Et si les super-héros existaient et menaient une vie presque normale dans le Paris de 2020 ? Et si une substance permettait à quiconque d’acquérir des super-pouvoirs, que se passerait-il ? Dans son film, le Français Douglas Attal aborde le genre des super-héros sous un angle nouveau des plus captivants. Comment je suis devenu super-héros est disponible sur Netflix à partir du 9 juillet.
Après deux courts métrages (Soulwash, Santa Closed) et quelques making-of (dont Polisse, Platane saison 1), le réalisateur – et acteur – Douglas Attal, fils du producteur Alain Attal, s’est lancé dans ce projet plus qu’ambitieux et rare du film de super-héros français pour son premier long Comment je suis devenu un super-héros. En adaptant librement le roman éponyme du sociologue Gérald Bronner, il s’est attaqué avec une certaine humilité à ce genre si populaire et a corsé l’affaire en l’associant à celui du polar. Un mariage finalement très réussi.
Deux courts métrages suffisent-ils pour se lancer dans un premier long métrage ?
Douglas Attal : J’ai aussi une petite expérience de making of qui m’a beaucoup apporté. J’ai pu observer les réalisateurs, apprendre à travailler dans l’urgence avec une économie de moyens. Mais maintenant que le film est fini, je me rends compte que c’était un peu inconscient de me lancer dans un tel projet. Toutefois, j’ai pu m’entourer d’une bonne équipe qui a su m’aider quand je doutais et qui m’a donné un savoir-faire technique qui me manquait. J’ai appris en cours de route avec eux.
Est-ce qu’avoir un papa producteur vous a aidé ?
Oui et non. Qui mieux qu’un papa pour te pousser à donner le meilleur de toi-même ? Et en même temps, ce n’est pas évident, même pour lui. Il fallait qu’il montre qu’il croit au film en gardant un regard extérieur auprès de ses partenaires, que ce n’était pas juste pour produire le film de son fils. Mais on a prouvé que c’était un film qui devait exister, que ce n’était pas juste une lubie d’un père et de son fils mais un long métrage qui avait sa place et qu’il fallait le faire.
Cela vous a demandé dix ans.
Ce n’était pas dû qu’aux difficultés pour monter financièrement le film ou pour trouver les personnes qui comprenaient le projet. J’ai aussi mis du temps à trouver le bon ton. Il fallait que ce scénario murisse. Je revenais constamment sur l’écriture. Parfois c’était dur car je perdais courage mais cela a permis de mettre à l’épreuve ma vision, de tout préciser, de tout affiner. Je voulais cette spécificité vraiment française, que ce soit un film de super-héros un peu à part. Je souhaitais m’éloigner du roman de Gérald afin de trouver ma propre intrigue à l’intérieur de son univers, définir le bon ton pour les personnages, féminiser pas mal de protagonistes parce qu’il n’y a pas beaucoup de femmes dans le livre… La réflexion était permanente. J’ai voulu faire un film qui me ressemble. Ce n’était pas le cas au début.
Un super-défi
Quelles ont été les plus grosses difficultés ?
Il y en a eu pas mal. Et pas là où je m’y attendais. La direction d’acteurs, par exemple. Comme j’avais déjà tout en tête – les effets, l’action -, je voulais tout de suite passer à la direction d’acteurs pure : ce qu’ils devaient jouer, les intentions de jeu, l’intimité du personnage… Ce qui était impossible si les comédiens ne connaissaient pas les éléments constituant le cadre de la scène. Je devais donc poser les bases, leur décrire la scène en détail… Je trouvais tout ce travail d’explication laborieux alors qu’il constituait le socle indispensable sur lequel les acteurs avaient besoin de se reposer. S’ils ne comprenaient pas ce qu’ils devaient faire, ils ne pouvaient pas se projeter dans un état d’esprit, dans une émotion.
Comment s’est passée votre première confrontation avec les scènes d’action ?
J’avais une idée assez précise pour l’assaut du commissariat car je voulais que tout passe par le point de vue de Moreau [interprété par Pio Marmaï, ndlr]. J’avais pas mal de références comme Les Fils de l’homme avec ses scènes d’action en apnée où on est au plus proche des personnages. On est témoin des événements par leur regard plus que par l’action elle-même. J’ai aussi montré The Raid de Gareth Evans. La caméra suit le moindre mouvement des personnages et leur regard sur ce qui advient autour d’eux. Je ne voulais pas juste une caméra qui observe les choses ni de distance avec l’action.
Comment réalise-t-on un film de super-héros français mais pas franchouillard ?
Il n’a jamais été question de faire une parodie des films de super-héros qui les ridiculiserait. Je voulais prendre à contrepied cette attente d’un public français qui penserait qu’on aborderait le genre de façon rigolote. Comment j’ai fait ? C’est une bonne question. Je ne sais pas trop moi-même. J’ai essayé de prendre à bras le corps les codes et de vraiment les affronter. Je ne voulais pas éviter certaines choses avec de l’humour. Le film en contient mais pas au détriment du genre ni des personnages. Mes super-héros sont presque des personnages normaux. Ils se lancent des vannes entre eux mais ils ne rigolent pas de leur statut de super-héros.
Vous avez changé beaucoup de choses dans l’adaptation. Que vouliez-vous absolument garder ?
L’univers mais aussi le personnage de Monté Carlo [incarné par Benoît Poelvoorde]. Ce super-héros un peu fatigué n’accepte pas son état de santé. Je trouvais super beaux dans le roman de Gérald les thèmes de la maladie, du temps qui passe, de la peur de vieillir. C’est un personnage secondaire, ce n’est donc pas le sujet principal du film, mais il y avait quelque chose de magnifique et je souhaitais faire honneur à ce protagoniste. Il y a aussi son rapport avec Moreau, leur lien un peu pudique. Monté Carlo vit un peu par procuration grâce à ce flic en activité. Ce lien entre eux deux n’a jamais vraiment bougé dans toutes les versions du scénario. Il est dans le roman, il a même nourri les acteurs. C’était une sorte de phare dont on ne s’est jamais détourné. Je voyais dans ce lien la moelle de cette humanité du super-héros que je voulais obtenir.
L’humanité des super-héros
Comment avez-vous créé votre super-héros ?
Il y avait quelques références comme Bruce Willis dans Incassable, un personnage qui refuse sa nature de héros. Je voulais y mettre une pudeur, quelqu’un qui n’évoque pas ses problèmes, qui préfère lancer des vannes plutôt que de parler de ce qu’il ressent profondément. Je voulais qu’il ait un peu de mélancolie. J’ai aussi pensé à Logan. Il a un côté un peu froid et nonchalant mais on découvre son humanité au fur et à mesure. J’ai été aussi inspiré pas Copland sur la mélancolie que dégage Stallone dans ce film. Je souhaitais un personnage qui peut paraître un peu sale gosse au début, qu’on n’a pas forcément envie d’aimer au premier abord mais qui révèle une profondeur en cours de route.
Qu’est-ce qui fait que Naja, le méchant, joué par Swann Arlaud, est un bon méchant ?
Son humanité. On a essayé de creuser le côté un peu miroir inversé du héros. Il veut des super-pouvoirs quand le héros n’en veut pas. Il a de la profondeur, il est bien caractérisé, il a une spécificité, il a des attributs. On lui a trouvé cette toupie taïwanaise comme accessoire. On trouvait que ça lui donnait un côté plus mystérieux.
Vous n’avez pas beaucoup de super-méchants dans votre film…
Il y en a quelques uns. La brigade de Moreau gère les débordements de ceux qui ont des super-pouvoirs. Je ne sais pas si c’est voulu qu’il n’y en ait pas beaucoup. Le fait qu’une drogue donnant un super-pouvoir soit au centre de l’intrigue est aussi une bonne manière de poser la question de ce qu’est l’héroïsme. Que feriez-vous si vous aviez des pouvoirs pendant cinq minutes ? Il y a une réflexion plus profonde sur le rôle et les responsabilités des pouvoirs. Les super-vilains n’avaient peut-être pas intrinsèquement leur place dans cette intrigue.
D’un autre côté, les humains qui utilisent cette drogue ne cherchent pas à faire le bien.
Je me suis posé la question. Si cette drogue existait, on en ferait du bien, du mal, on s’amuserait avec ? N’importe qui serait tenté de s’amuser avec cette drogue. C’est aussi pour ça que je ne voulais pas diaboliser les gens qui en prennent. Dans un monde où les super-héros existent, c’est peut-être ce dont les gens sans super-pouvoirs rêvent. Je désirais qu’il y ait un spectre assez large et pas de jugement définitif.
De grands pouvoirs…
Monté Carlo a une idée bien précise de ce qu’implique le fait de posséder des super-pouvoirs.
C’est le super-héros un peu old school. Il a une vision de l’héroïsme un peu restreinte. Il pense que le super-héros est synonyme de costume, de théâtralité, que c’est noble, qu’il faut le mériter. Ce n’est pas forcément ma vision de l’héroïsme mais je voulais que cette vision existe.
Quelle est votre vision de l’héroïsme ?
C’est de rendre le monde meilleur à sa petite échelle. C’est aussi pour ça que je voulais ce personnage de Callista [jouée par Leila Bekhti]. Elle est une super-héroïne et une travailleuse sociale. Elle aide les jeunes par le sport. Je crois à l’héroïsme à petite échelle, aux héros du quotidien, invisibles, qu’on ne voit pas à la télé. A ceux qui travaillent dans les associations, aux flics de proximité – même s’ils n’existent plus beaucoup.
Votre film est-il une métaphore de notre société ?
Il y a cette envie chez les jeunes de gloire éphémère. Elle s’est développée ces vingt dernières années avec l’avènement de la téléréalité. Je ne condamne rien du tout mais je pose la question : est-ce que la réussite signifie être sur le devant de la scène pendant cinq minutes comme cette drogue le permet ou être dans l’ombre et essayer de faire le bien sans rechercher une reconnaissance et les lauriers qui vont avec, cultiver une réussite intérieure, personnelle ?
Même si je raconte un peu le monde dans lequel on vit, ce n’est pas un film social mais un vrai divertissement actuel. Plus que de tenir un discours ou faire un film à message, j’avais envie de créer des personnages de notre époque auxquels on s’attache. Je voulais des protagonistes qui apparaissent réels, qui nous rappellent des gens autour de nous. Je souhaitais dire que l’héroïsme est à la portée de tous, que tout le monde peut accomplir de grandes choses.
Deux genres pour un film
Vous vous attaquez à deux genres très populaires en un seul film, le polar et le super-héros. Comment avez-vous trouvé un équilibre ?
Ce n’était pas évident. J’ai essayé de marier les deux univers pour que l’un ne prenne pas plus de place que l’autre, de les faire communiquer entre eux pour qu’il n’y ait pas les super-héros d’un côté et le polar de l’autre. Pour l’univers des super-héros, je voulais que les costumes, les masques ne prennent pas une place démesurée dans le film pour qu’on puisse croire à ces super-héros dans un univers de flics. J’ai donc cherché quelque chose qui se rapproche du polar. Une de mes frayeurs était que les super-héros soient un peu à part dans le film, que les costumes ne se fondent pas bien.
On a aussi essayé de faire des vases communicants, comme d’évoquer l’héroïsme chez les flics lambda. J’ai revu pas mal de polars français : Le Petit Lieutenant, Polisse, L627… Je désirais que le film soit profondément français. J’ai cherché dans ces références-là et dans l’univers réel de flics tel qu’il existe en France. Un ancien policier nous guidait sur la façon dont ça se passe dans l’univers des commissariats, des bureaux… Je me suis également nourri des BD qui mélangent le polar et les super-héros et des romans d’Ed McBain qui montrent minutieusement le travail des policiers.
Y a-t-il des codes que vous estimiez incontournables ?
J’ai mis une scène dans le générique de fin. J’ai pris cette idée que le super-héros possède une faille qu’il doit surmonter. Ce n’est pas incontournable mais cela permet de donner de l’épaisseur et de l’humanité au personnage. Le code auquel je tenais beaucoup est l’idée d’un vilain avec une dimension un peu tragique, avec une faille presque aussi importante que celle du héros. Qu’il soit un vrai personnage de méchant, dangereux, effrayant, mais qu’il ait autant d’humanité que le héros.
Pourquoi ne révélez-vous pas l’origine des super-pouvoirs ?
Je ne voulais pas que ça prenne trop de place dans le film. Je suis assez friand de l’idée qu’il y a des personnes avec des super-pouvoirs et d’autres sans et qu’on ne l’explique pas. Sinon, cela nécessitait de repartir à l’origine du super-pouvoir et j’avais peur qu’on y passe du temps au détriment des personnages. Je suis persuadé que c’est quelque chose d’établi pour le public habitué aux super-héros et aux films comme X-Men. Aujourd’hui, les spectateurs peuvent croire à cet univers sans qu’on ait besoin de tout préciser.
Et je désirais que le film soit vécu par ses personnages. L’explication apportait un truc omniscient et objectif qui me déplaisait. J’avais envie qu’on entre dans le film non pas à travers un carton qui annonce d’où viennent les pouvoirs, qui en a et qui n’en a pas, mais à travers le regard de Moreau et qu’on découvre cet univers avec lui.
Comment avez-vous choisi les super-pouvoirs que vous vouliez mettre en avant ?
Ils doivent coller avec les personnages. On construit les protagonistes avec en parallèle leur personnalité, leur rôle dans la société et leurs super-pouvoirs. Callista est une super-héroïne qui travaille dans le social, qui essaye que les jeunes ne prennent pas le mauvais chemin. On a donc opté pour ce pouvoir où elle voit l’avenir quelques minutes à l’avance. La téléportation de Monté Carlo va avec le fait qu’il n’accepte pas son état de santé, qu’il fuit sa vieillesse. Il peut disparaître à tout moment dès qu’on évoque sa maladie.
Un besoin de renouveau
Comment voyez-vous l’évolution des super-héros à l’écran, petit et grand ? Dans votre film vous avez un super-héros vieillissant et un autre faisant une reconversion dans le social. On voit désormais des super-héros plutôt trash comme dans les séries The Umbrella Academy, The Boys…
The Watchmen. Il y a une envie de raconter les super-héros de manière différente, d’éclater un peu les codes, de coupler le super-héros avec d’autres genres, d’aller sur des terrains un peu nouveau. On renouvelle le genre par le trash, on ose aller vers l’expérimental avec la série Légion. C’est génial. Le genre super-héros a de belles années devant lui si on arrive à trouver ces nouvelles manières de le raconter, d’aller vers des choses extrêmes et sophistiquées.
Dans ce cas, Warner et DC ont plus un rôle à jouer que Marvel. Joker l’a prouvé.
Je suis assez d’accord. Warner et DC osent des choses assez intéressantes. Je crois en l’idée que le film de super-héros doit être aussi un film d’auteur, et pas un film de plus qu’on regarde et qu’on oublie tout de suite après. C’est un genre noble qui permet d’aborder plein de sujets, de tenter plein d’expérimentations. Il existe une quantité de comics complètement barrés. Je pense à Doom Patrol. Il faut aller vers l’expérimentation sinon le genre va s’enfermer. Warner et DC continuent de creuser ça. Même Marvel mais plus en télé. Leur prochaine série WandaVision semble être une sorte de truc fou et psychédélique entre Plainsantville et Legion.
Marvel se rend compte qu’il faut se renouveler pour que le genre perdure. On a de petits indices sur leurs futurs films qui laissent à penser qu’ils vont expérimenter pas mal de choses dans le multivers, les dimensions parallèles. Mais je crois assez que le renouveau des super-héros passera par la télé.
Crédit photos : © Netflix
Article paru dans L’Ecran fantastique reboot – N°7 – Janvier 2021