Naviguant avec autant de talent entre le drame (Jusqu’à la garde pour lequel elle a reçu le César de la meilleure actrice) et la comédie (récemment Je promets d’être sage), Léa Drucker aborde pour la première fois la science-fiction dans la très libre adaptation en série de La guerre des mondes, le célèbre roman de H.G. Wells. Elle évoque son personnage, son approche du projet et ses inspirations afin d’incarner l’astrophysicienne par qui tout arrive. La diffusion des huit épisodes de La guerre des mondes commence ce 28 octobre sur Canal+.
Comment présenteriez-vous votre personnage ?
Catherine Durand est une scientifique, une astrophysicienne. Elle est très pointue dans ce qu’elle fait, très performante. Elle étudie l’éventualité d’un contact avec des ovnis. Elle travaille au départ sur un projet de communication. Elle a envoyé un message codé avec un collègue, un autre astrophysicien. Ils avaient déjà repéré des ondes, des signaux un an auparavant. Mais tout à coup, ils font cette découverte assez exceptionnelle et vertigineuse d’un signal qui est un contact, une réponse. Dans un premier temps, c’est un mélange non pas d’effroi mais de stupéfaction, d’appréhension car on ne sait pas ce que c’est. Mais il y a aussi de l’excitation et de l’enthousiasme face à cette découverte scientifique. On est dans cette euphorie qui ne s’exprime pas. Catherine expose sa découverte à l’OTAN. Des questions se posent : est-on menacés ? On n’a pas de réponse mais elle n’imagine pas une seconde ce qui va se passer. Il n’y a pas de signes de menaces ni d’attaques. Puis tout dérape et tourne à la catastrophe. Et Catherine se sent particulièrement coupable car c’est elle qui a envoyé le premier signal.
Qu’aimez-vous dans ce personnage ?
C’est intéressant de jouer des personnages qui sont actifs dans leur métier, dans leur passion. Ils sont concentrés sur quelque chose puis on dévoile peu à peu leur humanité et leur histoire personnelle. C’est ce qui se passe avec tous les personnages de la série. Ce ne sont pas des super-héros. Cette catastrophe va révéler des choses de leur problématique personnelle, familiale. J’espère qu’on s’identifie à eux. Les codes de la série ne sont pas liés aux super-héros. C’est très réaliste.
Connaissiez-vous le roman de H.G. Wells ?
Pas du tout. J’en avais entendu parler. J’aime bien Philip K. Dick. J’aime la science-fiction quand elle est racontée de cette manière. J’aime quand l’histoire est complexe et qu’elle dit quelque chose sur l’humanité. Le film Premier contact est une merveille. J’adore car il parle de nous. Quand ce sont des trucs de super-héros, je m’ennuie un peu.
Dans la manière d’approcher un projet, comment passez-vous de Jusqu’à la garde à une série de science-fiction ?
Le drame et la tragédie sont les mêmes. Ce n’est pas si éloigné, seule la forme est différente. Le jeu, l’engagement, la mise en scène, la réflexion, tout ça est assez proche. Je ne me dis pas : ‘Je vais faire un film de science-fiction, ça va être léger. ». D’un point de vue émotionnel, si on n’est pas crédible, la scène ne fonctionne pas. Si on n’est pas convaincus, nous, au moment où on joue, au moment où on trouve la vérité des séquences alors que l’on raconte quelque chose de surnaturel, si on ne trouve pas le drame personnel là-dedans, rien ne tient pas. Il y a une chose qui me plaît beaucoup dans la série, c’est l’histoire de Kariem, le migrant qui a vécu la guerre au Soudan et qui arrive à Londres avec les problèmes types du migrant d’aujourd’hui mais avec, en plus, cet événement. Il se lie avec un autre personnage qui découvre la condition des migrants et qui en vient lui-même à vivre dans des souterrains, à se démerder comme il peut. C’est passionnant comme parallèle et comme réunion de personnages. ‘Mets-toi dans la peau d’un migrant. Vis ma vie de migrant.’ Kariem continue de vivre ce qu’il vivait avant, c’est-à-dire la survivance, et les autres le rejoignent dans cette survie.
Beaucoup de personnages pensent d’abord à eux dans cette série avant de s’inquiéter des autres. Certains ne vont même pas jusque là. Pensez-vous que l’humanité est vraiment mauvaise ?
Ce qui nous explose un peu la tête en tant que personnages, c’est que cette attaque bouleverse notre identité non pas nationale mais d’être humain. Ce qui concerne tout le monde. C’est une chose de se faire attaquer par un pays, de se faire menacer au niveau territorial ou national, mais quand cela touche notre identité d’humain, cela nous dépasse complètement. Ce qui est déjà intéressant avec la notion d’extraterrestre, c’est qu’il y a un dépassement de la connaissance. Ce sont des gens technologiquement plus avancés que nous car ils sont venus jusqu’à nous. Déjà il y a un choc. Ils sont au-dessus de la science, de l’armée. Notre intellect est ébranlé.
Croyez-vous aux extraterrestres ?
Je m’interroge. Je me dis qu’il doit se passer des choses dans des galaxies lointaines. J’ai la conviction qu’on ne maîtrise pas tout. Je ne sais pas si de mon vivant je verrai quoi que ce soit mais il doit se passer des choses dans d’autres systèmes.
Était-ce difficile pour vous d’assimiler tout le jargon scientifique ?
Très honnêtement, ça m’est extrêmement difficile de parler science. C’était le plus dur pour moi. C’était comme parler chinois. Il y a des dialogues d’explications scientifiques qui se sont avérés très difficiles. Mais c’est intéressant car quand on est acteur et qu’on a des éléments difficiles à jouer, cela appelle des choses qu’on ne maîtrise pas et du coup, on ne retombe pas sur ces petits tics que l’on a. Le jargon scientifique est hyper dur. Mais il finit par entrer, c’est comme apprendre une langue. Mon père est un médecin à la retraite et j’entendais beaucoup de choses médicales à la maison, des choses très pointues. Je me souviens de sa façon d’en parler, d’expliquer ces choses qui paraissaient simples pour lui, avec une sorte de calme. C’est une inspiration personnelle.
Comment avez vous construit la peur que vous exprimez ? Car ce que vous devez vivre vous est totalement inconnu.
Je me repose beaucoup sur la direction de Gilles Coulier [réalisateur des épisodes 1 à 4, ndlr] et Richard Clark [réalisateur des épisodes 5 à 8] car sur le papier, ce sont des choses un peu injouables de se dire que l’humanité est détruite, qu’il reste très peu de gens. J’ai très vite ressenti que c’était injouable mais il fallait assumer. Il y a cette sorte de sidération. Je ne savais pas par quel bout prendre la chose. Et puis les réalisateurs mettent en scène nos regards, nos façons de réagir. Il y a des drames personnels, des tragédies, chacun a perdu des membres de sa famille, des proches. Et en même temps, il y a l’instinct de survie et la découverte de ce qui se passe… Mais c’est toujours traité de façon réaliste. Cela m’a ramenée à beaucoup de souvenirs de l’enfance. La peur est une sensation très primaire. Elle est directement connectée à l’enfance. La peur de l’adulte est-elle différente de celle de l’enfant ? Il y a aussi une certaine candeur. Mais la peur dans cette histoire est extraordinaire car elle est liée à quelque chose qui nous est totalement inconnu. Mais je pouvais faire des parallèles et notamment avec la guerre. Je ne sais absolument pas ce que l’on ressent quand on voit des aliens débarquer mais j’ai étudié beaucoup de photos de guerre. Et j’ai pensé à ce qui se passe en ce moment dans notre monde : dans certains pays, des gens se réveillent, sortent de chez eux et trouvent des cadavres dans la rue. J’ai donc essayé de me rapprocher de ce qu’il y a dans notre réalité et de l’appliquer aux terribles événements de la série. C’est un cauchemar que vit notre planète. Mais mon personnage est une scientifique. J’essaye donc de mélanger la peur à la fascination. Je crois qu’un scientifique sera toujours mené par sa passion et réagira de cette façon.
C’est une coproduction franco-britannique qui va être diffusée partout dans le monde. Est-ce que c’est excitant pour vous de savoir que vous allez d’emblée avoir un public international ?
C’est excitant avant de commencer le tournage parce que c’est tout nouveau pour moi. Mais une fois en plein tournage, vous n’y pensez pas car vous avez d’autres choses en tête, comme essayer d’être réel et crédible. Le processus artistique reste donc le même. Mais c’est excitant de faire quelque chose de nouveau, de ne pas avoir les mêmes repères. Et surtout avec cette histoire. La guerre des mondes est un récit international. Cette attaque fait que tout le monde remet son compteur à zéro en tant qu’être humain. Que vous soyez quelqu’un de puissant ou un migrant déjà en mode survie, vous vous retrouvez tous au même niveau. C’est aussi ça qui m’a attirée dans ce projet.
Gardez-vous un souvenir particulièrement marquant du tournage de la série ?
C’est la première fois que je fais un film de guerre. On joue des scènes de guerre dans des souterrains ou des scènes de destruction et inconsciemment, cela nous reste dans la tête mais on arrive quand même un peu à en plaisanter. C’est assez fascinant. Mais si vous voulez une anecdote marrante, j’en ai une. On tournait des scènes de guerre dans une cave aux Pays-de-Galles. On était fatigués et on avait besoin de soleil. Adel [Bencherif] sort fumer une cigarette et on papote sur le trottoir. Quand je suis retournée sur le plateau, j’ai senti un vent de panique. Le GIGN local a déboulé parce qu’Adel avait été vu en militaire avec une arme. Un chauffeur de bus nous avait dénoncés. Ils sont arrivés, ils nous ont dit : « Ah, c’est un tournage. D’accord, mais on va quand même vérifier toutes les armes. » Et ils ont vérifié toutes les armes. On a perdu au moins 30 à 45 minutes. Ils avaient sûrement été prévenus du tournage mais on n’était pas censés être dehors, même avec une fausse arme.
Crédit photos : © Urban Myth Films/Canal+
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