En créant sa série Le Bureau des légendes, le réalisateur Eric Rochant retrouve son thème de prédilection : l’espionnage. Cette fois, il s’attaque aux services secrets français et plus précisément au département qui crée des identités fictives et des vies de toute pièce pour les agents qui partent en mission longue durée.
Vous avez l’emblème de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) dans le couloir de vos bureaux de production. Elle sponsorise la série ?
ERIC ROCHANT : Non, (sourire) c’est une partie du décor. La DGSE n’a pas encore vu la série [cette interview a été réalisée le 18 mars 2015, NDLR]. S’ils ont Canal+, ils la verront. On a des contacts ne serait-ce que pour utiliser leur logo car il a fallu discuter avec eux pour l’avoir. Bizarrement, ils n’ont pas trop mal pris cette idée de série. Probablement grâce à mon film Les Patriotes qu’ils aiment bien. Mais ils m’ont quand même demandé ce que j’allais faire, comment j’envisageais le projet. Je leur ai dit que j’allais faire quelque chose de réaliste et de sérieux. Je pense que si je leur avais dit : « Je veux faire Homeland. », ils auraient dit : « D’accord. ». (Sourire)
Avez-vous mené des recherches sur la DGSE, rencontrer d’anciens agents ? C’est un monde si secret que finalement vous pouvez tout inventer.
Oui, je peux tout inventer. (Sourire) Mais il y a des livres et toute une littérature sur les secrets. En rassemblant de la documentation sur les différents services, on sait comment ça fonctionne.
Canal+ avait-elle des désirs particuliers quand vous leur avez proposé le projet ?
La seule contrainte, et c’est là où il y a eu discussions, c’est sur l’équilibre entre le spectaculaire et le réalisme. Je ne voulais rien céder au spectaculaire et eux voulaient que le réalisme soit tendu. Ils voulaient du Homeland, je voulais un A la Maison blanche ou un Mad Men dans le renseignement.
Le Bureau des légendes existe-t-il vraiment ?
Je ne sais pas. Je ne crois pas. (Sourire)
Vous avez déjà réalisé deux films et maintenant une série sur l’espionnage. Comment a évolué l’image que vous avez de l’espion ?
Je vais arrêter après Le Bureau des légendes, surtout s’il y a trois saisons comme je l’espère, et changer de sujet… (Sourire) Ma perception n’a pas évolué parce qu’en fait je crois que c’est une recherche. Et que cette recherche est liée à ce que j’ai ressenti quand j’ai lu John Le Carré. J’ai découvert un univers et une ambiance qui m’ont beaucoup intéressé. J’aime cette tension narrative, cette tension du policier mêlée à la politique et en particulier à la politique internationale. L’espionnage, c’est aussi la guerre froide, les rapports entre les pays. C’est la géostratégie. Cela m’intéresse car cela nous ancre dans le monde d’aujourd’hui. Je suis passionné par ce qu’on a écrit sur la saison 1 et ce qu’on est en train d‘écrire sur la saison 2 parce qu’on évoque les dessous du monde actuel. En fait, Le Bureau des légendes est plus une série sur un service de renseignements et son fonctionnement que sur l’espionnage. En étant immergé dans le Bureau, on voit comment le monde actuel est abordé et vécu par les services de renseignements. Il y a un côté anti-fantasme presque désidéologisé du monde actuel. C’est une vision cynique mais réaliste. On aborde le conflit en Syrie, le terrorisme. Dans la saison 2, on est en plein dans Daesh et tout le jeu des nations avec la DGSE [les services secrets français, donc], la CIA [les américains], le FSB [les russes], les Syriens, les Iraniens… Voir ce qui se joue derrière est intéressant. Je voulais démystifier tout ça. L’espionnage permet de faire de l’entertainment policier avec des personnages en danger, de la menace, du suspens tout en évoquant le monde actuel.
Vous montrez aussi les petites mains de la DGSE. Tout est authentique ou est-ce fictif ?
C’est semi-fictif. Pour avoir lu de nombreux documents sur le sujet, je sais que ces services-là travaillent comme vous et moi. Ils inventent des histoires, écrivent des rapports, regardent des écrans… Sauf que leur travail a des conséquences sur le terrain. Montrer ces gens et leur travail est aussi passionnant que de suivre les agents sur le terrain. Cela se rapproche plus de nous et, du coup, on a plus tendance à se dire que chacun de nous pourrait y être. Et ça, c’est quand même un fantasme. (Sourire) Si ce n’est en faire partie, au moins voir comment cela se passe. Et la série répond à cela. On est invisible dans la pièce et on assiste à tout ce qui s’y passe.
Voyez-vous le personnage principal Guillaume Debailly comme un pur antihéros ?
Il pousse très loin cette étrange situation dans laquelle on peut se retrouver quand on est payé pour mentir. C’est son métier. Devoir mentir pendant six ans, c’est obligatoirement avoir des relations à la fois réelles et fausses. Rencontrer quelqu’un et lui mentir entraîne des contradictions et des dilemmes terribles. Mais il n’est pas très loin des personnages que j’ai créés dans Les Patriotes et dans Möbius. C’est un personnage qui se heurte à la logique même de son métier.
Quelle est, selon vous, la motivation de tous ces agents secrets ?
Ce sont tous des patriotes. Certains comme les informaticiens ont les moyens de hacker tout ce qu’ils veulent avec l’assentiment des autorités. J’imagine que cela doit être formidable. Les hommes d’action peuvent vivre leur soif d’aventure aussi avec l’assentiment des autorités. Mais tous sont habités par cette mission de défendre leur pays.
Quitte à mettre un mouchoir sur son cœur, ses sentiments, ses états d’âme ?
Et c’est cela qui m’intéresse. (Sourire) A un moment donné, les uns et les autres ne peuvent pas ne pas se poser la question de savoir si cela a du sens de sacrifier à ce point-là d’autres valeurs et d’autres choses dans leur vie. Et si cela en a, est-ce difficile ou pas pour eux ? Le problème de Guillaume Debailly est qu’il a cru pouvoir avoir le beurre et l’argent du beurre. Et il va le payer au-delà de ce que nous-mêmes spectateurs pouvons imaginer. A travers son histoire, c’est aussi le poids de la faute que j’aborde et qui est aussi un des thèmes des Patriotes et de Möbius. Guillaume Debailly court en avant pour essayer de réparer sa faute puis il en fait d’autres et cela fait boule de neige. C’est ce que raconte Le Bureau des légendes. C’est sans fin. Ou presque. (Sourire)
Vous restez quand même un grand romantique car Le Bureau des légendes contient encore une histoire d’amour. Elle était moins présente dans Les Patriotes, elle était au cœur de Möbius et là, c’est un peu entre les deux.
Je vais peut-être enfin trouver le bon équilibre dans cette série. (Sourire)
Vous semblez éviter délibérément les scènes d’action.
Oui mais il y a de la tension qui monte de plus en plus jusqu’à devenir très forte. Il y a un peu d’action mais ce n’est pas une série d’action. C’est une série de suspens et de tension.
Avez-vous le sentiment de vous retrouver dans Guillaume Debailly ?
C’est le même personnage que dans Les Patriotes et Möbius, si je ne m’y retrouvais pas cela voudrait dire que je suis un bien étrange garçon. (Sourire) Je me retrouve en lui évidemment mais pas là où on pense. Je suis plus lié à ces personnages autour de ce thème de la culpabilité, du poids de la faute. Et autour du thème de la double identité aussi mais là, pour le coup, tout le monde peut se retrouver dans Guillaume Debailly. Personne n’est entier.
Vous êtes-vous déjà amusé à jouer les espions et récupérer un numéro de téléphone d’un inconnu dans un bar comme le fait la jeune agent Marina Loiseau ?
Non. (Sourire) Mais quand on est metteur en scène, on est un grand manipulateur. Notre métier est de manipuler les acteurs. Comme un espion.
Crédit photo : © Xavier Lahache / Top – The Oligarchs Productions / Canal+
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