Dans Black Phone, les codes du cinéma d’horreur viennent percuter un récit initiatique. Le réalisateur Scott Derrickson y associe des scènes de terreur doublées d’une histoire captivante qui rappelle que, quelle que soit l’époque, les enfants doivent toujours rester sur le qui-vive. Black Phone sort en salles ce 22 juin.
L’histoire
1978, dans une petite ville au nord de Denver, aux Etats-Unis. Finney, 13 ans, timide mais intelligent, est régulièrement passé à tabac par des camarades d’école. Son enfer se poursuit quand il est enlevé par un tueur d’enfants, surnommé le Ravisseur, qui sévit depuis plusieurs mois dans les environs. Le jeune garçon se retrouve enfermé dans une cave insonorisée avec au mur un téléphone noir à cadran. Ce dernier, pourtant hors d’usage, se met à sonner.
La genèse
Le scénario de Black Phone est signé par Scott Derrickson et C. Robert Cargill, d’après la nouvelle Le téléphone noir de Joe Hill. Ce dernier – accessoirement le fils de Stephen King – l’avait vendue pour 50$ à un petit magazine d’horreur britannique en 2004. L’année suivante, elle rejoignait son recueil de nouvelles Fantômes – Histoires troubles. Il s’est inspiré d’un souvenir de son enfance pour écrire son histoire. “J’ai grandi à Bangor, dans le Maine, dans une très vieille maison,” explique l’écrivain. “Il y avait un téléphone dans la cave qui n’était pas branché. C’était flippant. Ce n’était pas du tout logique de trouver un téléphone dans une cave en terre battue, dont les murs de ciment s’effritaient. Quand j’étais gamin, mon pire cauchemar, c’était d’entendre ce téléphone sonner.”
Quand Scott Derrickson découvre le livre, il trouve le postulat de départ formidable et se prêtant très bien à un film. Il envisageait régulièrement de l’adapter pour le cinéma, mais les conditions n’étaient jamais réunies. Jusqu’à il y a près de deux ans, lorsqu’il en a enfin eu l’opportunité. Avec mon coauteur C. Robert Cargill, il a pris une option sur la nouvelle et ils ont entamé l’écriture du scénario.
Le script achevé, ils ont sollicité Blumhouse, société de Jason Blum, qui avait produit le Sinister de Scott Derrickson. “On n’est allé voir personne d’autre,” précise le réalisateur. “On a expliqué à Jason qu’on adorerait qu’il produise ce projet. En guise de réponse, il m’a envoyé un téléphone à cadran noir. J’ai eu le sentiment que c’était sa manière de me répondre favorablement.”
L’horreur et l’enfance
Scott Derrickson souhaitait depuis longtemps réaliser un film qui explore les souffrances émotionnelles de l’enfance, mais aussi la capacité des plus jeunes à surmonter la tragédie. “J’ai rarement vu un enfant jouer aussi bien que dans Les 400 coups de François Truffaut,” admet le metteur en scène. “Le film s’attardait non seulement sur les traumatismes de l’enfance, mais aussi sur la résilience des plus petits. Je voulais faire un film dans cette veine, mais je n’arrivais pas à trouver d’intrigue susceptible d’évoquer ces phénomènes. Jusqu’à ce que je tombe sur la nouvelle de Joe Hill. Ensuite, Cargill et moi avons discuté pour savoir comment intégrer ces concepts dans le récit.” Au-delà de l’horreur, Black Phone traite de la force des enfants et de leur foi en des forces invisibles, mais aussi de la capacité de la famille et de l’amour à résister aux phénomènes les plus atroces et inimaginables.
La terreur dans les années 1970
Dans Black Phone, Scott Derrickson recherchait l’exactitude de la reconstitution des années 1970 mais aussi une véracité émotionnelle. “Le plus difficile consistait à recréer le style visuel et les sons de l’époque, mais aussi à en restituer l’atmosphère,” indique le cinéaste. “A travers le climat qui se dégage de Black Phone, je voulais retrouver les sensations que j’éprouvais à l’âge de 12 ou 13 ans en pensant aux années 70. Avant le lycée, je me souviens de la violence du quartier où je vivais. Le sentiment qui dominait, quand j’étais enfant, était la peur. Quand je retrouvais mes copains en dehors de chez moi, j’étais le plus jeune de la bande face à de très nombreux ados qui me harcelaient.” Apprendre à se défendre contre les petites brutes était alors considéré comme un rite de passage normal.
Par ailleurs, à travers le pays, la psychose se propageait rapidement car plusieurs tueurs en série faisaient la Une des journaux. Charles Manson et sa famille, l’Etrangleur des collines, le tueur du Zodiaque, le fils de Sam, John Wayne Gacy ou encore Ted Bundy hantaient alors les cauchemars des Américains. “Quand j’étais élève à l’école primaire, au moins à l’époque où je vivais dans le nord de Denver, je me souviens que les tueurs en série pullulaient,” raconte Scott Derrickson. “C’était le milieu des années 70, et on colportait des légendes urbaines sur les pires tueurs en série qu’on puisse imaginer. Toutes ces horreurs se sont inscrites de manière indélébile dans l’inconscient collectif.”
En 1981, quand Adam Walsh, 6 ans, a été enlevé et décapité, en Floride, tous les enfants des Etats-Unis connaissaient son nom, dans quelles circonstances il était mort et les détails les plus atroces de la découverte de son cadavre. “On en a tous fait des cauchemars,” avoue C. Robert Cargill. “Cela a même inspiré une réplique du scénario : ‘On est d’abord un enfant totalement inconnu et puis, tout à coup, tout le monde connaît ton nom’. C’est très emblématique de cette époque à laquelle nous avons grandi.”
“J’ai grandi la peur au ventre, en apprivoisant cette émotion, et je crois bien que ma passion pour l’horreur vient de là,” confie Scott Derrickson. “Pour moi, quand je regarde ou que je réalise des films d’horreur, je tente d’exorciser une peur. J’ai toujours trouvé que c’était extraordinairement cathartique, en tant que spectateur et en tant qu’artiste, de me confronter à un phénomène invisible et totalement terrifiant, dans le monde ou dans la nature.”
Le Ravisseur (Ethan Hawke)
Pour le tueur en série d’enfants, incarnation du mal absolu, Scott Derrickson voulait “montrer qu’un type comme celui-ci pouvait quasiment devenir une figure mythologique pour les gamins. Il fallait en faire une créature terrifiante, mais aussi exaltante et fascinante.”
Afin d’incarner le méchant de l’histoire, le réalisateur voulait Ethan Hawke (qui interprétait déjà un vilain dans la série Moon Knight), déjà à l’affiche de Sinister. Ce choix comportait cependant un obstacle majeur à surmonter. “Ethan n’est pas franchement fan de cinéma de genre ou d’horreur parce qu’il a tendance à avoir peur,” s’amuse Scott Derrickson. L’acteur a donc d’abord été hésitant. Mais pas seulement pour cette raison. “Cela ne me gêne pas d’interpréter des personnages détestables ou faillibles,” reconnaît le comédien. “Mais dès l’instant où le spectateur vous aperçoit sous les traits d’un personnage profondément maléfique, celui-ci reste inscrit dans son esprit, ce qui change la perception qu’il a de vous.” Le scénario, et tout particulièrement la relation entre Finney et sa sœur Gwen, l’a fait changer d’avis. “J’ai trouvé que c’était une histoire singulière. Certes, il s’agit d’un film terrifiant, mais profondément humain.”
Dans sa nouvelle, Joe Hill a créé le Ravisseur en s’inspirant du tueur en série John Wayne Gacy. Surnommé le Clown Tueur, il avait assassiné au moins 33 jeunes hommes et garçons entre 1972 et 1978. “Quand je pensais à ce type de prédateur, j’avais en tête quelqu’un qui me rappelait Gacy,” explique l’écrivain. “Il existait un autre tueur d’enfants dans les années 80-90, près de Boston, dont j’avais entendu parler par les journaux. Il m’obsède encore aujourd’hui. Je ne sais pas pourquoi il m’a autant marqué, mais c’est le cas. Si on a autant besoin de la fiction, c’est en partie parce qu’elle nous donne le sentiment d’obtenir réparation, ce qu’on n’obtient pas toujours dans la vie. Dans la réalité, on est confronté à des événements atroces et il n’y a aucun moyen d’en apaiser la souffrance, si bien qu’on tente de s’en sortir grâce à la fiction.”
Finney (Mason Thames)
Finney est un adolescent de 13 ans harcelé au collège et rudoyé chez lui par son père (Jeremy Davies). Il est bienveillant, intelligent et ingénieux, mais timide et un peu gauche. Il est la cible privilégiée des petites brutes du coin. Sa meilleure amie est sa sœur cadette, Gwen.
“Joe Hill a écrit une nouvelle très ramassée, très sobre,” remarque Scott Derrickson. “Malgré cette simplicité de la narration, j’ai ressenti une immense empathie pour Finney. J’avais très envie de développer ce personnage et de faire en sorte que le spectateur ressente ce qu’il ressent. On a auditionné bon nombre de jeunes, et on a eu de la chance de rencontrer Mason. Il porte le film sur ses épaules et témoigne d’un jeu tout en nuance, très fort et sans concession.” C’est le premier rôle de Mason Thames au cinéma.
Scott Derrickson s’est inspiré de ses propres souvenirs d’enfance pour imaginer plusieurs pans de la vie de Finney. Comme le jeune garçon, il regardait Le Désosseur de cadavres (1959), classique du cinéma d’horreur de William Castle. Il avait également un copain, l’élève le plus fort de l’école, qui, pour une raison qu’il ignore, l’appréciait.
Gwen (Madeleine McGraw)
Fougueuse, intrépide et futée, Gwen, 11 ans, est la sœur de Finney. Elle est aussi sa meilleure amie, sa confidente et celle qui prend systématiquement sa défense. Tout comme sa mère, désormais disparue, elle a des visions et a rêvé de l’enlèvement des autres garçons. Après le kidnapping de Finney, elle commence à analyser précisément ses visions, bien déterminée à retrouver son frère.
Après avoir vu l’audition de Madeleine McGraw, 14 ans et actrice depuis l’âge de 6 ans, Scott Derrickson a compris qu’elle serait parfaite sous les traits de Gwen, dépeinte dans le scénario comme “un rayon de soleil au milieu de l’apocalypse”. Mais l’actrice venait de décrocher un rôle pour un projet qui démarrait au même moment que Black Phone. Scott Derrickson a alors dit à Jason Blum qu’il ne se lancerait pas dans de nouvelles auditions et que c’était la comédienne qu’il leur fallait. La production a modifié les dates du tournage pour ne pas la perdre.
Les masques impressionnants du Ravisseur
Le Ravisseur arbore toujours des masques terrifiants qui lui recouvrent entièrement ou partiellement le visage. Ils montrent chacun une expression différente: un sourire, un froncement de sourcils, l’impassibilité… Scott Derrickson en a confié la conception à Tom Savini, connu pour le maquillage effets spéciaux de plusieurs films d’horreur comme Vendredi 13, Le jour des morts-vivants ou encore Massacre à la tronçonneuse 2.
“Le fait que le Ravisseur se donne autant de mal pour ne pas être vu est révélateur,” note Ethan Hawke. “Il doit vraiment se haïr et c’est sans doute cette haine de soi qui lui permet de faire du mal aux autres. J’étais enthousiaste à l’idée d’interpréter un personnage masqué, et Scott recherchait un acteur prêt à jouer avec cet accessoire. En lisant le scénario, j’imaginais qu’il n’avait qu’un seul masque. Scott a cependant décidé que le masque s’adapterait à la facette de la personnalité que le Ravisseur souhaite mettre en avant.”
“Au départ, nous avions juste écrit dans le scénario qu’il s’agissait d’un vieux masque en cuir avec le diable peint dessus, souriant ou fronçant les sourcils,” assure le réalisateur. “Une fois qu’Ethan a signé, je me suis senti inspiré pour faire quelque chose de plus élaboré avec le masque. Ainsi, on l’a divisé en deux pour qu’il puisse montrer seulement ses yeux ou sa bouche. Nous étions aussi très précis sur la manière et le moment où le Ravisseur le portait. On essayait d’imaginer dans chaque scène lequel il porterait et pourquoi, et comment cela aurait un impact sur ce qu’il dit et fait.”
“Pendant la pandémie, on a tous vu à quel point le masque change notre rapport aux autres,” reprend Ethan Hawke. “Quand quelqu’un a le visage couvert, on s’intéresse automatiquement à ses gestes. On a le réflexe de décrypter l’humeur des gens rien qu’en voyant leur visage. Quand on n’y a plus accès, la gestuelle de son interlocuteur et l’énergie qu’il dégage sont les premiers indices auxquels on se raccroche. C’était donc un défi stimulant à relever afin de camper le personnage. Comment se comporte-t-il quand il est debout ? Comment bouge-t-il ? Quel est le timbre de sa voix ?”
Le téléphone noir à cadran
Installé dans la cave du Ravisseur, le téléphone joue un rôle déterminant dans le film. Il sert en effet de passerelle entre les mondes physique et métaphysique. La chef décoratrice Patti Podesta a longuement cherché un téléphone qui corresponde parfaitement à Black Phone. Elle en a déniché un particulièrement imposant, caractéristique d’un appareil des années 70. La production en a acheté plusieurs exemplaires. La déco les a ensuite vieillis pour montrer l’usure des années. Au cours du tournage, le téléphone était branché à un dispositif, le Viking System. Scott Derrickson pouvait ainsi le faire sonner et parler à Mason Thames.
Une violence sans retenue
Pour les affrontements entre jeunes, Scott Derrickson a fait savoir à son chef cascadeur Mark Riccardi qu’il souhaitait que les combats témoignent d’une violence sans retenue. C’est le souvenir qu’il garde de ces agressions dont il a été témoin, enfant, dans les années 70.
Il n’a cependant pas toujours été simple de trouver des cascadeurs pour doubler des enfants de moins de 1,50 m. Mark Riccardi a sillonné plusieurs villes afin de repérer des adultes qui correspondaient à ces critères.
Mason Thames a suivi des cours de danse et pratiqué le football, ce qui lui a permis d’effectuer lui-même quelques cascades dans Black Phone. “J’ai facilement appris les gestes de la chorégraphie et je suis habitué aux mouvements qu’il fallait faire pour les cascades,” admet le jeune acteur. ”Je suis assez rapide et souple, et parfois, quand on fait de la danse, on doit cacher le fait qu’on est fatigué. C’était exactement la même chose pour les cascades.”
Madeleine McGraw a, elle aussi, exécuté certaines de ses propres cascades. “J’ai toujours rêvé de faire des acrobaties,” sourit-elle. “Mon personnage se prend un coup par une des brutes du quartier et se retrouve sur le dos. J’ai pu m’entraîner sur un tapis pendant les répétitions. Je savais déjà comment m’y prendre parce que je m’étais entraînée avec mon frère jumeau. On faisait souvent de faux sauts périlleux et on retombait sur le dos sur un matelas. C’était génial de pouvoir effectuer ce genre d’acrobaties pour le film.”
Crédit photos : © Universal Pictures