C8 diffuse le chef d’œuvre de David Lean ce 1er novembre à 21h15. L’occasion de revenir sur la création du film de 1957 dont l’histoire est basée sur des faits historiques. De son écriture à ses 7 Oscar, la genèse du Pont de la rivière Kwaï a réservé bon nombre de surprises. [SPOILERS]
Une histoire vraie
Le film Le pont de la rivière Kwaï est adapté du roman éponyme de Pierre Boulle, paru en 1952. L’auteur s’est inspiré de faits historiques. En 1942, sous les ordres des Japonais, 60 000 prisonniers de guerre alliés et 250 000 civils du sud-est asiatique ont dû construire 415 kilomètres de voies ferroviaires entre Bangkok, en Thaïlande, et Rangoun, en Birmanie. Ils ont bâti deux ponts sur la rivière Kwaï. Le premier, en bois et temporaire, a été érigé en attendant que le second, en acier et en béton, soit fini. 90 000 civils et 16 000 prisonniers y ont laissé la vie. Ce tracé a été surnommé “la voie ferrée de la mort”.
Les gardiens du camp japonais ont torturé et affamé leurs prisonniers. Un seul d’entre eux s’est montré humain envers les détenus, le major Risaburo Saito – tout le contraire du colonel Saito du livre et du film incarné par Sessue Hayakawa. Le lieutenant-colonel Phillip Toosey qui a tout fait pour saboter la construction des ponts – tout le contraire du lieutenant-colonel Nicholson du livre et du film interprété par Alec Guinness – a même témoigné en faveur de l’officier nippon à son procès pour crimes de guerre. Il lui a ainsi évité la peine de mort. Les deux hommes sont devenus amis.
Dans la réalité, le pont n’a pas été détruit par des soldats alliés menés par Shears (William Holden). Des bombardements alliés ont endommagé les deux ponts. Celui en métal a été réparé après la guerre. Par ailleurs, le livre de Pierre Boulle contient de nombreuses inexactitudes et est considéré comme une fiction. Quand les soldats qui avaient survécu à l’enfer du camp japonais ont vu le long métrage, ils ont crié au scandale tant leur histoire avait été romancée et détournée par Hollywood.
Des scénaristes blacklistés
Carl Foreman a été le premier scénariste à s’attaquer à l’adaptation du roman de Pierre Boulle. Le producteur Sam Siegel a adoré son script. Mais David Lean l’a détesté. Le réalisateur a alors fait appel à Michael Wilson et a tout réécrit avec lui. A l’époque, Carl Foreman et Michael Wilson ont été accusés d’être communistes et blacklistés par Hollywood. Ils se sont expatriés en Europe afin de continuer à travailler. La production ne pouvait donc pas les créditer au générique pour le scénario. C’est Pierre Boulle qui l’a été alors que l’auteur n’avait pas écrit une seule ligne du script. Quand Le pont de la rivière Kwaï a reçu l’Oscar de la meilleure adaptation, c’est encore Pierre Boule qui a été récompensé. Il a fallu attendre 1984 pour que l’Académie des Oscars répare cette injustice, à titre posthume. Michael Wilson est décédé en 1978 et Carl Foreman quelques mois avant l’annonce officielle. Quand le film a été restauré, leurs noms ont enfin été ajoutés au générique.
“Hitler n’a qu’une couille”
Au début du Pont de la rivière Kwaï, quand les soldats prisonniers entrent au pas dans le camp japonais, ils sifflent un air que tout le monde connaît aujourd’hui, grâce au film. Mais à l’époque, seuls les militaires l’avaient déjà entendu. Eux seuls en comprenaient aussi tout son sens. Il s’agit de La marche du colonel Bogey, écrite en 1914 par Kenneth J. Alford – le pseudonyme du lieutenant F. J. Ricketts. Le compositeur s’est inspiré du sifflement du colonel Bogey qui, quand il jouait au golf, préférait siffler quelques notes de musique plutôt que de crier “Fore !” pour prévenir les autres joueurs sur le green qu’une balle risquait de les blesser.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des soldats ont mis des paroles sur la musique pour se moquer d’Hitler et des dirigeants nazis : “Hitler has only got one ball / Göring has two but very small / Himmler is rather sim’lar / But poor old Goebbels has no balls at all.” (“Hitler n’a qu’une couille / Göring en a deux mais très petites / Himmler a à peu près les mêmes / Mais le pauvre vieux Goebbels n’a pas du tout de couilles.”). On est très loin du Soleil brille, brille, brille d’Annie Cordy. Dans le film, siffler cet air montre ce que les prisonniers pensent de leurs geôliers japonais, alliés des Allemands. Dans la réalité, aucun détenu n’a jamais sifflé cet air dans le camp nippon.
Le pont du film n’était pas qu’un décor
Le tournage du Pont de la rivière Kwaï s’est déroulé à Ceylan (aujourd’hui le Sri Lanka). La production a engagé l’ingénieur britannique Keith Best, qui travaillait sur l’île, afin de dessiner les plans du pont ferroviaire sur une rivière près de Kitulgula. La société MNC Larsen and Tubro était chargée de la construction. Elle a érigé un barrage en amont afin de contrôler le débit de l’eau et utilisé les arbres des berges comme matériaux. Au départ, ce ne devait être qu’une structure légère servant de décor. Jusqu’à ce que les chemins de fer ceylanais offrent à la production une vieille locomotive à vapeur de près de 30 tonnes avec quatre wagons. Keith Best a dû revoir ses calculs et la MNC Larsen and Tubro construire un vrai pont, suffisamment solide pour supporter le passage du train.
Des journalistes interdits d’entrer en salle de projo
David Lean a coupé au maximum son film mais Le pont de la rivière Kwaï dure néanmoins 2h41. Le réalisateur était toujours outré de voir des journalistes arriver avec 10 à 20 minutes de retard aux projections de presse. Ils rataient le début du film mais écrivaient quand même un texte – généralement négatif. Davis Lean se doutait que son film n’échapperait pas à cette mauvaise habitude, plus encore à cause de sa durée. Cette fois, il a prévenu qu’il fermerait les portes de la salle dès le lancement de son long métrage. Les retardataires n’ont ainsi pas pu entrer. Les critiques de ceux qui avaient vu le film ont été dithyrambiques.
Crédit photos : © Warner-Columbia Film