Rester fidèle à l’esprit de Harry Potter est la devise des adaptateurs sur grand écran des aventures du jeune sorcier. Dans les deux premiers épisodes, ils ont essayé de tout mettre. Dans les deux suivants, faute de place, ils ont dû condenser et se concentrer sur Harry Potter en oubliant tous ces petits détails fascinants inventés avec passion par J.K. Rowling. Le même schéma s’annonce pour le tome 5, Harry Potter et l’Ordre du Phénix. Mais comment font-ils ?
Au commencement était le manuscrit
1997. David Heyman, un producteur de la société de production Warner, découvre un manuscrit, Harry Potter et l’école des sorciers de J. K. Rowling. Il en tombe amoureux en une soirée. « Je pensais qu’il ferait un bon film, raconte-t-il. Les personnages étaient si vivants, l’histoire si bonne et l’écriture si visuelle. Des images me venaient à l’esprit à chaque phrase, des passages me faisaient rire, d’autres me remplissaient d’émotions. Vous pouviez vous identifier au personnage de Harry de tant de façons. » David Heyman apprécie également que ce ne soit pas du fantastique mais une histoire bien ancrée dans la réalité. « Les personnages et leurs aventures sont très réelles et ce contexte de l’école est très identifiable pour nous. Nous avons tous été à l’école. Ce périple de Harry, du monde extérieur à cet endroit auquel il appartient et qu’il cherchera à protéger, c’est un voyage merveilleux pour un héros. »
Et un voyage tout autant merveilleux pour ceux qui vont participer à son adaptation cinématographique. A commencer par J. K. Rowling. Sa seule appréhension est de voir son bébé américanisé par la Warner et perdre ainsi toute sa substance britannique. Mais David Heyman est anglais et il lui promet de tout faire pour conserver le côté British de ses livres. Et il tient toujours ses promesses. « Evidemment, il y a des choses qui ne fonctionnent pas à l’écran, affirme J.K. Rowling, mais ce qui est crucial, c’est que l’intégrité de l’intrigue et des personnages soit conservée. »
Ses craintes sont atténuées avec le choix du scénariste, Steve Kloves. « J’avais lu ses scénarios de Susie et les Baker Boys et de Wonder boys, confie David Heyman. Il savait retranscrire l’esprit d’un auteur dans ses scripts et c’était important qu’il sache capturer la voix de Jo. » « Quand j’ai rencontré le scénariste, reprend J.K. Rowling, le fait qu’il soit américain m’a inquiétée. J’étais même prête à le haïr rien que pour cela. Après tout, il allait charcuter mon bébé. Mais il m’a conquise dès qu’il m’a dit que son personnage préféré était Hermione. C’est celui qui m’est le plus proche. Il a aussi gagné ma confiance en m’affirmant qu’il éviterait l’habituel manque de subtilité hollywoodien. »
Le pari Potter
Le plus dur pour Steve Kloves est d’adapter une histoire dont il ne connaît pas la destinée des personnages. Si J.K. Rowling répond volontiers à toutes ses questions, elle ne lui révèle pas la suite. « Elle me confirme juste que je suis sur la bonne voie, sourit Steve Kloves, et m’interdit des coupes quand les passages sont importants pour la suite. » De leur côté, certains réalisateurs sont intuitifs. Plus que de raison. Alfonso Cuarón, le réalisateur de Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, a, par exemple, anticipé et introduit des éléments qui annoncent les deux derniers livres. « J’ai eu la chair de poule en voyant cela, sourit J.K. Rowling. Les gens ont cru que le film contenait des indices. » « L’ensemble du scénario n’est qu’une extrapolation de ce que Jo a écrit, reprend Steve Kloves. Même s’il y a quelques petites choses qui viennent de moi. » « J’ai beaucoup aimé les têtes réduites du Prisonnier d’Azkaban, reconnaît J.K. Rowling. J’aurais aimé écrire ça. Mais c’est aussi le but : travailler avec des gens qui ont des idées. Quand je vois ces petites choses qui correspondent au monde, je suis enchantée. »
Même si ces idées remplacent celles qu’elle a inventées et que la production coupe sans remords invoquant le manque de temps dans le film ? « Jo veut rester fidèle aux livres, affirme Steve Kloves, mais elle sait que la page et la toile sont des moyens de communication différents. Et puis, pour être fidèle en tout point aux livres, chaque film devrait durer de 16 à 24 heures. » La tâche du scénariste est de rester sous la barre des trois heures de film. « La leçon apprise entre les deux premiers et le troisième épisode est que nous devions capturer l’âme du livre, précise David Heyman. Il y a trop de choses pour les transcrire littéralement en un film. Ce que nous avons fait, et que nous continuons à faire avec La Coupe de feu, est de se concentrer sur le personnage de Harry Potter. Ce qui n’est pas lié à lui ni à son périple est mis de côté ou n’apparaît pas de façon aussi proéminente que dans le livre. Dans La Coupe de feu, par exemple, nous allons à la Coupe du monde de Quidditch mais nous ne passons pas autant de temps sur le sport parce que nous l’avons déjà fait et que Harry n’est pas engagé dans le jeu. Ce qui importe dans cette séquence, ce sont les Mangemorts et la Marque des ténèbres. C’est vrai que certains détails vont manquer mais c’était déjà le cas sur les trois premiers. » Et à chaque fois avec l’accord de J.K. Rowling.
De par son contrat, l’auteur donne son approbation pour le scénario. Sans pour autant avoir le dernier mot ni son mot à dire sur le choix du scénariste, du réalisateur ou des acteurs. Seulement sur l’intrigue. Mais celle de ses livres. « Je lui demande très souvent ce qu’elle en pense, rassure David Heyman. Je la respecte trop pour ne pas lui demander son avis mais d’un autre côté, elle nous fait confiance et nous a toujours soutenus. Elle est une collaboratrice très généreuse. Elle n’est pas du genre à dire : ‘Non, vous ne pouvez pas faire ça !’. Au final, je fais en sorte que rien ne la perturbe dans ce que nous faisons. Il n’y a jamais eu de problème. En plus, le fait que ses livres ont tant de succès nous encourage à la fidélité et à la responsabilité. Et ce qui aussi important pour nous, c’est de ne pas mettre en danger le livre 7. »
Pour sa part, J.K. Rowling se rend disponible pour répondre à toutes les interrogations qui naissent sur le tournage. Elle s’est notamment impliquée sur la production du premier film et la création cinématographique de l’univers de Harry Potter et de ce qu’elle avait dans la tête depuis des années. « J’ai toujours été excitée et nerveuse à l’idée d’un film, rapporte J.K. Rowling. Nerveuse parce que c‘est à mon bébé qu’ils touchent et excitée parce que j’allais découvrir de mes yeux ce que j’avais imaginé. Je voulais voir du Quidditch. » Et la hutte de Hagrid. Et la Grande Salle. Et Aragog. Et les Détraqueurs…
Une baguette bien cuite
L’Américain Chris Columbus est le premier réalisateur à mettre en images cet univers magique et à imprimer son empreinte sur le film. Il a été choisi parce que, aux dires de David Heyman, il s’est montré « le plus passionné face au livre ». Et accessoirement parce qu’il a connu le succès avec ses films grand public voire enfantins (Mrs Doubtfire, Maman, j’ai raté l’avion). « J’ai une grande confiance en lui, affirmait à l’époque J.K. Rowling. C’est désarmant, et rassurant, de rencontrer quelqu’un qui a lu tous les livres de Harry Potter à ses enfants, qui les connaît par cœur, qui est déterminé à vous donner une distribution purement britannique et qui est impatient d’entendre ce que vous pensez de ce qu’il compte faire. » Et ce qu’il comptait faire, c’était de suivre à la lettre les romans qui s’adressent avant tout à des enfants. Il a inventé une école britannique et un environnement scolaire bon teint voire idyllique où la magie se dispute à la féerie. Il a monté d’un cran avec le second, plus sombre dans le ton et plus effrayant. J.K. Rowling avait d’ailleurs reçu des protestations des parents parce qu’il faisait trop peur. « Nous le savions quand nous avons fait le film, admet Chris Columbus. Mais je n’allais pas atténuer cette peur, je voulais être fidèle au livre. Je voulais que les lecteurs aient la même expérience sur grand écran que celle qu’ils avaient ressenti en lisant le livre. »
Le passage du gentil Chris Columbus au grinçant Alfonso Cuarón crée un fossé entre les deux premiers épisodes et le troisième. Les héros semblent grandir beaucoup plus vite dans les films que dans les livres. Steve Kloves avoue même que ce réalisateur l’a « libéré du texte ». « A l’arrivée d’Alfonso Cuarón, Chris Columbus avait déjà créé le monde de Harry Potter, précise David Heyman. Mais alors que le jeune sorcier grandissait, Alfonso semblait le choix parfait. Il est très visuel, il a déjà travaillé avec des enfants et il venait de faire Y tu mamá también. Ce film et Harry Potter semblent être deux mondes totalement différents mais ils sont liés car ils affichent tous deux une compréhension pointue de l’adolescence et des nuances de la vie des adolescents. » « Dans le Prisonnier d’Azkaban, ils ont 13 ans et passent de l’enfance à l’adolescence, confirme Alfonso Cuarón. C’est le moment où le croquemitaine n’est plus sous le lit mais en nous. Nous voulions apporter un aspect naturel et réaliste pour les enfants. » Le réalisateur mexicain affuble ainsi ses héros de tenues débraillées plus proches de la réalité anglaise que le style très scolaire et propres sur eux de Chris Columbus ou des robes de sorcier du livre. Les vêtements sont plus appropriés et apportent aux personnages une individualité émancipatrice.
Mike Newell, le réalisateur de La Coupe de feu, continue dans cette voie et en rajoute même. S’autoproclamant gardien du roman, il veut aussi s’en détacher. « L’élément essentiel de cet épisode, c’est que les enfants grandissent encore, prévient le premier metteur en scène britannique de la franchise. Nous devons être fidèles à cette évolution et à ces enfants plus particulièrement. L’histoire a un aspect sombre et effrayant avec de l’amour et de la magie. Je veux être sûr de capturer la bonne atmosphère, la bonne émotion. » Il demande à Steve Kloves de condenser l’histoire au maximum pour qu’elle tienne en un seul film et rende justice au roman et pour la transformer en un thriller au rythme trépidant. Ceci étant dit, Mike Newell n’hésite pas non plus à clamer qu’il veut « sortir la franchise de cette gentillesse dégoulinante. Pour moi, les enfants sont violents, obscènes, des anarchistes corrompus. Des adultes en devenir. » « Il exagère un peu, corrige David Heyman. C’est vrai que Mike a été brillant en infusant au film ce sentiment d’anarchie. Les gosses se battent et se déchirent, ils remarquent les filles et réalisent que ce n’est pas toujours facile. Mike a connu ce genre d’école et d’univers anarchique et vous le sentez dans le film. »
Anarchy in the UK
Ce côté pensionnat britannique est encore renforcé par les acteurs. Tous britanniques. Il a d’ailleurs toujours été question d’avoir une distribution exclusivement anglaise, « pour donner plus de vérité aux films, affirme David Heyman. Le film se passe en Angleterre, les acteurs sont anglais. C’est comme cela que Jo l’a écrit. Nous avons tant de talents en Grande-Bretagne qu’il serait stupide de ne pas les utiliser. » Trouver Harry Potter a été épique. Les recherches ont commencé en septembre 1999, six mois avant même d’avoir engagé Chris Columbus. En juin 2000, le producteur commence à paniquer car il n’a toujours pas trouvé son acteur. Il le dénichera par hasard. Daniel Radcliffe est le fils d’un de ses amis. « C’est un garçon étonnant, calme, avec de grands yeux et un esprit généreux, remarque David Heyman. Il ne vous rappelle pas quelqu’un ? » Quand J.K. Rowling découvre Daniel Radcliffe, elle admet qu’il est parfait. Elle a autant de compliments pour les deux autres comédiens en herbe, Rupert Grint et Emma Watson. Mais à chaque nouvelle adaptation, la même question surgit : sont-ils trop vieux pour leur rôle ? « Les spectateurs pardonnent qu’un ado de 17 ans joue un ado de 15 ans, rassure David Heyman, plus que s’il jouait un enfant de 11 ans. Nous espérons tous qu’ils resteront jusqu’à la fin de la franchise. Cela ne dépend que d’eux. »
C’est plutôt bien parti puisqu’ils ont signé pour L’Ordre du Phénix. Le scénario est écrit par un nouveau scénariste, Michael Goldenberg (Steve Kloves reviendra pour le suivant, Le Prince de sang-mêlé) qui a scénarisé Pluie de roses sur Manhattan et Peter Pan. La mise en scène est confiée à un nouveau réalisateur, venant principalement du téléfilm, David Yates. « Un metteur en scène plus jeune, moins théâtral et porté sur le réalisme social, énumère David Heyman. Ce qu’il fera sera dans la continuité de la série et surtout dans l’esprit du livre. A quelques nuances près. »
Crédit photos : © Warner Bros