Avec Spirale : L’Héritage de Saw, Darren Lynn Bousman, 42 ans, revient à la franchise qui l’a fait connaître il y a plus de 15 ans. Il ne réalise pas une énième suite de Saw mais un spin-off, plus thriller que film gore, qui, il l’espère, plaira autant aux fans de la première heure qu’à un public plus large. Son long métrage sort en salles ce 21 juillet.
En 2004, son scénario de The Desparate, dont l’intrigue s’approchait fortement du Saw de James Wan, a été repéré par les producteurs de Lionsgate qui l’ont transformé en Saw 2 et confié sa réalisation à son auteur. La carrière de Darren Lynn Bousman était lancée. Après deux autres suites, il a mis en scène des projets plus personnels, cependant toujours liés à l’horreur, alternant entre des comédies musicales et des longs métrages à petit budget où il explore des thèmes récurrents chez lui tels la foi, les croyances et la famille.
Comment avez-vous été impliqué dans le projet de Spirale : L’Héritage de Saw ? Après Saw IV, vous affirmiez ne pas vouloir réaliser un autre opus de la saga.
Darren Lynn Bousman : J’imagine que j’ai appris une bonne leçon : ne jamais dire jamais. Je n’aurais jamais cru que je reviendrais. Je n’aurais jamais cru qu’ils voudraient me voir revenir et que j’accepterais de revenir. J’ai reçu un appel en 2019 de Mark Burg, de Twisted Pictures. Il m’a déclaré que je devais rencontrer Chris Rock. Je ne savais pas que c’était pour un Saw. Il m’a conseillé de vérifier mes emails car il m’avait envoyé un scénario. J’ai donc ouvert mes emails. Le scénario s’appelait Organ Donor. J’ai commencé à lire et j’ai réalisé que c’était un Saw ! Néanmoins, c’était un Saw sans être un Saw.
Mark était toujours au téléphone. Je lui ai demandé si le Chris Rock dont il parlait était le comique. Il a répondu oui. J’ai ensuite rencontré Chris Rock. C’est un grand fan de la franchise. Il voulait créer sa version de Saw. Comment refuser ? Comment dire non à une version de Saw par Chris Rock ? Puis, j’ai découvert que Samuel L. Jackson était de la partie. J’ai tout de suite signé. J’étais partant à 1000%. Quelques semaines plus tard, j’étais à Toronto afin de tourner un nouveau Saw, plus de dix ans après Saw IV.
La trame du scénario est de combattre la corruption dans la police, de la nettoyer des policiers qui tuent des innocents. Avec Chris Rock à l’écriture, avec le mouvement de Black Lives Matter et les bavures policières aux Etats-Unis, Spirale a-t-il un message à exprimer ?
Ce qui est fou avec ce film, c’est que nous savions quel sujet nous abordions, que nous nous attaquions à la corruption policière mais ce n’est qu’une fois le tournage fini que nous avons vu les manifestations et les émeutes et que tout le reste a éclaté. Donc notre but n’était pas d’asséner un message politique, nous voulions avant tout être sûrs que ce projet restait dans la droite ligne des précédents Saw. L’idée de Jigsaw était de mettre les gens face à un miroir et de leur faire apprécier ce qu’ils avaient, de leur montrer qu’ils devaient apprécier la vie. Et il les soumettait à des tests insoutenables avec l’objectif qu’ils en ressortent meilleurs.
Dans Spirale, notre idée est de changer une institution et non un individu. De mettre cette institution face à un miroir et de lui enjoindre d’être meilleur, de mieux faire. C’était également important que le personnage de Chris Rock soit aussi un policier pour montrer que nous ne proclamons pas que tous les policiers sont mauvais. Cette idée de réformer une institution et non un individu donne à ce Saw nouvelle version une portée plus étendue.
Diriez-vous que Spirale est un spin off ?
Oui. C’est drôle car beaucoup de gens pensent que c’est Saw 9. Ce n’est pas le cas. Je pense que Saw 1 à 8 existent dans leur propre univers. Spirale possède le même ADN que Saw tout en étant indépendant. Les fans de la franchise auront beaucoup d’éléments auxquels se raccrocher, des pièges aux twists en passant même par la petite marionnette. Cependant, Spirale possède sa propre identité. Son ton et son esthétique sont différents. Spirale existe dans le même univers où Jigsaw est réel mais il possède sa propre histoire. Il est aux autres films de la franchise ce qu’Annabel est à Conjuring. C’est le même principe que les films Marvel qui se déroulent dans un même monde où les super-héros sont réels. L’idée est d’avancer, d’attester que Saw et John Kramer peuvent toujours exister et qu’il a aussi autre chose à côté.
Spirale s’apparente plus à un thriller qu’à de l’horreur typique de Saw.
Oui. C’était important. Sachant que nous avions des acteurs aussi incroyables et dotés d’une importante base de fans, nous avons voulu faire de Spirale un long métrage aussi commercial que possible. Je suis père maintenant. J’ai désormais deux enfants, je suis marié. Quand j’ai tourné les précédents Saw, ce n’était pas le cas. J’étais un gamin. La violence était alors un gimmick pour moi. Je l’utilisais afin d’essayer de dégoûter le public, je voulais voir jusqu’où je pouvais aller, voir ce que la MPAA pouvait accepter. Aujourd’hui, la violence sert l’histoire. Le sujet et le ton importent plus que l’horreur ou le gore gratuit qui s’y rattachent. Spirale est un mélange de 48 heures et de Seven. Nous voulions ce genre de feeling, de ton qui devrait, nous l’espérons, attirer un public plus large.
Seven jouait avec la pluie et des couleurs tristes tandis que Spirale se passe en pleine canicule baignée de couleurs chaudes.
Oui, c’était une de mes premières idées. Nous proposons une nouvelle approche d’une franchise qui a un look et un style uniques. Saw est réputé pour ses teintes vertes et son atmosphère très claustrophobique. Nous voulions que le public réalise tout de suite qu’il entre dans un monde différent, qu’il va entendre une autre chanson. Nous avons donc décidé de situer l’action pendant la semaine la plus caniculaire de l’année, dans une atmosphère étouffante, avec une climatisation en panne, des personnes en sueur. D’habitude, vous voulez que vos acteurs soient beaux. Ici, ils sont couverts de taches de sueur. Nous avions une équipe entière dédiée à ça : la sueur. Ils en mettaient partout : sur le visage des acteurs, sur leur dos, leur torse… La chaleur devient alors un personnage et aide à faire passer l’idée de l’inconfort.
Les Saw sont aussi habituellement très claustrophobiques et se passent dans un ou deux environnements. Dans Spirale, nous avons des plans de la ville, des plans filmés par des drones, des travellings. Nous avons voulu ouvrir l’action sur l’extérieur, ce qui est nouveau dans l’univers de Saw.
Quel élément typique de Saw vouliez-vous dans Spirale ?
Celui pour lequel je me suis battu férocement est le piège de la scène d’ouverture. C’est d’ailleurs une drôle d’histoire. Nous étions en repérages. A l’origine, la scène se passait dans le tunnel d’un égout. J’ai refusé en précisant que je voulais quelque chose d’impressionnant, de plus intense. Nous avons donc continué les repérages et avons exploré le métro. J’ai tout de suite adoré. Je voulais utiliser le métro. Nos recherches ont malheureusement révélé que filmer dans le métro était trop compliqué. Nous tournions pendant l’été. Il faisait chaud et encore plus chaud à trois niveaux en dessous de la surface. Il y avait aussi la question de la sécurité. Il aurait fallu désactiver le troisième rail. Cela devenait alors dangereux. Le producteur a donc mis son véto pour le métro. Cela m’a contrarié.
J’étais toutefois déterminé et je les ai convaincus de construire le décor en studio. Toute la séquence est ainsi tournée dans un décor avec une perspective forcée car il est beaucoup plus petit qu’on ne le pense. En se tenant au milieu, nous pouvions toucher les murs. J’ai construit un métro qui ressemble à un vrai. C’est juste génial.
D’où viennent les idées des nouveaux pièges ?
C’est un des aspects les plus durs de l‘univers de Saw. Il y a tant d’épisodes et tant de morts, qu’il est difficile de trouver de nouvelles façons inventives de tuer des gens. Quand nous avions une idée, quelqu’un précisait toujours que cela avait déjà était fait dans Saw 5 ou Saw 7. A quelques semaines du tournage, tous les pièges n’étaient pas encore trouvés. Ce sont probablement les derniers éléments que nous avons finalisés. L’une des règles des Saw que j’ai réalisés est que le piège fonctionne réellement comme nous le montrons. C’est-à-dire que si quelqu’un était vraiment prisonnier du piège, il subirait réellement ce que je montre à l’écran.
[Spoiler] Prenez le piège où la langue est arrachée. A l’origine, des hameçons étaient plantés dans la langue. Le personnage sautait du tabouret et avait la langue arrachée. Sauf qu’avec des hameçons, la langue n’est pas arrachée, elle est juste lacérée. Nous avons donc revu notre copie et réfléchi à d’autres procédés. Et nous avons trouvé l’idée de l’étau. L’étau permet à la langue d’être arrachée depuis le fond de la gorge. [Fin du spoiler] Nous avons littéralement étudié le côté médical des procédés que nous avons créés dans le but d’être sûrs que les pièges fonctionnent exactement comme nous montrons qu’ils fonctionnent. Et ça prend un temps fou.
Qu’est-ce qui vient en premier, le piège ou le lien entre le piège et sa victime ? Car chaque piège est spécifique au crime commis.
Les pièges viennent en dernier parce que le scénario passe par plusieurs phases de réécritures tandis que nous cherchons des pièges qui reflètent les criminels. Un des policiers corrompus est passé par de nombreuses incarnations dont une où il utilise comme preuve de la drogue qu’il a mise lui-même chez l’accusé ce qui signifiait un piège lié à ses mains. Dans une autre incarnation, il mentait sous serment. Et qu’est-ce qui est lié au mensonge ? La langue. Nous avions alors besoin d’un piège impliquant la langue. Les pièges sont les tout derniers éléments que nous mettons en place. Nous essayons d’abord d’aller au bout de l’histoire, du rythme, des personnages.
Pensez-vous avoir encore repoussé vos limites avec Spirale ?
Pas en ce qui concerne la violence. La MPAA nous attribue encore et toujours un nc-17 et nous devons donc couper encore et toujours. J’ai le sentiment que d’un point de vue violence, nous sommes très loin des Saw les plus violents. La tache devient tout de suite plus difficile avec la MPAA quand vous avez des stars dans des scènes vraiment violentes. Comme le piège basé sur les éclats de verre. C’est un peu éprouvant à regarder. Néanmoins Spirale est différent, c’est plus un thriller. Les Saw que j’ai réalisés étaient plus de l’horreur, ils étaient plus horribles. Je ne pense pas que Spirale soit aussi terrible. Et c’est ce qui nous aidera à atteindre un public plus important et plus large.
La Covid nous oblige à vivre dans peur bien réelle. Les spectateurs vont-ils désormais réagir différemment face à de l’horreur fictive ?
Je ne suis pas aussi éloquent ni aussi intelligent que les autres réalisateurs qui ont pu aborder ce sujet pourtant il y a une chose dont je me souviens de mes cours de cinéma : à chaque fois qu’il y a une tragédie ou une catastrophe ou une guerre mondiale ou un énorme événement dans l’Histoire, cela entraîne une résurgence de l’horreur. Les gens ont besoin d’un moyen d’évasion face à l’horreur réelle qu’ils vivent. Maintenant, beaucoup de gens préfèrent se tourner vers la comédie ou le drame mais regardez à quels moments nous avons connu des pics de films d’horreur. La Seconde Guerre mondiale a généré des œuvres avec des monstres. C’est de l’évasion.
Ceci étant dit, à cause de la Covid et du genre de tragédie que nous vivons ces dix-huit derniers mois, il y a des choses que je ne ferais pas maintenant alors que je les aurais faites il y a deux ans. Quelque chose a changé en moi, en tant qu’artiste. Et je pense chez beaucoup d’autres artistes aussi. Nous vivons une période insensée.
Comment pensez-vous que le genre va s’adapter ?
Dans les un ou deux ans à venir, il va y avoir un flot de projets sur l’isolement, le sentiment d’abandon, le fait d’être seul parce que beaucoup d’entre nous avons vécu notre propre période d’horreur ces dix-huit derniers mois. En tant que père, j’ai réalisé que ce qui m’effrayait avant ne m’effraie plus maintenant. Aujourd’hui, j’ai nettement plus peur d’être juste seul. Cette dernière année a été liée à l’isolement. Le monde entier est resté chez lui. De mon côté, j’ai deux enfants, une femme et deux chiens et nous habitons une petite maison. Plus d’une fois, nous avons tous pensé perdre un peu l’esprit. Parce que l’incertitude était constante.
Je pense que vous allez voir une série de ce genre de productions, peut-être pas sur le virus, plutôt sur l’idée de l’isolement, de la solitude, de la peur de ne pas pouvoir contrôler les choses et encore moins leurs conséquences. Je suis curieux de voir ce que cela va donner. L’horreur change tous les cinq ou dix ans. On a eu un nouveau style au début des années 2000 avec le torture porn des réalisations de Rob Zombie ou d’Eli Roth. Maintenant, on a ces metteurs en scène fantastiques comme Ari Aster et Robert Eggers. On parle plus désormais de l’horreur intello. Ces films sont plus axés sur les personnages, ils sont plus lents. Cependant, sous certains aspects, ils me prennent plus aux tripes que les slashers qui prévalaient dans les années 90. Je suis impatient de découvrir le prochain cycle de l’horreur qui naîtra de cette pandémie.
Vos derniers projets étaient à petit budget. En quoi est-ce différent d’avoir beaucoup plus d’argent sur Spirale ?
Quel que soit le projet, petit ou grand, il n’y a jamais assez d’argent ni de temps. Quand je travaille sur un projet à un million de dollars, j’aimerais 100 000 dollars de plus. Si j’ai 20 jours de tournage, j’aimerais en avoir 22. Concernant Spirale, j’aurais aimé un million de dollars et cinq jours de tournage en plus. Le combat est le même que l’œuvre soit à un million ou à 20 millions. J’ai rencontré les mêmes difficultés sur Spirale et sur Death of Me. On veut toujours plus de temps, plus de jouets, plus de ressources. Si je réalisais un long métrage à 100 millions de dollars, je suis sûr que je voudrais 125 millions.
Avez-vous la même liberté créative sur Spirale que sur un projet indépendant ?
Non. Oui et non. Dans le cas de Spirale, je suis face à un studio, Lionsgate, et à Chris Rock et Samuel L. Jackson. Je ne suis pas l’expert sur le plateau. Chris Rock est un réalisateur accompli, un auteur accompli. Sam Jackson a joué dans un nombre incalculables de productions. En travaillant avec eux, j’apprends de leurs connaissances, j’utilise leurs ressources. Je dois aussi répondre à beaucoup plus de gens. Quand on a un studio qui met de l’argent pour sortir le film, concevoir des bandes annonces et s’occuper du marketing, on le prend aussi en compte.
Lionsgate me donne aussi le sentiment d’avoir un filet de sécurité. Je sais que si je tombe, j’ai une équipe formidable qui me rattrapera. Quand je tourne un projet indépendant, il n’y a pas de filet de sécurité. Vous vivez et mourrez par votre propre épée. Il y a des avantages et des inconvénients dans les deux cas. Je ne vous mentirai pas, c’est mieux d’avoir plus d’argent. J’apprécie plus de travailler sur des longs métrages comme Spirale et Saw que sur certains autres.
Crédit photos : © Lionsgate
Article paru dans L’Ecran fantastique reboot – N°11 – Juin 2021