Franck Gastambide signe la première série française sur le rap. Un milieu qu’il connaît très bien et auquel il fait honneur avec un réalisme parfois assez effrayant. La poésie y côtoie la violence et la haine y semble plus forte que l’amour. La diffusion des 10 épisodes de Validé commence ce 20 mars sur Canal+ Séries.
Quelle était votre relation au rap avant Validé ?
J’ai commencé à écouter du rap dans les MJC, quand j’avais 20 ans. Maintenant, Maître Gims remplit le Stade de France, Soprano le Stade Vélodrome et Booba l’Arena. Cependant, les rappeurs qui vendent beaucoup de disques ont moins de 20 ans. Ils s’adressent à un public de jeunes, voire très jeunes. Maintenant, dans le rap, il y en a pour tous les goûts, les genres, les styles. On peut écouter Bigflo et Oli, Lacrim, Booba… C’est une musique très large avec des artistes qui ont un spectre énorme. Le rap s’adresse un peu à tout le monde.
Quel est votre groupe préféré ?
Je ne peux pas le dire. (Rires) Je vais devoir esquiver cette question toute la journée.
Quelles sont vos influences ?
NTM et IAM parce que je commençais à écouter du rap au début des années 90. Mais j’écoute aussi les jeunes, c’est pour ça que c’était très cool d’avoir Ninho dans la série. Il fait partie du Top 3 des plus gros vendeurs. J’écoute quasiment que du rap, donc j’écoute quasiment tout. Je n’ai pas du tout la sensation que le rap était mieux avant. Le rap a une évolution fantastique mais c’est vrai que mes influences sont plus du rap à texte comme NTM, IAM, Assassin, MC Solaar.
Pourquoi y a-t-il tant de haine et de violence dans Validé ?
Parce que c’est la réalité. Mais c’est très édulcoré. Cette nuit [l’interview a eu lieu le 6 février], Lacrim, qui a des problèmes avec Fianso, a posté des vidéos de lui sur Instagram disant : « Ça y est, je suis à Paris. Donne-moi ton adresse, je te cherche. » Et on le voit chercher Fianso dans son quartier. Ces rappeurs sont des stars, des personnalités publiques avec des carrières mais ils sont encore rattrapés par la rue, par ce qu’ils sont, par cette espèce de street cred [crédibilité de rue] qui les rend un peu fou et qui les pousse à faire des choses qui n’existent que dans le milieu du rap en termes de show business.
Il y a ceux qui s’inventent des vies et il y a la réalité avec deux mecs qui se disent : « Quand je vais te croiser, tu vas voir ce qu’il va se passer ». Et quand ils se croisent à Orly, d’un coup, ça se passe vraiment. Il y a deux mois de ça, Samat, un des bras droits de Fianso, s’est fait descendre sur le parking du McDo de Garges-lès-Gonesse. Une balle dans la tête alors qu’il était dans sa voiture avec sa femme à côté de lui. Il y a deux ans, le manager de Jul s’est fait tué Place de Clichy. Ça arrive vraiment. Mais c’est ça qui rend ce milieu fascinant.
Dans les séries qui m’ont vraiment inspiré, il y a Entourage et Dix pour cent. Mais il y a quelque chose de plus dans le milieu du rap : la voyoucratie. Beaucoup de rappeurs sont issus de milieux sociaux défavorisés, parfois un peu violents, et ils continuent à avoir ce bagage avec eux. Et même quand ce sont de grandes stars, des pères de famille, des millionnaires et qu’ils vivent à Miami où tout va bien. Booba a des problèmes quasiment chaque fois qu’il sort en public en France. Et oui, ça se bagarre et oui il y a des armes.
Lacrim, qui joue dans la série, est un mec qui, il y 2 ans, donne une interview assez incroyable à Mouloud [présentateur de l’émission Clique sur Canal+] alors qu’il est en cavale au Maroc. On a l’impression d’être dans un documentaire qui parle de El Chapo. Il trimballe Mouloud qui commence par dire : « On ne peut pas dire où on est parce que Lacrim est en cavale, parce qu’on a retrouvé ses traces sur des armes qui ont servi à un braquage ». J’ai plein d’autres cas comme ça.
Evidemment, ce n’est pas la réalité de tous les rappeurs. Mais tout ce qu’on a traité sont des problèmes inspirés de choses qui ont vraiment existé et qui existent. Ça dépend de qui on est, de sa position. Je voulais raconter que ce milieu du rap est peut-être le seul milieu artistique dans lequel le succès attire des problèmes. Ça c’est une réalité.
Pourquoi avez-vous voulu édulcorer Validé ?
Déjà là ça vous a paru très très chaud. (Rires) Il y a aussi un moment où ça ne devient plus fascinant et où ça devient un petit peu pathétique. L’idée n’était pas d’aller jusque là. Mais oui, la réalité nous fascine. Il y a un moment où Kaaris et Booba ne parlaient que de se foutre sur la gueule sur Instagram. Ils en parlaient tellement qu’on avait envie que ça arrive. C’est aussi assez fascinant de voir l’impact médiatique car les chaînes d’infos faisaient des directs pour en parler.
Les réseaux sociaux sont omniprésents dans la série.
C’est justement ce qui a changé. J’ai eu de grandes discussions avec Kool Shen et Akhenaton qui me parlaient de leurs bagarres et de leurs embrouilles. Ça existait quand même beaucoup à l’époque sauf qu’il n’y avait pas les réseaux sociaux pour tout relayer. C’était aussi un milieu très underground. C’est fascinant de voir ces rock stars qui veulent se bagarrer. Ils continuent malgré leur statut à avoir ce comportement violent. Evidemment, c’est relayé par les réseaux sociaux. Et ils s’engagent sur ces réseaux sociaux. A partir du moment où l’un fait cette démarche de dire : « Je vais t’attraper ! », il faut qu’il aille au bout. Ils montent la sauce. Leur communauté et base fans sont en attente qu’il se passe un truc. Et ils sont obligés qu’il se passe quelque chose. Les réseaux sociaux, c’est l’huile sur le feu en permanence.
Etes-vous anxieux des réactions des rappeurs quand ils auront vu Validé ?
Oui parce que ce sont les premiers concernés. Mais je suis très détendu depuis la diffusion du teaser. Pour être honnête, je n’ai jamais eu de retours aussi dithyrambiques sur tous les projets de toute ma carrière. Quand on a balancé ce teaser, quelque chose de très fort s’est produit. Le lancement a été suivi par des rappeurs très puissants qui ne sont même pas concernés par la série et par des petits jeunes qui sont les nouvelles stars du rap, comme Gambi qui n‘est pourtant pas dans Validé.
Et évidemment, il y a tous ceux dans la série qui ont tous suivi et tous partagé. Du coup, ils donnent leur propre crédibilité et ils valident. Soprano, Lacrim, Kool Shen… Les gros réseaux comme Skyrock ou Mouv’ sont aussi les premiers à se demander comment on va les traiter, comment on va les singer. Et c’est une énorme victoire. Si les premiers concernés valident, ça veut dire qu’on ne s’est pas trompés sur le propos.
Qu’attendez-vous de Validé finalement ?
Que ce soit un phénomène. (Rires)
Et quelles sont les attentes du milieu du rap ?
Ce que je ressens c’est que, pour eux, c’est quelque chose de très important et d’historique. Validé est la première série qui se passe dans le milieu du rap. Et c’est la réalité.
Comment avez-vous évité les clichés sur l’univers du rap ?
Mais tout ça c’est la vérité. J’ai même choisi des comédiens qui ressemblent aux vrais protagonistes dans la vie. On a même tourné Validé chez Universal. Les locaux d’Omega, c’est chez Universal. Le bureau que Mounir [joué par Adel Bencherif] éclate, est le vrai bureau d’Olivier Nusse, le patron d’Universal. On ne pouvait pas faire plus réaliste que ça.
Inès, le personnage de Sabrina Ouazani, est inspiré d’une chef de projet très connue chez Polydor qui gère Nekfeu, Bigflo et Oli, etc. Pour les autres, ils jouent leur propre rôle comme Laurent Bouneau, le patron de Skyrock depuis 35 ans. Au Zénith, le tourneur qui appelle Apash [joué par Hatik] pour lui dire : « Dans 5 min », c’est Popeye, le tourneur de tout le rap français. Entre prendre des comédiens ou essayer de faire jouer la vraie personne, à condition qu’il ait un peu de capacités de comédien, à chaque fois, j’ai choisi de faire jouer les vraies personnes.
Et puis, c’était aussi super de se rendre compte que ce milieu n’attendait que ça, d’avoir sa première série. Ils connaissent tous les séries américaines comme The Get Down, Atlanta, Power, Empire. En France, on n’en avait pas. C’était très chouette de voir que tout le monde en avait envie et que tout le monde nous a suivis. Les premiers retours que j’ai eus m’ont dit que j’avais plutôt bien observé tout ça. Mais en même temps, c’est parce que je suis dedans depuis longtemps et que je trapine avec les rappeurs pour les B.O. de mes films depuis 10 ans. Je mets du rap dans tous mes films.
Et pour éviter les clichés de la banlieue ?
J’y ai grandi et je continue à y être beaucoup. Pour Validé, j’ai essayé de filmer les choses avec le plus de réalisme possible. En choisissant aussi les bons comédiens. Si on choisit des gens qui jouent aux mecs de banlieue, ça se voit. Là, on a pris des gens qui ont les codes et qui le jouent parfaitement bien. J’ai cherché à raconter les choses avec le plus de sincérité possible.
Avez-vous cherché vos guests ou est-ce eux qui vous ont demandé de jouer dans Validé ?
Lacrim, que je ne connaissais pas, m’a envoyé un message : « Et moi ? ». Je ne savais pas comment l’attaquer. Il avait fait un morceau sur la B.O. de Pattaya donc j’avais un petit contact. On avait commencé à communiquer sur le fait qu’on allait faire une série sur le rap pour Canal+ et il a vu passer ça. Il m’a envoyé un message sur Instagram et j’étais ravi de la démarche et qu’il me fasse preuve de son envie. On en a parlé et on l’a intégré comme ça.
Pour les autres, je les ai intéressés au projet bien avant qu’on communique dessus. Il était évident qu’il fallait qu’on travaille avec Skyrock car une carrière démarre là-bas et il était essentiel que Fred [Musa, l’animateur] soit dans la série. J’ai des rapports privilégiés avec Cyril Hanouna. J’ai pu lui demander de jouer un truc qui n’était pas évident pour lui car il fait un sale coup. Les rappeurs, hormis sur les radios spécialisées, n’ont pas énormément de visibilité dans les médias grand public. Ils n’ont nulle part où faire des live. Ils vont chez Cyril, souvent pour recevoir des disques d’or. Avec lui, ça s’est passé en un texto. Il a accepté tout de suite. Il m’a dit : « Passe demain ». On a fait une prise et je suis reparti avec la cassette.
Comment avez-vous fait le choix de Hatik pour le rôle de Clément/Apash et Sam’s pour celui de Mastar ?
La complication énorme était de trouver des comédiens qui soient aussi bons acteurs que rappeurs pour que la série soit crédible et réussie. Et ça, je n’en connais pas. Et personne n’en connaissait d’ailleurs. J’ai joué avec Sam’s dans La surface de réparation, un film sur le foot. Je me suis rendu compte qu’il état rappeur et très bon acteur, avec beaucoup de rigueur. Et d’un coup, ça éveille en moi que c’est peut-être possible qu’un mec sache rapper et jouer.
On a commencé à caster. Ça a été un long chemin. La question était : doit-on trouver un rappeur qui sait jouer ou un acteur qui sait rapper. Si on trouve l’acteur idéal, est-ce qu’on lui donne des cours de rap ? Ça paraissait compliqué. On a vu des centaines de mecs avec beaucoup de talent pour le rap, mais quand ils faisaient des essais devant la caméra, ça n’allait pas du tout. Et puis l’inverse. On s’est alors rendu compte que ça ne serait pas par le milieu classique du casting qu’on trouverait notre héros.
Hatik nous a été présenté par Scridge, qui joue son propre rôle dans Validé. Il nous a montré un clip. Hatik a un charisme, un physique qu’on a envie de filmer. Il a des capacités de rappeur incontestables. On a fait des essais en comédie et là, ça n’allait pas. Il fallait travailler et on a beaucoup beaucoup travaillé. Je ne l’ai pas lâché. Et on y est arrivé. On a obtenu ce que vous avez vu.
Comment s’est passée l’écriture des chansons et de la B.O. de Validé ?
Sam’s a un peu supervisé tout ça. Des rappeurs connus ont participé à l’écriture. Hatik a écrit une grande partie de ses textes. On les briefait avec les thématiques et les grandes lignes. Puis, ils nous envoyaient des textes et on faisait des allers retours : là c’est bien, là il faudrait que ce soit plus profond… On leur faisait des commandes. On a fait participer les rappeurs de la série et d’autres rappeurs sont venus donner un coup de main.
Comment avez-vous créé les titres qui doivent, au final, donner des succès ?
On a pris les meilleurs. Pour les beat makers qui ont fait les instru, on a pris des machines à tubes. Ils étaient tous ravis de participer à l’aventure. Je ne les citerai pas. Je trouve ça plus cool qu’on continue à imaginer que c’est mon personnage [baptisé SNO], qui a tout fait. (Rires) On a challengé ceux qui font les sons de Booba ou Soprano. Puis on a fait entrer Hatik et Sam’s. S’il fallait, on faisait entrer quelqu’un d’autre pour les aider. Puis on peaufinait. On ne pouvait pas se louper sur ça.
C’est comme le premier morceau qu’Hatik rappe chez Skyrock. Il fallait qu’il se passe un truc, que ce soit incroyable pour croire à la naissance du phénomène, pour que les réseaux sociaux se déchaînent. C’est aussi une réussite de se dire que certains morceaux qui sont des tubes dans notre fiction peuvent devenir des tubes dans la réalité.
Envisagez-vous une saison 2 de Validé ?
Je travaille déjà dessus. On ne va pas tarder à la tourner.
Est-ce comment avec Dix pour cent, les rappeurs frileux sur la saison 1 se précipitent-ils maintenant pour jouer dans la saison 2 ?
C’est le cas. (Rires) Il y en a un que je ne peux pas citer, qui est très connu, qui m’a envoyé un message sur Insta pour me dire qu’il a vu le teaser. Sam’s avait passé des nuits pour le convaincre de jouer dans la saison 1. Il voulait venir après n’avoir vu que le teaser. On a déjà de très grands noms avec qui on a un accord de principe pour la saison 2, peut-être même plus grands que ceux qu’on a dans la saison 1.
Crédit photos : © Mandarin Télévision / Canal+