19 ans après Incassable et 3 ans après Split, le réalisateur conclut sa trilogie sur ses héros et méchants aux pouvoirs surnaturels avec Glass. Ses trois personnages, David Dunn, Kevin « La Bête » Crumb et Elijah « Mr. Glass » Price, se retrouvent ou se découvrent et s’affrontent pour le meilleur et surtout pour le pire. Réunir ces trois protagonistes et ces trois acteurs était pour M. Night Shyamalan un pari très risqué mais il semble que la bonne fortune ait été de son côté dès le début du projet. Glass sort en salles ce 16 janvier.
Comment est venue cette idée de votre nouveau caméo ?
Quand j’ai joué ce personnage de gardien de la sécurité dans Split, j’allais mettre ces lignes de dialogue où je fais référence à Incassable. C’était dans une des premières versions du scénario de Split. Puis je me suis dit que les gens comprendrais cette référence et la fin d’aurait alors plus d’effet de surprise. J’ai donc retiré ce dialogue de Split et je l’ai mis dans Glass.
Quand avez-vous réalisé que faire Glass était enfin une possibilité ?
C’était étrange… Quand vous vous souvenez des choses, avec le recul, vous avez tendance à tout idéaliser. Cette aventure a demandé beaucoup d’actes de foi. L’un d’eux était de faire Split avec cette référence au monde d’Incassable à la fin. Je ne savais pas si cela allait fonctionner. On s’est donc dit qu’il fallait avant tout faire un excellent thriller. Comme ça, si le twist ne marchait pas, il nous restait quand même un excellent thriller qui pouvait être autonome. La première version que nous avons livrée n’avait pas cette fin. Le film commence avec l’enlèvement des filles et s’achève avec La Bête se regardant dans le miroir. C’était une façon saine de faire ce film. Puis, on a obtenu les droits de Disney pour le personnage de David Dunn. Les gens de Disney ont été incroyablement bienveillants car ils ont dit oui. S’ils avaient dit non, c’était la fin de la conversation. « Pouvons-nous utiliser le personnage principal d’un film de votre catalogue ? Sans vous payer ? Et le mettre à la fin de mon film ? » Et je pense que ça a marché parce qu’ils sont vraiment gentils, qu’ils ont vu Split comme un petit film – et c’était un petit film, à 9 millions de dollars –, que c’était sympa de faire un petit film, qu’ils ont pensé que je voulais faire un clin d’œil à la fin. Et quand le film a connu le succès, les choses se sont un peu compliquées. Et je me suis demandé comment j’allais m’en sortir. Vous savez comment les studios sont avec la distribution de leurs produits. J’allais devoir demander à deux studios [Disney possède les personnages d’Incassable et Universal ceux de Split] d’abandonner l’un de leurs marchés au profit du studio concurrent. Soit le domestique soit l’international. Et ils devraient faire un choix. Sauf s’ils voulaient bien faire 50-50 dans toute l’affaire. Qui allait prendre cette décision commerciale qui n’avait aucun sens ni pour l’un ni pour l’autre ? Mais ils adoraient les films, ils me soutenaient dans cette aventure même si elle était vraiment inhabituelle. J’avais le sentiment que ce serait un projet gagnant pour les deux car c’est un petit budget. Je paye pour les films. Ce sont mes films. Puis je leur livre et ils les distribuent. Ils se sont montrés très chaleureux, merveilleux et encourageants. Mais tout aurait pu changer en une seule journée, qu’une seule personne dise « Night, on ne fait pas ce genre de choses, donc c’est non. » et on n’aurait pas cette conversation. On a eu beaucoup de chance. Je ne pensais pas que ça marcherait. C’est vraiment un projet si inhabituel.
Comment décririez-vous votre collaboration actuelle avec Jason Blum?
Jason et moi avons une relation unique. Sa société, Blum House, produit la plupart des films de Jason. Ce n’est pas le cas avec mes films. Je paye pour mes films et j’engage Jason en tant que producteur mais plus comme un conseiller ou si j’ai besoin de lui pour quelque chose d’imprévu. Jason est quelqu’un de calme et j’aime ses conseils. Quand je panique ou que je manque de confiance en moi, il peut dire : « Calme-toi. Je ne pense pas que tu devrais faire ça. » Je l’écoute vraiment mais pas tant pour le côté créatif, plus pour le côté business. « Comment convaincre Disney et Universal, comment je les approche pour négocier… » J’ai ce genre de conversations avec Jason. C’était quand même sans précédent ce deal avec Disney et Universal. (Sourire)
Qu’avez-vous essayé de faire avec Glass ?
J’aime à penser que les films, les grands films, ont toutes les scènes qui parlent de la même chose. Tout tient en une seule conversation qui mène à quelque chose de plus grand. Prenez Kramer vs Kramer. Chaque scène est à propos d’une seule conversation mais à différents moments de cette conversation. Tous les grands films fonctionnent comme ça. Que ce soit Le Parrain ou un autre film, ils fonctionnent tous sur ce même principe. Dans Glass, la conversation porte sur l’opposition entre la croyance et le doute. « Pouvons-nous croire que la grandeur existe en nous ? Suis-je celui que je crois que je suis ? Ou pas ? Est-ce que la croyance et le doute peuvent coexister ? » Vous avez la réponse à la fin du film.
Incassable et Split sont deux films très différent visuellement. Est-ce que Glass se situe entre les deux ?
Oui. Il y a des références visuelles des deux films. Mais Glass peut être vu comme étant un film autonome. Certains spectateurs n’auront pas vu les deux premiers films. Nous avons fait une projection test, plus de la moitié du public avait vu les deux premiers films. Mais il y en avait une partie qui n’avait vu que l’un d’entre eux et une autre partie qui n’en avait vu aucun. La bonne nouvelle est que tous ont eu la même perception du film. Glass devait être aussi autonome que les deux premiers films. Il y a beaucoup de références dans les couleurs et le style est le même. Il y a des flashbacks d’Incassable et ce sont des scènes que je n’avais pas pu mettre dans le film Incassable. Il y a donc des scènes que j’ai filmées il y a 19 ans ! Cela donne un côté Boyhood assez bizarre [Boyhood est un film de Richard Linklater qui raconte une histoire sur 12 ans où les personnages sont les mêmes acteurs filmés régulièrement pendant ces 12 ans]. Vous montez des scènes avec les mêmes acteurs mais à 19 ans d’intervalle. Sans effets spéciaux. C’est vraiment cool.
Aviez-vous un plan de secours si Bruce Willis, James McAvoy ou Samuel L. Jackson refusait de reprendre son rôle pour Glass ?
Non. Et c’est ce qui était le plus effrayant dans ce projet. Je n’avais encore jamais écrit un scénario où des acteurs spécifiques devaient jouer des personnages spécifiques. D’habitude, si l’acteur que je veux dit non, je peux en trouver un autre. Avec Glass, j’avais vraiment besoin de James, Sam et Bruce. Si un seul d’entre eux ne voulait pas faire ce film ou n’était pas disponible pour le faire ou qu’une raison quelconque empêchait l’un d’eux de le faire, je ne faisais pas le film. C’était très effrayant car je suis vraiment tombé amoureux de cette idée. Mais encore une fois, j’ai eu de la chance.
Il paraît que Samuel L. Jackson déteste multiplier les prises. Est-ce vrai ou est-ce une légende urbaine ?
Il ne m’en a pas parlé. Il a tendance à se plaindre. Rien qu’en entrant sur le plateau, il peut se plaindre de devoir trop marcher pour arriver là. Mais même quand j’étais un gamin et que je le dirigeais, je voyais qu’il aboyait mais qu’il ne mordait pas. C’est juste un jeu. Derrière, il y a un vrai artiste qui vous donne ce dont vous avez besoin. C’est à moi de dépasser ça, de me montrer mature, de le laisser jouer avec ça puis de continuer à avancer. « OK ; mais peut-on essayer ça cette fois ? » « Pas question, putain. » Je dois alors rester cool. « C’est ce que je recherche, tu sais. » A moi de trouver une parade. Je dois agir différemment avec chaque acteur. C’est mon boulot, en tant que réalisateur face à des stars. C’est dur de diriger des acteurs qui ont accompli tant de choses et qui ont réussi en ayant confiance en eux-mêmes. Et là, vous leur dites : « Fais-moi confiance. Juste cette fois, sur ce film, laisse-toi aller et fais-moi confiance. » Quand vous regardez le film, leur performance vous laisse pantois. James, Sam, tout le monde. Même Bruce apporte une vraie humanité et c’est ce que vous voulez voir venant de lui. J’ai vraiment eu beaucoup de chance qu’ils me fassent confiance. Ce n’est pas quelque chose qu’ils donnent à tout le monde.
Pourquoi avez-vous choisi Sarah Paulson ?
Je n’étais pas sûr si le personnage du psy allait être un homme ou une femme. Maintenant, il est évident qu’il fallait que ce soit une femme. Mais quand j’écrivais le scénario, j’avais l’idée de l’acteur que je voulais si le personnage était masculin et je voulais Sarah si le personnage était féminin. Quand j’ai rencontré Sarah, j’ai su que ce devrait être elle. J’avais besoin de quelqu’un qui pouvait s’asseoir face à chacun d’entre eux, qui pouvait faire face à ce qui arriverait et qui pouvait les pousser, acteurs et personnages. Elle devait avoir de la force morale et de la technique. Pour moi, les scènes dans Split entre Betty Buckley [la psy de Split] et James sont au cœur du film de par leur affrontement. J’avais besoin de ça pour Glass, une sorte de sparring partner parce que toute l’action du film sont des scènes de dialogues et j’avais besoin d’une actrice qui entre de plein pied dans le combat. J’avais donc besoin d’une actrice de classe mondiale et Sarah est géniale. Les spectateurs n’ont pas encore vu l’étendue de son talent, de ce qu’elle sait faire. Et j’ai de la chance d’être celui qui leur fait découvrir ça.
Vous montrez souvent un monde très sombre et très violent dans vos films. Cela reflète-t-il votre état d’esprit quant au monde d’aujourd’hui ?
Je ne sais pas pourquoi. En fait, je suis une personne très ennuyeuse. On plaisante toujours sur ça : si on devait faire une émission de reality chez moi, ce serait du genre : « Et aujourd’hui, on va parler de ma fille et de son A-, comment elle aurait pu avoir un A, comment elle pourrait mieux étudier… » Vraiment ennuyeux. Ce serait le contraire des Kardashian, il ne se passerait absolument rien. Donc ma vie est vraiment l’opposé de tout ça. Mais cela vient probablement de l’anxiété ou de l’inquiétude. C’est comme une thérapie de parler des choses qui me touchent ou qui m’inquiètent dans ma vie ou dans la société. Une thérapie par l’art. Mais si vous regardez bien, c’est une vision toujours très optimiste du traumatisme. Mes personnages traversent des expériences très sombres mais ils en sortent encore plus forts ou avec quelque chose qui les a changés de manière positive. Même Casey. A la fin de Split, après toute l’horreur qu’elle traverse, elle est désorientée car elle se sent mieux, elle se sent exister, elle se sent plus forte et plus équilibrée. La positivité s’immisce lentement.
Crédit photos : © Universal Pictures / Disney
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