Jean-Paul Belmondo aimait dire : « Quand la réalité est déplaisante, la fiction demeure le recours idéal. » Sa réalité n’a pas été déplaisante, bien au contraire, comme il le racontait dans son autobiographie, Mille vies valent mieux qu’une (Fayard, 2016). L’acteur s’est éteint ce 6 septembre, à 88 ans. Voici, en quelques citations, un aperçu de sa vie faite de passions et de rires et une esquisse de l’homme derrière le comédien.
Pour Jean-Paul Belmondo, être comédien signifiait rester un enfant, être aimé et empêcher le sérieux de prendre possession de sa vie.
« Le cinéma m’a mis sous les projecteurs en 1960 et je n’en suis jamais sorti. Jean-Luc Godard, avec A bout de souffle, a scellé mon destin, celui que je voulais : être un acteur qu’on désire, que les réalisateurs recherchent, que les spectateurs aiment, être plusieurs, pouvoir prendre tous les costumes, interpréter une myriades de rôles et explorer l’humanité. Et surtout, surtout, m’amuser, jouer. […] Il n’y avait pas d’autre moyen de rester dans l’enfance, de privilégier l’amusement sans être condamné à Sainte-Anne et mis au banc de la société des gens ordinaires. Et il n’était pas question d’intégrer ce groupe majoritaire en consentant à devenir adulte et chiant comme la pluie. »
Il a pensé devenir berger…
« Toute ma vie, j’ai eu en moi une bipolarité non pathologique qui me fait aspirer en même temps à deux modes d’existence parfaitement antagonistes. Un premier appétit m’entraîne à mener une vie de bamboche, à brûler mes forces comme une cigarette, à faire sauter tous les cadres, y compris horaires, en inversant le jour et la nuit, à consumer les choses et liquider les bouteilles de whisky, à multiplier les canulars, à pousser la vitesse à son maximum, à jouer aux jeux dangereux de l’argent, de l’amour et de l’oisiveté. […]
Mais, de l’autre côté, je rêve de tranquillité sous un ciel clair, de me retirer du monde et du bitume pour m’étirer en face de quelques vaches. La compagnie de ma famille suffit amplement à mon bonheur et la modestie chaleureuse des petits logis en bois me convient davantage que la prétention des palais. Laisser couler les jours me semble être une occupation idéale, parce qu’essentielle. »
Lui et son image
A 15 ans, Jean-Paul Belmondo s’est fait casser le nez dans une bagarre de cour d’école contre des élèves plus âgés. Cet incident a dessiné un peu plus son physique que beaucoup qualifiaient de « particulier ».
« Je me suis accommodé, voire amusé, de cette réputation d’acteur moche, mais charmant. Lorsque ce fameux professeur du Conservatoire, Pierre Dux, m’a lancé : ‘Vous ne tiendrez jamais une femme dans vos bras au théâtre ou au cinéma’, il ne m’a pas blessé autant qu’il aurait dû, car je sentais que je le ferais mentir. […] Sans mon nez de bosseur, je serais certainement resté un simple figurant. Sans lui ma légende aurait été moins haute en couleur et mes manières courtoises de jeune homme de bonne famille n’auraient pas été contrebalancées par un petit air marlou offert par la difformité de mon appendice nasal. »
Venant du théâtre, ses premiers pas devant une caméra le laissaient dubitatif. Il rechignait à se voir sur un écran.
« C’est une nouvelle sensation que de n’avoir d’autre public que ses partenaires ; c’est comme de jouer sans miroir, dans le vide. Je ne sais pas ce que je donne sans réaction immédiate. À l’inverse, je peux me voir après et me critiquer, car je perçois exclusivement mes défauts. Surtout, ce que je visionne après coup ne correspond jamais à ce que j’ai eu la sensation de faire : le ‘je’ de la pellicule est un autre que celui du plateau. Et cette distorsion me dérange trop pour la rechercher. Durant toute ma carrière, j’ai veillé à m’éviter à l’image : je me suis choisi acteur et me suis refusé spectateur. »
Lui et la presse
Jean-Paul Belmondo respectait le verdict du public et méprisait les critiques de la presse.
« Ce parti pris, que le public a toujours raison dans ses choix, toujours et avant tout, je ne m’en suis pas départi. Et il m’a toujours semblé que les critiques faisaient preuve de la plus grande arrogance et bêtise en se permettant de remettre en question les goûts et les couleurs des spectateurs. Encore aujourd’hui, je suis convaincu qu’un bon film fait l’unanimité chez les gens de bonne foi et qu’il se passe dès lors fort bien de critiques positives ou négatives. »
Il détestait les médias qui s’incrustaient dans sa sphère intime.
« Ils ont l’air de trouver normal que j’aie à payer le prix de la notoriété – une curiosité qui, à force d’être incessante, devient malveillante. Ces médias s’arrogent des droits qu’ils n’ont pas, des pouvoirs qu’ils ne méritent pas toujours. […] Nous n’étions jamais protégés de l’assaut d’un photographe mandaté par un canard people. Ça me mettait dans des colères froides qui n’excluaient pas toujours les poings. Je ne tapais jamais gratuitement. Ne pas m’avoir demandé l’autorisation pour me choper avec un appareil photo dans mon intimité constituait un motif nécessaire et suffisant pour que je m’énerve. »
Il regrettait qu’on ne l’aime pas dans les rôles sérieux.
« Si je ne fais pas un truc fou dans un film, une cascade quelconque, si je ne sors pas d’idioties, si je n’exécute pas de pirouettes, si je ne vais pas de liane en liane, si je me mets à être un acteur parlant avec un texte pensé et profond, on m’en veut, on m’étrille. Je me dois de garder mon emploi : acteur bouffon, gymnaste comédien, interprète dingo. En sortir est un crime de lèse-opinion. C’est dommage parce que, si j’ai choisi ce boulot, c’est justement pour changer sans cesse de costume. Alors, il faudra qu’ils s’habituent. »
Lui et la rigolade
Jean-Paul Belmondo a passé sa vie à faire les 400 coups notamment sur les tournages. Sa passion pour les jeux stupides ne s’est jamais tarie. Et il trouvait toujours un complice pour y participer.
« L’un de mes préférés, auquel j’étais sérieusement entraîné, était le déménagement aérien. Le principe en était basique et facile ; les effets, jubilatoires. Celui des deux qui gagnait était celui qui balançait le plus vite tous les meubles de la chambre de l’autre par la fenêtre. Hormis les meubles trop lourds, tout finissait par sortir de manière expéditive, en volant. Le temps que le personnel de l’hôtel réagisse, les chambres avaient été vidées. »
Grâce à L’homme de Rio et à Cartouche, il a découvert une nouvelle source de plaisir : les cascades et le goût de la culture du risque.
« Comme si vivre à fond, sans peur, sans regard derrière son épaule puisque la route défile trop vite pour ça, était devenu la ligne directrice de mon existence. »
Jean-Paul Belmondo aimait mourir dans ses films.
« Quand je survole ma filmographie – et que le vertige me prend –, je suis obligé de constater que je suis beaucoup mort. En fait, je préfère mourir à la fin : ça fait toujours un meilleur final, et puis ça évite les happy ends, dont la niaiserie n’est jamais loin. Un héros qui consent au sacrifice de sa vie, je trouve ça classe. »
Lui et la souffrance
Jean-Paul Belmondo se battait contre l’injustice, quitte à jouer de ses poings.
« Comme je suis resté puéril, j’éprouve une sainte horreur de l’injustice. Que l’on soit puni pour ce que l’on a fait de mal, d’accord. Mais pour ce que l’on n’a pas fait, ou pour ce que l’on est, c’est inadmissible. Alors, si le hasard fait de moi le témoin d’une iniquité, je m’insurge, me mets en colère, arme mes poings, surtout le gauche, ou mes mains. »
Il ne pardonnait pas à ceux qui l’avaient blessé.
« Je suis comme je suis, je suis fait comme ça, dirait Prévert, je n’y peux rien. Je finis par effacer celui qui m’a trop embêté ou blessé. Ça ne constitue pas une vengeance, vu que j’agis naturellement, sans mauvaises pensées. Sans pensées. L’autre n’existe plus pour moi. C’est simple et sans douleur. Généralement, j’ai souffert avant. »
Lui et sa famille
Jean-Paul Belmondo reconnaissait avoir vécu une enfance heureuse, grâce à l’amour et la bienveillance de ses parents.
« Mon enfance, en compagnie de ces parents-là, fut des plus heureuses. Tout m’a été donné d’office, sans que j’aie eu à produire le moindre effort. Je ne me rappelle pas m’être senti une seule fois brimé ou frustré. […] C’est probablement ce qui m’a aidé par la suite à lutter contre les mauvais coups du sort. J’en ai tiré une force tranquille qu’aucun événement, même le plus terrible, n’a pu jusqu’à maintenant anéantir. »
La paternité l’a changé. Un peu. Juste ce qu’il faut.
« La paternité aurait pu m’inoculer l’inquiétude, l’esprit de conservation, la crainte de l’avenir. J’aurais dû, si j’avais été un père ‘ordinaire’, garder mes enfants sous cloche pour les mettre à l’abri. De quoi ? De la guerre ? De la mort ? Je n’avais pas ce pouvoir-là. De l’imprévu ? Certainement pas. Ne pas les priver de ce qui a si bon goût, de ce qui ravive sans cesse, de ce qui anime. Je voulais qu’ils aient une enfance aussi souriante que la mienne ; je voulais être un père aussi indulgent et tendre que mon père l’avait été. En revanche, je n’avais pas son calme, mais une frénésie à faire le pitre, à être le clown personnel de mes trois petits chéris, Patricia, Florence et Paul. […]
Pour amuser les copains et satisfaire les réalisateurs, je me dépasse ; pour entendre le rire de mes gamins, je me surpasse. En donnant, bien souvent, le mauvais exemple. Ou le bon ? »
Lui et la vie
Jean-Paul Belmondo a accepté de jouer dans Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch car il se reconnaissait dans le personnage qu’il allait interpréter.
« Elle m’a plu, son histoire. Ce Sam Lion avait en effet quelque chose de moi, à ce moment-là. Et quelque chose de Claude aussi. La lassitude du mec qui a tout vécu, tout eu, et ne sait plus quoi désirer. »
Finalement, la vie est belle.
« J’ai encore faim de ma vie. Comme un jeune homme. Et si mon corps ne me permet plus de réaliser des cascades, de foncer à bord d’une Ferrari, de courir d’un tournage à un autre, d’une représentation à la suivante, il ne m’empêche pas de tout revivre, comme si c’était hier, comme si c’était aujourd’hui. Je mesure, en vous la racontant, combien j’ai aimé la balade, combien elle a été joyeuse, folle, riche, semée d’amitié et d’amour. »