Le réalisateur Jean-François Richet le clame haut et fort : « Le cinéma est un voyage ! ». Avec L’Empereur de Paris, il entend nous transporter dans l’Histoire de France pour une immersion totale dans le Paris de 1810 afin de suivre Eugène-François Vidocq, le bagnard devenu chef de la police, dans un grand film d’aventure doté d’une touche de polar, de pas mal d’action mais aussi de romantisme. Un long métrage qui avait besoin d’un casting de rêve et qui nécessitait des moyens. Beaucoup de moyens. L’Empereur de Paris sort en salles ce 19 décembre.
Passionné d’Histoire de France, Jean-François Richet a toujours voulu faire un film sur l’Empire. Après ses deux films sur Mesrine, il a même écrit pendant huit ans un dyptique sur Lafayette qu’il entend bien réaliser prochainement. En attendant, il s’est attelé à un autre héros de cette époque : Eugène-François Vidocq. « Eric et Nicolas Altmayer m’ont proposé un scénario écrit excellemment par Eric Besnard, explique le réalisateur. Je n’avais jamais lu un script aussi parfaitement structuré depuis les Mesrine. Mais la tonalité n’était pas pour moi. Elle était trop légère et s’apparentait à un film de cape et d’épée. Je voulais traiter Vidocq un peu comme Mesrine : raconter une partie de notre histoire par rapport à un ‘petit’ personnage. Avec Eric, nous avons donc travaillé sur un univers qui me ressemblait plus. »
Ce « petit personnage » a néanmoins déjà fait l’objet d‘une dizaine d’adaptations au cinéma et à la télé. C’est d’ailleurs l’une d’elles qui a fait capoter L’Empereur de Paris il y a presque 20 ans. Alors que les frères Altmayer se lancent dans le projet avec leur société de production Mandarin Films, ils doivent déjà le remiser, battu sur le fil par le Vidocq de Pitof. Il y a deux ans, le scénariste original Eric Besnard leur dit que c’est le moment de le sortir de sa naphtaline. « Le scénario avait toujours les bases d’un très grand film, raconte Nicolas Altmayer. S’est alors posée la question de savoir qui pouvait incarner Vidocq, héros d’un long film d’aventure. Il nous fallait un acteur physique et charismatique sur lequel nous pouvions monter un financement. Vincent Cassel était une évidence. Nous avons ensuite pensé réunir le duo de Mesrine. Jean-François Richet sait mêler le spectaculaire et l’intime et il a compris l’ambition d’un tel projet. La surprise a été de découvrir qu’il était également un passionné de l’Empire. »
Un décor tiré au cordeau
Au point que le réalisateur est perfectionniste et intraitable sur la réalité historique, entraînant dans son sillage son chef décorateur Emile Ghigo et son chef costumier Pierre-Yves Gayraud. « J’ai dit à Eric et Nicolas que je voulais une immersion dans l’époque, souligne Jean-François Richet. Comme avec Mesrine, quand j’ai voulu la place de Clignancourt, il me fallait toute la place. Ici, j’ai demandé le quartier de la Bièvre. Nous avons reconstruit cette mythique rivière qui traversait Paris, ce qui n’a jamais été fait avant, il me semble. » La production a donc construit des décors en dur dans un énorme backlot à ciel ouvert créé pour l’occasion sur l’ancienne base aérienne de Brétigny-sur-Orge, avec des rues dont les pavés ont été posés comme à l’époque – et reposés quand Jean-François Richet les trouvait trop bien alignés -, des grandes places, des marchés et des bâtiments tarabiscotés reconstitués à partir de plans originaux. Les costumes ont reçu le même traitement authentique et minutieux, jusqu’aux boutons. « Les producteurs m’ont suivi, s’étonne encore le réalisateur. C’est incroyable. Unique. Ils m’ont laissé rêver quand la version du scénario coûtait encore 36 millions d’euros. Ils ont protégé l’artistique. Ensuite, nous sommes entrés dans le vif du sujet et nous avons fait des choix : que gardons-nous et pourquoi ? »
Commence alors un gros travail de réécriture qui a permis de baisser le budget et d’améliorer le scénario. Le projet effraye car non seulement ce n’est pas une comédie, mais en plus, c’est un film d’époque. « Le problème est qu’au moment du montage financier, la situation avait beaucoup changé : l’apport des chaînes de télé était nettement plus restreint, remarque Eric Altmayer. Le déplafonnement du crédit d’impôt nous a cependant permis de garder le film en France et de compenser en partie la baisse du financement des télévisions. Nous avons aussi reçu le soutien de Gaumont avec qui nous sortions d’une belle série de collaborations grâce à Chocolat, Pattaya, Brice 3 ou encore Patients. Nous avons réduit nos premiers devis jusqu’à un budget, encore très conséquent, de 23 millions d’euros. Mais la contrainte peut être bénéfique pour l’artistique. » Dix-sept versions du scénario plus tard, le tournage pouvait commencer.
L’Empereur de Paris est basé sur les mémoires d’Eugène-François Vidocq mais s’attache à une période bien spécifique de sa vie : de sa naissance à son entrée officielle de la police en passant par son évasion du bagne et son travail d’indic. « Vidocq propose de collaborer avec la police contre une lettre de grâce qui lui permettra de retravailler et de circuler, rappelle Jean-François Richet. Sa force est de connaître toute la voyoucratie et d’en comprendre l’argot, contrairement aux policiers. Comme tous mes personnages, il dit aussi non au déterminisme social. Dire non, c’est le début de la liberté. Mais à quel point doit-il se faire violence pour être libre ? Quel prix doit-il payer ? Quand il rencontre des gens pour qui il a de l’affection, cela devient encore plus difficile et il doit faire des concessions. Pour arriver à ses fins, il va affronter deux ennemis dont un qui lui aura sauvé la vie. Peut-il l’éliminer ensuite pour être libre ? Doit-il retourner dans l’enfer du bagne ou se perdre lui-même ? Quel que soit son choix, il a perdu d’avance. Son plus grand ennemi finalement, c’est lui-même. »
Une évocation du monde actuel
Processus dramaturgique oblige, le film met en scène des personnages fictifs et des situations inventées tout autant que des personnalités historiques et des événements réels. Et il n’est pas sans parler du monde actuel. « J’aime quand l’histoire nous questionne sur notre présent, affirme Jean-François Richet. Il y a une scène où Joseph Fouchet [ministre de la Police sous l’Empire] parle de ce qu’est la France, du fait de vivre en collectivité, du prix à payer pour avoir la paix…. Mon Fouchet, c’est Fabrice Lucchini. Et il dit tout cela excellemment bien. » Le réalisateur a voulu entourer Vincent Cassel – dont il dit que « Vidocq est sa meilleure incarnation à ce jour » – d’acteurs « qui servent leur personnage. S’ils sont bons et qu’ils sont incarnés, je sais que ça va le faire. Et ça le fait. » Ses comédiens viennent ainsi d’univers différents, choisis sur casting ou parce qu’il connaissait déjà leur travail comme Olga Kurylenko – « une nature, simple, cool, un Stradivarius, vous lui demandez quelque chose et elle le fait à la virgule près » – ; Freya Mavor – « quand je l’ai castée, elle a été la seule à m’avoir fait une proposition de jeu à laquelle je ne m’attendais pas » – ; ou encore August Diehl – « je ne le connaissais pas et lui aussi m’a impressionné au casting ». Ils interprètent respectivement une baronne russe, une fille de la révolution qui a rejoint l’Empire et un monarchiste désabusé. D’autres acteurs jouent un capitaine des hussards, un policier bonapartiste, un bagnard, une fervente républicaine… Il y a aussi un Lafayette, un Ney, un Bonaparte… Et parmi eux se trouve celui que l’on nomme l’Empereur de Paris. De la même manière que la France a Napoléon, Paris a son empereur – un titre plus honorifique qu’officiel, et même parfois autoproclamé, qui, à des niveaux différents (politique, social ou policier), a beaucoup de prétendants. « Mais le véritable Empereur de Paris n’est pas Vidocq, prévient Nicolas Altmayer, même si à la fin du film nous disons que c’est lui. D’où ce choix de titre. Il fallait aussi nous distinguer du film de Pitof et des feuilletons. Vidocq sent trop le film de reconstitution historique. Nous voulons affirmer une proposition et un héros modernes malgré l’époque et vendre un grand film d’aventure et non un biopic. ».
Jean-François Richet et les producteurs ne s’interdisent pas de rêver à une suite car Vidocq a traversé plusieurs époques : l’Empire, la Restauration, la monarchie de Juillet… Mais comme le précisent les deux frères : « Pour qu’il y ait une suite sur un film de cette ampleur, il faut que le premier opus soit vraiment un carton. »
Article paru dans Studio – N°1 – Juin-août 2018
Crédit photos : © Roger Arpajou / Mandarin Films / Gaumont