Il ne paraît pas comme ça, avec son éternel petit costume noir et sa fine cravate, son sourire engageant et sa gentillesse légendaire, mais Sam Raimi aime faire souffrir Spider-Man. Il lui en fait tisser de toutes les couleurs. Et le pire, c’est que ce second épisode n’est que le début de son calvaire.

Tobey Maguire et Sam Raimi

En vous attaquant au mythe de Spider-Man il y a trois-quatre ans, vous disiez en fait vouloir faire un film sur Peter Parker. Est-ce toujours le cas dans ce deuxième opus ?

Sam Raimi : Plus que jamais. J’aime toujours autant le personnage de Peter Parker, son dilemme entre prendre ses responsabilités de héros et vivre sa vie d’homme ordinaire, sa relation amoureuse avec Mary Jane, son amitié faussée avec Harry Osborn… J’aime vraiment tous ces personnages et j’ai voulu recentrer le film sur eux et les développer de façon plus riche et plus intense car je crois que c’est aussi ce qui plaisait aux spectateurs dans la première aventure.

Cherchez-vous donc toujours à satisfaire les fans ?

Je veux qu’ils soient contents, mais j’ai aussi appris à prendre mes distances avec eux. (Il soupire) Le premier film a été une expérience très douloureuse… Quand les fans découvraient une de mes innovations ou un changement concernant le personnage et qu’ils ne l’aimaient pas, ils en parlaient avec tant de violence et de mépris, notamment sur le Net… J’ai arrêté de les écouter pour ma propre tranquillité d’esprit. Mais je veux toujours qu’ils soient contents. (Sourire)

D’où votre choix de Doc Ock comme méchant, le plus populaire auprès d’eux après le Bouffon vert ?

En effet. Il permettait également de grandes possibilités visuelles. Et il porte comme une araignée géante sur le dos, ce qui contrebalance bien Spider-Man. Mais quel que soit le méchant que je choisissais, je devais le remodeler complètement afin de l’adapter au chemin que suit Peter Parker, pour en faire le meilleur antagoniste possible. Peter est un jeune homme en voie de responsabilités, il doit abandonner son propre bien-être pour devenir un héros responsable. Je voulais donc un méchant qui possède une philosophie inverse, qui place sa satisfaction personnelle avant ses responsabilités envers les autres. Mais je voulais aussi un personnage auquel Peter pouvait s’identifier en tant qu’être humain et admirer en tant que scientifique. Quelqu’un qui a aussi trouvé un équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle car de son côté, Peter rate tout. Il n’est pas heureux, il se fait virer de tous ses boulots, celle qu’il aime fait sa vie de son côté, à cause du Daily Bugle tout le monde le déteste… Il réalise finalement qu’il veut tout arrêter, devenir égoïste et enfin vivre sa vie. Et sa rencontre avec le docteur Otto Octavius va le conforter, pendant un temps, dans cette décision car c’est un homme qu’il admire, qu’il prend en exemple mais qui ne s’intéresse pas aux autres. Cependant Peter ne pourra pas s’en tenir à cette décision car il a un trop grand sens de ce qui est bien ou mal. Il va ainsi se remettre à nouveau en question et affronter non pas un méchant quelconque mais cet homme qu’il respecte.

Alfred Molina et Sam Raimi

Pourquoi avez-vous choisi Alfred Molina pour incarner Doc Ock ?

Parce qu’il était simplement le meilleur acteur pour ce rôle. L’âge était aussi un facteur déterminant. Et le poids. (Sourire) Quand les artistes de Marvel ont dessiné Doc Ock, ils ont dû se dire qu’il devait être assez costaud pour porter ses tentacules. Mais Alfred Molina a su créer son propre personnage, même s’il a suivi les grandes lignes du comic. Il vient aussi du théâtre et, à y regarder rétrospectivement, c’est ce dont j’avais besoin pour ce rôle. Un acteur de théâtre qui sache composer avec des marionnettistes et insuffler de la vie à des tentacules grâce à ses réactions et à son énergie. Alfred était aussi un antagoniste parfait pour Tobey Maguire.

Vous avez pourtant failli remplacer Tobey Maguire.

Il avait une mauvaise blessure au dos et un de ses agents m’avait même confié que s’il effectuait certaines cascades, il pouvait rester paralysé. Je ne voulais pas jouer le réalisateur irresponsable qui dit à Tobey : « Fais cette cascade ! ». Ni être un mauvais réalisateur en lui disant : « Si tu ne fais pas cette cascade, ce n’est pas grave. ». Et encore moins être un réalisateur médiocre et ne pas obtenir ce dont j’avais besoin de mon acteur pour le bien de mon film. La situation était donc impossible. Je ne voulais pas risquer sa santé, je n’aurais pas pu vivre avec cela sur la conscience. À un moment j’ai donc pensé le remplacer par Jake Gyllenhaal, un acteur de talent que j’aime beaucoup. Mais Tobey a prouvé qu’il était en bonne santé – les médecins l’ont d’ailleurs certifié – et que je pouvais raisonnablement faire le film avec lui. Cela a été un grand soulagement.

Comment avez-vous fait évoluer le personnage de Peter Parker/Spider-Man depuis le premier épisode ?

Pour moi, ce film est plus une continuité qu’une suite. L’histoire se passe deux ans après mais Peter Parker n’a pas grandi, il est toujours aussi peu mature, et il ne pensait pas que sa décision de sacrifier l’amour qu’il porte à Mary Jane pour être un héros serait aussi difficile à assumer. En revanche, pendant ce laps de temps, il a voué sa vie à être le meilleur Spider-Man qui soit. Il bouge donc mieux, il est plus agile et plus à l’aise avec ses différentes aptitudes physiques. Et heureusement car voici Doc Ock. S’il n’était pas meilleur, Spider-Man ne survivrait pas à Doc Ock. (Rires) Un meilleur Spider-Man signifiait aussi de meilleurs déplacements, un meilleur look. Et nous avons travaillé dans ce sens. Les artistes du numérique ont beaucoup appris grâce au premier film, ils savent désormais ce qui marche et ce qui n’est pas naturel à l’écran. Et la technologie a encore évolué, nous savons mieux affiner les détails, mieux nuancer les ombres, les couleurs et les textures. Je voulais que nous prenions plus de temps pour les mouvements parce que je voulais que Spider-Man soit plus gracieux mais aussi plus maladroit. Et je le voulais plus réel.

Et maintenant que vous avez Spider-Man en main et que vous pouvez en faire ce que vous voulez, que lui réservez-vous dans le troisième épisode ?

Je ne sais pas. Je commence à peine à penser à l’histoire avec mon frère Ivan. Mais je peux déjà dire que Peter Parker va encore avoir des problèmes. Je veux le torturer. (Rires) Je connais ses faiblesses et je sais comment les exploiter. J’aime vraiment le regarder souffrir et je pense que vos lecteurs aussi. Ils ont ce côté sombre. C’est leur héros, mais dans les films et le comic, ils le regardent se faire massacrer. C’est assez malsain quand on y pense. C’est même pire que pour les Evil Dead où le héros est un parfait idiot, parce que là, Spider-Man est celui qui essaye de faire le bien. Et pourtant vos lecteurs demandent qu’il souffre constamment.

Et vous, vous aimez ça.

Je n’aime pas, j’adore ! (Rires)

Est-ce pour cela que vous avez décidé de révéler l’identité de Spider-Man dans ce second épisode, pour le torturer un peu plus ?

Non, au contraire, je lui fais un cadeau. Il est tellement sous-estimé en tant que héros que je voulais que les gens sachent qui il est et qu’ils l’aiment en dépit de tout ce qu’ils avaient lu dans la presse et dans le Daily Bugle en particulier.

Vous vous lancez quand même un sacré défi pour le troisième épisode que vous réaliserez aussi.

(Il sourit) On verra.

Il est clair que Peter Parker se cherche encore dans ce film, qu’il se remet en question, et la recherche de sa propre identité est d’ailleurs un des thèmes récurrents de vos films. Dans votre cas, cherchez-vous encore à savoir qui vous êtes ?

(Long silence) Chaque jour, j’en apprends un peu plus sur moi. Je pourrais déjà vous dire qui je pense être aujourd’hui, mais je sais aussi que j’ai encore quelques petites choses à découvrir. J’imagine que mes choix futurs ou traverser de prochaines crises me donneront quelques nouveaux indices sur la question. (Sourire)

Vous faites des films depuis vingt ans et Spider-Man est votre premier grand succès public. Cela a-t-il changé quelque chose dans votre vie ?

Non, rien d’important. A part que les studios me proposent plus de scénarios, de gros films qu’ils ne m’offraient pas avant. Ce qui signifie beaucoup pour quelqu’un de ma profession car très peu de metteurs en scène ont l’occasion de réaliser des blockbusters. Je n’aurais jamais pensé que j’entrerais dans ce cercle si fermé. Mais je sais que cela ne va pas durer. Les succès sont toujours éphémères et le naturel revient toujours au galop.

Pourtant vous êtes coincé avec Spider-Man, vous ne pouvez rien tourner d’autre en ce moment…

C’est vrai. (Sourire) Donc même cette petite différence n’a pas d’importance.

N’avez-vous pas le sentiment de passer à côté de bons projets à cause de Spider-Man ?

Non, parce que je suis passionné. Si je tournais un autre film aujourd’hui, il ne m’apporterait pas ce que Spider-Man m’apporte en ce moment. Même si c’est un film de studio, je fais ce que je veux. (Il réfléchit) Je ne sais pas pourquoi les studios me soutiennent mais c’est pourtant le cas. Je vis cet instant rare où tous les souhaits que je peux faire pour un film sont exaucés. Je ne suis pas encore totalement satisfait mais je me sens béni de pouvoir raconter cette histoire comme je le veux.

Avez-vous entendu parler d’une possible série de six films ?

Cela fait peur, non ? Je ne sais pas si c’est vrai. (Il hausse les épaules)

Ne pensez-vous pas qu’un jour vous serez fatigué de Spider-Man ?

Probablement. Mais pour l’instant ces personnages me passionnent et j’ai encore beaucoup de questions les concernant qui n’ont pas trouvé de réponses. Je veux vraiment en savoir plus sur eux. Chaque film est comme un processus de découverte quant au personnage. J’ai besoin de savoir qui il ou elle est pour réaliser le film. Je connaissais Peter Parker dès le premier film. Maintenant, j’ai le sentiment qu’il a grandi, que ces relations avec les autres sont plus complexes et que je le connais encore mieux. Vous ne pouvez pas vous imaginez combien je suis excité à l’idée de travailler sur le troisième opus. Et ce n’est pas parce que c’est un gros film ou parce que je veux travailler sur tel ou tel méchant ou parce qu’on va me donner beaucoup d’argent… Si seulement… Mais parce que je sais qui est Peter Parker, que je l’ai amené plus loin dans le second épisode et que je suis dans la situation unique de pouvoir travailler ce personnage encore plus en profondeur. Peu de réalisateurs ont la chance de pouvoir aller aussi loin avec un personnage. C’est vraiment une bénédiction.

Article paru dans Ciné Live – N°81 – Eté 2004

Crédit photos : © Sony Pictures

 

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