en existe. Le film est né de ce message : découvrir ce qu’il signifie pour la Petite Fille, raconter comment il l’influence et combien nous avons besoin de ce message. Quand j’ai lu le livre à mes enfants, j’ai réalisé que Le Petit Prince n’est pas un livre pour enfants mais pour les adultes. C’est un livre qui nous dit : « Ne grandissez pas ! » (Rires)
Mais vous n’avez pas mis tout le livre dans votre film, seulement quelques éléments.
Il était impossible de mettre tout le livre en stop motion. Choisir ce que nous garderions était un des défis terrifiants que nous avons dû relever. Je devais faire en sorte que l’histoire de la Petite Fille coïncide avec l’histoire du Petit Prince mais le livre contient trop d’idées et d’éléments pour tous les prendre. Nous avons fait un travail éditorial et choisi ce qui nous paraissait le plus important et nécessaire. Les meilleurs films sont toujours les plus simples. Nous voulions que les spectateurs comprennent le film, qu’il leur parle. Dans notre première version, le Petit Prince visitait six planètes mais c’était encore trop. Celle du Buveur a été la première à être supprimée car je ne peux pas montrer quelqu’un de soul dans un film pour enfants. Structurellement, visiter cinq planètes était encore trop mais nous ne pouvions pas raconter l’histoire que nous voulions avec moins. Chacun apporte sa propre spécificité et son message. Pour ceux que nous ne pouvions inclure physiquement, nous montrons quand même leur dessin. Dans l’histoire, La Petite Fille a quand même vécu l’expérience avec eux, même si nous ne la montrons pas en train de vivre cette expérience. Nous avions tant d’histoires à raconter. Même pour la partie en images de synthèse nous avons dû faire des choix. Un réalisateur se doit d’être discipliné et j’ai retiré tout ce qui ne fonctionnait pas ou ne servait pas mon histoire. Je peux discuter sans problème avec quelqu’un qui aime le livre et qui me reprochera de ne pas avoir mis tel ou tel élément. Mais je ne veux pas avoir quelqu’un qui me dise qu’il ne veut pas voir mon film parce qu’il aime trop le livre. Je veux que les gens me disent : « Votre film me rend nerveux mais je pense sincèrement que vous avez protégé le livre. » Je veux que les gens prennent le risque d’aller voir le film car ils seront agréablement surpris par l’hommage que nous lui rendons.
Dans le film, vous créez la planète des adultes. C’est votre façon d’ajouter un 28ème chapitre au livre d’Antoine de Saint-Exupéry ?
Ce n’est pas nécessairement une suite. Pour moi, le livre a une fin ouverte absolument parfaite. J’aime quand un livre vous laisse encore vous poser des questions. Quand vous le finissez, vous vous rendez compte que ce livre parle de la foi. Il est parfait. Au début du projet, l’une des scénaristes, Irena Brignull, nous a dit : « Le Petit Prince ne doit pas être trop présent dans le film en dehors de sa présence dans le livre car je ne pourrais jamais lui rendre justice. Personne ne le peut. » C’est une des choses pour lesquelles nous nous sommes montrés prudents. Nous prolongeons le livre d’une certaine façon mais nous ne voulons pas suggérer que nous osons le faire, si vous voyez ce que je veux dire. Je préfère dire que je raconte une histoire qui existe dans le même univers que le livre a créé. Je sais que c’est une pirouette de dire cela mais je sais que je ne pourrais jamais créer une image aussi intéressante que celles créées par Antoine de Saint-Exupéry et prétendre qu’elle doit compléter le livre. (Il me montre le mouton qu’il est train de dessiner.) Regardez-le, il ne ressemble à rien. Comment dessine-t-on un mouton ? Je suis comme l’Aviateur, je ne sais pas dessiner !
Pourquoi ce choix de ces deux techniques, la stop motion et l’image de synthèse ?
J’ai expérimenté quasiment toutes les techniques d’animation pendant mes études et le mélange de deux techniques m’a toujours passionné. C’est la beauté de l’animation : vous pouvez utiliser différents média pour montrer différents aspects d’une histoire, donner différentes impressions et faire éprouver différentes émotions. Ce mélange est à la fois une façon de rendre hommage au livre et d’être relié aux dessins du livre. La stop motion est parfaite pour exprimer le contenu du livre. Honnêtement, quand j’ai proposé cela comme une façon de repousser encore les limites de l’animation, je ne pensais pas que ce serait accepté. Mais c’est comme même cool de pouvoir créer ces deux mondes et de les faire coexister.
Avez-vous créé le visage de l’Aviateur en vous inspirant de celui d’Antoine de Saint-Exupéry ?
Avant même de créer le design de l’Aviateur, je pensais au lien qu’il nous fallait avec Antoine de Saint-Exupéry. Il était clair pour moi que l’Aviateur était Antoine de Saint-Exupéry tout en étant une personne différente car dans le livre, le narrateur n’est pas écrivain. C’est aussi le dernier livre écrit par Antoine de Saint-Exupéry qui est mort bien avant son heure. Nous ne voulions pas faire croire dans le film qu’il était toujours vivant. Nous avons donc créé un personnage fictif proche de lui. Son look et son design viennent directement de l’imagination de Peter de Sève. Nous voulions un Aviateur âgé, séduisant et charmant et surtout pas menaçant ni effrayant. Les gens pensent qu’il est effrayant parce qu’ils le croient fou mais il ne pouvait pas être réellement fou. Peter de Sève a créé les dessins, Jeff Bridges a créé la voix et nous avons associé les deux. Si vous êtes vraiment fan d’Antoine de Saint-Exupéry, vous verrez de petits détails dans le film qui font penser à lui. J’aime à penser que chaque élément de notre film, petit ou grand, en image de synthèse ou en stop motion, émane du livre. Il y a de nombreuses répliques dans le film qui sont des citations du livre. Si vous aimez le livre, vous verrez que le film est un vrai hommage et que nous l’honorons du mieux que nous pouvons. (Mark Osborne a fini son dessin : un petit mouton noir dans une caisse ouverte.)
Je peux le twitter et le mettre sur Internet ?
Ah non ! C’est trop mauvais. Donnez-moi du temps et je vous en fais un autre nettement mieux.
Et il a tenu parole :
Interview réalisée sur le tournage du Petit Prince, à Montréal – 19 juin 2014
Crédit photos : © 2014 LPPTV – Little Princess – ON Entertainment – Orange Studio – M6 Films