Alien, le huitième passager a représenté un tournant dans le film de science-fiction et le film d’horreur. Il a changé la façon de voir des spectateurs en matière d’extraterrestres et de monstres et en aurait fait vomir plus d’un. Retour sur un phénomène qui ne vieillit pas
A l’annulation du projet d’Alexandro Jodorowski d’adapter Dune au cinéma, Dan O’Bannon, scénariste, réalisateur et spécialiste des effets visuels, a échoué sur le canapé de son ami auteur et scénariste Ron Shusett et a déprimé pendant une semaine avant de se remettre à écrire. « Alien était une idée que j’avais en tête depuis quelques temps et j’en avais écrit toute la première partie, raconte le scénariste. En trois mois, j’ai écrit la suite avec l’aide de Ron. Il m’a rappelé une histoire que je lui avais racontée : des gremlins qui envahissent un B-17 pendant la Deuxième Guerre mondiale et tuent tout l’équipage. J’avais ma seconde partie. » Ron Shusett fait alors le tour des producteurs à la fin de l’été 1976 avec leur Alien. Quelques mois plus tard, une société de production, la BrandyWine Production, fondée par le producteur Gordon Carroll et les deux auteurs-réalisateurs David Giler et Walter Hill, l’achète. Un accord est ensuite conclu avec la Twentieth Century Fox.
Remaniement scénaristique
David Giler et Walter Hill s’approprient le scénario et le remanient : ils transforment l’officier scientifique Ash en androïde et décident que quelques personnages seront féminins. « Pendant longtemps j’ai espéré réaliser le film, précise Dan O’Bannon, et quand j’ai écrit les rôles, je ne leur ai pas donné de sexe. Je me disais qu’en faisant le casting, je déciderai qui serait un homme ou une femme. Comme je ne l’ai pas réalisé, ce sont les producteurs qui ont décidé qui serait qui. Mais si mon scénario n’avait contenu que des personnages masculins, ils n’auraient pas eu l’idée d’y mettre des femmes. »
Les deux producteurs concoctent aussi une version plus concise et plus élaguée du scénario original afin d’attirer un public plus large. « Ils ont abîmé mon scénario, affirme Dan O’Bannon. C’est vrai qu’il est assez fidèle à l’intrigue que j’avais écrite mais les dialogues n’ont plus de substance, des détails de certaines scènes ont été retirés, les personnages sont devenus superficiels et certaines transitions ne veulent plus rien dire. Résultat, même si le film est très populaire, il ne reflète en rien mon travail de scénariste. »
C’est le scénario de David Giler et Walter Hill que reçoit Ridley Scott. Diplômé du London’s Royal College of Art, l’Anglais poursuit une brillante carrière de réalisateur de pubs (plus de 3 000 spots) et vient d’être primé à Cannes pour son premier film, Les duellistes. « Hollywood s’intéressait à moi, se souvient le réalisateur, mais les scénarios qui m’étaient proposé étaient mauvais et j’ai préféré travailler sur mes propres scénarios. Jusqu’à Alien. » Il lit le scénario en 40 minutes ponctuant sa lecture de « Oh, my God ! Oh, my God ! ». « Pourtant, avant de tourner Alien, je n’aimais pas la science-fiction. A cause de mon éducation puritaine et bourgeoise, je n’allais jamais voir les films de monstre des années 50. J’aurais eu l’impression de m’encombrer inutilement le cerveau. Mais je dévorais les BD. »
Ridley Scott signe avec la Fox en février 1978 et obtient un budget de 4,2 millions de dollars. Il passe ensuite des mois à storyboarder le film et revient voir la Fox avec plus de 400 croquis. Son budget est alors doublé. « Tous les efforts ont été concentrés sur les décors, précise Dan O’Bannon. Il n’y avait pas beaucoup de lieux différents ni de vaisseaux et il n’y avait qu’un alien, contrairement à Star Wars. Nous pouvions donc tout concentrer là-dessus et faire des décors très élaborés et complexes. » « J’étais ébahie quand je me promenais sur les décors, se souvient Sigourney Weaver. Je crois que ces décors ont été construits pour nous et non pour la caméra. Ils voulaient que les acteurs y croient vraiment. »
L’équipe graphique de Dune monte à bord
En dépit de son amertume, Dan O’Bannon signe aussi avec la Fox, en tant que concepteur des effets visuels, et réunit les artistes graphiques de Dune : le créateur de quelques bestioles de la Cantina de Star wars Ron Cobb, l’illustrateur de science-fiction Chris Foss, l’auteur français Jean « Moebius » Giraud et le sculpteur et peintre suisse Hans Rudi Giger.
Ron Cobb commence à travailler sur les différents éléments visuels du film, à la fois humains et extraterrestres, pour ensuite se concentrer avec Chris Foss sur les intérieurs et les extérieurs du Nostromo. « Nous voulions donner à cet endroit un aspect très effrayant, sourit Ron Cobb, un peu comme un château gothique ou l’épave d’un sous-marin. Tous ces aspects devaient être là constamment en toile de fond. » Quand le Nostromo est construit, tous les couloirs sont reliés les uns aux autres et l’équipe doit les parcourir pour aller de salle en salle. « Je voulais avoir les quatre murs, précise Ridley Scott, sentir que j’étais à l’intérieur de la cabine pour avoir l’effet de claustrophobie désiré. J’ai même fait rabaisser le plafond. Les personnes un peu grandes, comme Sigourney Weaver, devaient faire attention à ne pas se cogner contre le haut des portes. »
Moebius travaille également sur quelques idées de vaisseaux, mais ce sont finalement ses dessins des costumes et des scaphandres qui sont retenus. « Ridley Scott connaissait mon travail, précise le dessinateur. J’avais publié les premiers épisodes de L’Incal, quelques histoires dans Pilote et surtout Métal hurlant. Comme tous les gens de cinéma un peu chatouillés par la science-fiction, Ridley était abonné. Tout de suite notre relation s’est placée dans une optique de complicité et de confiance. Mais au bout de quinze jours, mon éditeur m’a rappelé que j’avais aussi Blueberry en chantier et j’ai dû partir. »
Le reste des éléments visuels du film est confié à H.R. Giger. « J’ai toujours voulu avoir Giger, affirme Dan O’Bannon. Il avait dessiné le monde des cruels Harkonnen pour Dune. Quand j’ai écrit mon scénario, j’avais assez d’expérience dans ce domaine pour savoir que cela ne servirait à rien de décrire précisément ce à quoi ressemblait l’alien, mais j’ai écrit mon scénario en fonction de ce que Giger pourrait faire. » Il montre à Ridley Scott les œuvres du Suisse et notamment son livre intitulé Necronomicon. « En le feuilletant, se souvient le réalisateur, je suis tombé sur cette peinture représentant cette créature unique et effrayante, le Necronomicon IV. C’était lui, c’était notre monstre. Je n’avais jamais été aussi sûr de quelque chose de toute ma vie. L’art de Giger va au cœur de notre psyché et touche nos craintes et nos instincts les plus primaires. Son travail a toujours eu un effet dérangeant sur moi. Je savais que le design de Giger sur Alien serait une expérience unique pour le spectateur et contribuerait fortement au succès commercial du film. » H.R. Giger est donc engagé pour dessiner l’alien et les quatre stades de son cycle de vie mais aussi tout ce qui le touche : le planétoïde, le vaisseau spatial en ruines, le Jockey de l’espace et le silo à œufs.
Un monstre invisible
L’artiste rejoint ainsi la production d’Alien qui a investi les studios britannique de Shepperton. Près de 300 techniciens participent au film, parfois 18 heures par jour, six jours sur sept. Cinq plateaux sont réservés. H.R. Giger s’octroie le plus grand, celui qui a déjà accueilli les décors de Star Wars et de Superman, pour construire le décor du planétoïde. Il commande des os, des tuyaux, des câbles, des pièces de moteur, de la plasticine et travaille avec des modeleurs, des charpentiers et des menuisiers sur son monde biomécanique, fait de choses organiques et mécaniques.
Mais son plus grand défi l’attend encore : l’alien. « C’est le monstre, la star du film, souligne l’artiste. Au début, nous n’étions pas très sûrs de son aspect. La seule contrainte était néanmoins que je fabrique un costume porté par un acteur. Mais derrière tous les monstres de cinéma, je vois toujours un homme plus ou moins bien déguisé et il ne me fait pas peur. Créer un monstre crédible me semblait impossible. » Alors que H.R. Giger veut créer un alien de tout pièce, Ridley Scott veut qu’il garde les formes de son Necronomicon. « Les créatures de Giger étaient exactement ce que j’avais imaginé pour le film, affirme le réalisateur, surtout dans cette manière unique de convoyer l’horreur et la beauté. Je voulais une créature très féminine, longiligne, associant le danger et le désir sexuel. » H.R. Giger peindra trente aliens en trois mois et utilisera des matériaux peu orthodoxes pour le fabriquer comme ce crâne humain pour sculpter la tête dont il allongera la mâchoire pour qu’il fasse plus alien.
Pendant toute sa création, le monstre est gardé sous clé. Personne n’a le droit de le voir. Et surtout pas les acteurs. « L’un de mes problèmes était de garder mes comédiens dans un climat émotionnel propice pendant les seize semaines de tournage, commente Ridley Scott. J’évitais donc au maximum de les mettre en contact avec la chose pour conserver leur spontanéité et la fraîcheur du dégoût qu’elle inspire. » Sur l’écran, il fait de même, ne dévoilant jamais la créature entièrement, préférant jouer sur une silhouette ou une ombre. La créature ne devient familière qu’à Bolaji Badelo, un guerrier Masaï de 2,10 m, étudiant en art, repéré dans un pub londonien, qui endosse le costume. « Il était extraordinaire, s’enthousiasme Sigourney Weaver. Ses jambes ressemblaient à mes bras. Il était magnifique, élégant. Ce qui marchait si bien était que vous ne voyiez pas l’alien souvent et quand vous le voyiez, c’était Bolaji dans un costume et non un être humain normal. Il avait cette beauté et cette qualité d’un autre monde. C’était fascinant. »
Le Chestburster entre en action
Le tournage commence le 25 juillet 1978 et s’avère éprouvant pour tout le monde et notamment Sigourney Weaver, une jeune inconnue venue du théâtre et dont c’est le premier film. « J’ai étudié le comportement des femmes soldats de l’armée israélienne pour jouer Ripley avec réalisme, sans savoir que l’atmosphère du plateau me ferait penser à une zone militaire, raconte la comédienne. C’était un lieu de tension et de morbidité. Quand le monstre bondit de John Hurt, la peur qui se peint sur nos visages n’est pas feinte. Nous étions terrorisés. »
Ridley Scott ne tient pas seulement ses acteurs loin de l’alien, mais il les tient également loin de toutes explications, accentuant la tension avant les scènes. « Le tournage de l’explosion de la poitrine a été un réel bonheur à voir, sourit Dan O’Bannon. La veille, les acteurs avaient tourné la première partie du dîner, jusqu’aux premières convulsions de John Hurt. Le lendemain, c’était l’entrée en scène du Chestburster. John Hurt avait posé la tête et les bras sur la table, devant un morceau de poitrine creux où avait été déposées des tripes fraîchement lavées et de la fausse hémoglobine. Le tout était relié à des pompes hydrauliques. Les techniciens portaient des blouses blanches. En voyant toute cette préparation, les acteurs savaient que cela allait être explosif. A ‘Action !’, cela n’a été que cris et bousculades. Le sang giclait partout. L’actrice Veronica Cartwright en a reçu sur le visage, ce qui lui a fait perdre l’équilibre. Elle est tombée à la renverse et nous ne voyions plus que ses pieds qui dépassaient. » Trois caméras filment la scène. Deux autres prises sont faites, mais avec moins de sang. La majorité des images de la première prise seront gardées. « Pendant le tournage, j’avais toujours peur d’aller trop loin avec la violence, remarque Ridley Scott, mais j’ai tenté de minimiser le sang et le gore dans Alien car je pense qu’il est préférable d’essayer de jouer sur l’attente et l’angoisse de l’inconnu, de créer lentement une impression d’horreur chez le spectateur, une terreur qui devient de plus en plus irrationnelle. »
A sa sortie, le 25 mai 1979, le film est interdit aux moins de 17 ans dans les pays anglo-saxons. Il engrange plus de 60 millions de dollars en quelques semaines, décroche l’Oscar des meilleurs effets visuels, engendre trois suites et maintenant deux prequelles et devient un phénomène à lui tout seul. 25 ans plus tard, à la demande de la Fox, Ridley Scott monte une nouvelle version du film, retirant cinq minutes par-ci, ajoutant quatre minutes et demi par-là. Il pense aussi à l’époque réaliser un Alien 5 et précise alors : « Sigourney aimerait voir Ripley disparaître définitivement. Pour elle, je lui ai donné naissance et c’est donc à moi de la tuer. » Chez Ridley Scott, l’espoir fait mourir.
Crédit photos : © Twentieth Century Fox