Après deux films norvégiens au succès critique et public, Nouvelle donne (2006) et Oslo 31 août (2011), le réalisateur Joachim Trier s’attaque à son premier film américain, Back Home (anciennement Plus fort que les bombes). Un drame familial sensible et juste, comme lui seul a le secret.
Comment définissez-vous Back Home, comme votre premier long métrage américain ou comme votre premier long métrage en langue anglaise ?
Mon premier film tourné aux Etats-Unis. (Rires) Je suis allé à la National Film and Television School de Londres, j’ai donc réalisé beaucoup de courts métrages en anglais. Mais c’est vrai que c’est mon premier long métrage en anglais.
Comment décririez-vous cette expérience comparée à vos autres films ?
Au début, c’était très différent. J’ai l’habitude de tourner mes films à Oslo où j’ai grandi. J’y suis chez moi et j’y connais beaucoup de lieux où tourner. A New York, j’ai dû chercher ces lieux. J’étais plus en mode exploration. L’expérience est devenue plus similaire quand il s’est agi de parfaire l’écriture des personnages et d’apprendre à connaître les acteurs. En tant que réalisateur, je crée ma propre atmosphère et ma propre façon de travailler avec les acteurs. Elles sont identiques, que je tourne à Oslo ou à New York.
Avez-vous toujours voulu travailler aux Etats-Unis ?
Oui et non. Je viens d’un petit pays. La Norvège compte 5 millions d’habitants. J’ai toujours voulu tourner des films dans une langue étrangère pour que mes films voyagent. Paradoxalement, j’ai réalisé Nouvelle donne (2006) et Oslo 31 août (2011) en norvégien et ils ont quand même voyagé. Alors que je finissais Oslo 31 août, j’avais déjà écrit Back Home et commencé à développer le projet dans le but d’en faire un film international. Ce projet a demandé beaucoup d’années. Je trouvais intéressant de m’essayer au drame familial américain. Les Américains ne font plus beaucoup de films comme Des Gens comme les autres ou comme les premiers films de Woody Allen. Je voulais m’essayer à ce genre. Je ne sais pas si c’est un genre, d’ailleurs. C’est peut-être plus une tradition qu’un genre.
N’aviez-vous pas peur d’échouer comme beaucoup de réalisateurs européens qui ont essayé de travailler aux Etats-Unis ?
Oui, bien sûr. J’étais inquiet et nerveux. (Rires) Je suis toujours nerveux quand je réalise un film. C’est toujours effrayant, stimulant, difficile. Je ne me sens jamais en sécurité quand je réalise un film. D’ailleurs, je ne devrais jamais me sentir en sécurité. Je devrais toujours essayer quelque chose de nouveau. Jusqu’à présent, j’ai réussi à monter mes films avec des producteurs financiers qui comprennent quel genre de film je veux faire. Les problèmes commencent quand un réalisateur perd le final cut, quand personne ne croit en sa vision, quand il est engagé pour un film qu’il ne devrait pas faire, quand le système se dresse contre lui. Dans mon cas, j’ai fait en sorte, en ce qui concerne la production, de pouvoir conserver ma liberté créative. Mais Back Home n’a pas l’étoffe d’un blockbuster. Son postulat n’est pas vraiment commercial. Il s‘agit d’un film sur les difficultés à communiquer d’une famille qui traverse un deuil. C’est plus un film expressif qu’un film d’action.
C’est parce que vous ne travaillez pas pour un grand studio d’Hollywood que vous avez pu garder le contrôle artistique et le final cut de votre film.
Absolument. C’est très juste. Je ne pense pas que les studios fassent encore ce genre de films. Chaque fois que je réalise un film, j’essaye aussi d’expérimenter. Ce film est très personnel d’un point de vue formel et structurel. J’essaye d’expérimenter avec la narration et j’essaye de faire quelque chose de très personnel avec le sujet. Je ne pourrais pas prendre ce risque dans un film d’un grand studio. Mais pour être honnête, je n’ai pas non plus eu le choix. Les studios n’ont pas voulu payer pour ce genre de film non plus. C’est la vie.
A quel point a-t-il été difficile de réaliser ce film ? Parce que vous dites l’avoir écrit alors que vous finissiez Oslo 31 août. C’était il y a 4 ou 5 ans.
J’ai beaucoup réécrit le scénario avant de le tourner pour lui redonner de la fraicheur. Je veux toujours réaliser un film qui corresponde à ce que je vis dans ma vie. Alors je l’ai réécrit. Je crois dans le cinéma et le grand écran mais beaucoup de films que je veux faire racontent plus des histoires humanistes. Aujourd’hui, les histoires sur les personnages et les relations entre les êtres humains se trouvent plus à la télévision. Les gens ne voient plus les films de la même façon. Les adultes d’aujourd’hui préfèrent regarder des séries que d’aller au cinéma. On va désormais au cinéma comme on participe à un événement quelconque. Ce qui est tout aussi amusant. Je ne dis pas que c’est mal mais je trouve triste que le public change. Je pense que vous avez vécu cela en France il y a 7 à 10 ans. Cela se produit de plus en plus dans le reste de l’Europe. Le financement du cinéma a dû changer parce que le public a changé. Mais en tant qu’artiste, tout ce que je peux faire c’est faire en sorte que mes films aboutissent. Je suis reconnaissant de tout le soutien que j’ai reçu jusqu’à présent. Il semble que j’obtienne plus de soutien à chaque nouveau film. Je continue donc à travailler et à me concentrer sur le genre d’histoires qui m’est propre. En tant que créatif, ce n’est pas à moi de spéculer sur ce que veut le public. Ce n’est pas mon métier.
Vous dites avoir voulu traiter du drame familial américain mais dans le film, c’est moins une famille américaine qu’une famille universelle.
C’est intéressant. Je pense que vous avez raison à beaucoup d’égards. Je pense qu’au final, nous avons fait un film sur une famille d’aujourd’hui, plus universelle, confrontée à des difficultés, aux interactions générationnelles et aux médias sociaux. L’adolescent passe son temps sur le Net et a sa propre vision de la réalité. Le père essaye de l’atteindre, ce qui est à la fois comique et triste. Ils ne parviennent pas à parler de ce dont ils devraient parler. Quant à la question des spécificités culturelles… Au final, j’ai fait un film sur ma vision du monde et je ne suis pas américain. Vous avez raison. D’un autre côté, c’est amusant de voir qu’à New York il y a tant de gens qui viennent de différents états des Etats-Unis et de différents pays du monde. Cette famille peut finalement très bien être américaine. (Rires) Beaucoup disent que New York n’est pas une ville américaine en soi. C’est aussi pour cela que j’ai situé le film à New York. Je savais pouvoir écrire sur une famille de New York car je connais des gens qui vivent dans cette ville. Je ne pense pas pouvoir donner une bonne version d’une famille du sud des Etats-Unis ou d’une famille du Midwest. A moins de faire des recherches.
A quel point a-t-il été difficile de trouver les acteurs qui interprètent les membres de cette famille ?
(Il rit)
Parce qu’il faut de l’alchimie entre eux et en même temps, ils se disputent souvent.
C’est vrai. C’était une des tâches les plus difficiles. J’ai d’abord obtenu des financiers qu’on s’accorde sur le fait d’engager de bons acteurs et pas seulement des acteurs célèbres. J’ai essayé de trouver le bon acteur pour chaque personnage mais en même temps qu’ensemble ils ressemblent à une famille. Nous avons ensuite eu la chance de pouvoir engager Isabelle Huppert et Gabriel Byrne. Jesse Eisenberg est aussi un acteur unique. Puis il a fallu trouver l’acteur qui jouerait Conrad, l’adolescent de 15 ans. Je suis content d’avoir trouvé Devin Druid. Il devient presque le personnage principal vers la fin du film car les arcs narratifs des différents membres de la famille s’entremêlent. Si l’acteur n’avait pas été bon, la fin ne paraîtrait pas réelle. J’ai dû rencontrer des centaines de jeunes acteurs à New York. Le directeur de casting l’a finalement trouvé. C’était un processus difficile mais amusant.
Qu’avez-vous vu en Devin Druid ?
Il a su créer de façon captivante et pleine de vulnérabilité un sentiment de subtil isolement, de mise en retrait et de vie intérieure. Ce n’est pas chose facile. Cela aurait été facile d’engager quelqu’un de juste bizarre mais il aurait alors joué un Conrad peu communicatif et donc peu intéressant. Comme il aurait été facile de choisir un jeune comme Disney sait les choisir, plein de charme mais prétendant être un enfant difficile. J’avais besoin d’un acteur qui possède un sens de la réalité dans l’incarnation de ce personnage. C’est unique chez Devin. Il est, lui aussi, accro aux jeux vidéo et possède un charisme bien à lui. Il est spécial. Et il a un grand sens de l’humour.
Dans le film, son frère plaisante et lui demande s’il n’est pas ce genre d’ado à tuer tout le monde dans son école. Devin interprète très bien ce côté sombre et inquiétant.
Il est sombre, en effet. J’ai essayé de comprendre tous les personnages, d’être subjectif avec tous sans pour autant créer des antagonismes artificiels. Conrad vit cette brutalité d’être rejeté au lycée. Nous sommes sincèrement inquiets dans notre société face à ces jeunes hommes perdus, ces jeunes solitaires et isolés, ces jeunes loups qui ne communiquent pas. Même si nous avons des exemples horribles et grotesques de folies commises par ce genre de personnages, la plupart des jeunes qui sont comme cela sont finalement des jeunes qui essayent de trouver leur propre façon de communiquer. Je ne voulais pas juger Conrad. Je voulais explorer un isolement où une troublante noirceur fait jeu égal avec une sensibilité artistique. Conrad a le cœur d’un poète. Il a une part de lui qu’il est impatient de montrer au monde. Mais il n’a pas encore trouvé le langage social pour le faire. La différence qui existe entre notre apparence sociale et notre vie intérieure continue de me fasciner. Et c’est un sujet qui apparaît dans tous mes films. (Rires) Il y a un vide dans ce personnage qui crée une tension dramatique intéressante.
En tant que directeur d’acteur, avez-vous senti que vous étiez différent avec Devin parce qu’il est plus jeune et moins expérimenté que les autres acteurs du film comme Gabriel Byrne ou Isabelle Huppert ?
Etrangement, non. Je suis différent avec chacun d’entre eux. Je suis habitué en Norvège à travailler avec des professionnels et des amateurs. Vous apprenez beaucoup des jeunes acteurs et des amateurs. Ils n’ont pas forcément les mêmes capacités ou formations ni la même expérience que les acteurs professionnels ou plus expérimentés, mais ce sont avant tout des êtres individuels. Gabriel et Isabelle sont différents l’un de l’autre et ils ont besoin que je sois un directeur d’acteur différent pour chacun d’eux. Ce n’était pas difficile avec Devin. Le trouver a été le plus dur dans tout cela. Il s’est montré professionnellement plus structuré dans son travail que nous l’avions imaginé vu son jeune âge. Il va devenir un grand acteur. Mais votre question est intéressante car elle amène une autre question : qu’est-ce qu’un directeur d’acteur ? Je suis un réalisateur qui croit en la stimulation et l’encouragement. Je ne suis pas un sadique qui arrive avec une tonne de règles ni une personne exigeante. Mon travail est plus de questionner les acteurs afin de mieux comprendre comment les stimuler ou les guider. Les bons acteurs trouvent leur jeu quand on leur donne la bonne liberté ou le bon cadre.
Et quand ils sentent que le réalisateur leur fait confiance.
Oui, c’est cela. Vous avez raison. Le mot est « confiance ». Ils ont besoin de stimulation et de confiance. Si je commence à les micro diriger et à les embrouiller, je vais ruiner mon film. Tout a à voir avec la confiance. Au final, ils trouveront toujours quelque chose de mieux que ce que je pourrais leur proposer. C’est ce qui est le plus amusant dans tout ce processus : voir les acteurs trouver leur jeu.
Dans tous vos films, il y a des thèmes récurrents : les outsiders, les artistes, la solitude, le suicide… Quel thème vous parle le plus ?
Aucun en particulier. Ce sont des sujets qui me font réagir. Je connais ces thèmes et en même temps, ils restent mystérieux pour moi. C’est important pour moi d’être extrêmement personnel quand je réalise un film mais en même temps j’essaye de me protéger dans ma vie privée. Il y a cette tradition en littérature de raconter son histoire intime. Dans mon cas, j’explore des thèmes personnels dans mes films que je ne compte pas justifier dans ma vie privée. C’est encore un mystère pour moi que certains de ces thèmes soient récurrents dans mes films. J’apprends avec chacun de mes films. Je les revois et je comprends des années plus tard pourquoi je les ai faits. Ce qui n’est pas le cas quand je les fais. Mais vous avez raison. Je pense que j’ai de la compassion pour l’être humain qui est perdu. Nous vivons tous cette expérience à un moment ou un autre, nous avons tous ce sentiment de ne pas trouver notre place et d’être un outsider. Ce sujet est un des fondamentaux de l’art et j’y puise mon inspiration. Je pense que ces thèmes valent la peine d’être traités.
Il y a toujours une certaine mélancolie dans vos films. Savez-vous d’où elle vient ?
Oh. C’est une grande question. Je devrais m’étendre sur un canapé pour y réfléchir. (Rires) J’aime travailler sur le temps qui passe, sur le rôle qu’il joue dans notre vie. C’est un thème qui m’attire. Le cinéma est un art parfait pour parler du temps parce qu’il est au cœur de tous les films. J’ai revu Nouvelle donne pour la première fois huit ans après sa sortie, dans le cadre d’un hommage à mes films. Les acteurs étaient là. J’ai tout à coup réalisé combien ils étaient jeunes dans le film et cela m’a profondément ému. Nous avons passé un été ensemble à tourner le film. Aujourd’hui, ils ont tous une vie et une carrière. Ils sont tous passés à autre chose. Le temps passe à travers la vie, les corps humains, l’expérience. C’est mélancolique.
Votre film parle aussi de la perception que les gens ont des autres et de la perception que l’on a de soi-même. Quelle est votre perception de vous-même en tant que réalisateur ?
Oh, c’est…
Encore une question de psy ?
Oui. (Rires) C’est une question délicate. J’essaye de ne pas me perdre dans l’image que je projette. Je suis bizarrement timide avec mon apparence médiatique parce que je ne veux pas m’inquiéter de mon image, parce que je veux rester personnel avec mes films. Tout est lié en fait. Il y a une pression énorme sur la vie privée des gens, particulièrement sur les jeunes d’aujourd’hui. Je me demande comment ils font s’ils ne se voient qu’à travers leur page Facebook ou leur compte Instagram. Cela doit immédiatement jouer sur leur perception de leur psyché et de leur personnalité. Je trouve cela troublant. Je ne suis pas sur Instagram. Je ne veux pas me voir en photos. Je ne veux pas me trouver devant un appareil photo. Je n’aime pas les photos. D’un autre côté, il existe aussi une liberté et une part créative dans la perception de l’autre. Dans une famille, par exemple. J’ai une sœur et un frère et nous avons chacun des histoires différentes concernant nos parents. Ces différentes perspectives jouent profondément dans notre personnalité en tant qu’individus. Quelque chose d’important se passe quand on parle de la perception dans les relations intimes et c’est pour cela que j’ai fait Back Home. Vous évoquez un thème important du film : la représentation de soi, la perception, l’identité dans une famille et comment nous sommes tous différents.
Vous avez dit apprendre de chacun de vos films. Qu’avez-vous appris avec Back Home ?
C’est encore trop tôt. Je viens juste de finir le film. Je suis sûr que j’ai appris quelque chose. Avec Back Home, je voulais travailler sur les gros plans et les perspectives intimes, créer un espace intime entre les deux fils, entre les membres de la famille. Je ne pense pas que mon prochain film tournera autant autour de personnages en gros plans. Je vais passer à autre chose. C’était bien de raconter cette histoire de famille. J’avais besoin de faire ce film. Mais c’est encore tôt. Peut-être que dans quelques années, à notre prochaine interview, je saurai ce que j’ai appris avec ce film. (Rires)
Avez-vous un film rêvé ?
C’est le prochain. Je l’écris actuellement. Je l’ai en moi. J’y pense constamment. Je suis aussi en train d’écrire un film norvégien mais je ne veux pas encore en parler. C’est quelque chose qui sera spécial. Je prends une nouvelle direction. Je peux vous promettre que certains thèmes dont vous parlez sont dedans. Je ne peux pas oublier complètement qui je suis.
Vous souvenez-vous quand vous avez voulu devenir réalisateur ?
Non parce que je l’ai toujours voulu. J’ai toujours fais des films. Quand j’étais gamin, je tournais avec une caméra Super 8 et une caméra vidéo. J’ai fait des films avant même de comprendre que je faisais des films. Avant de savoir écrire. J’ai toujours fait des films. Ce qui est normal aujourd’hui car beaucoup d’enfants font des films aujourd’hui mais ce n’était pas si habituel pour les enfants de ma génération. Cela m’a pris des années avant de comprendre que je voulais faire cela professionnellement. Filmer est naturel dans ma vie. Je ne me filme pas, je pointe la caméra sur les autres. A l’époque, j’essayais aussi de faire que mes amis deviennent acteurs.
Que préférez-vous dans la création d’un film ?
Généralement l’étape suivante. (Rires) Quand j’écris, je veux tourner. Quand je tourne, je veux monter. Quand je monte, je veux écrire quelque chose de nouveau. Mais je dois dire que j’aime le tournage. J’aime être avec les acteurs. C’est si rare. C’est ce que je fais le moins. C’est pour cela que je suis devenu réalisateur, pour tourner. C’est une plaie parfois parce que c’est dur physiquement. Mais j’aime vraiment une bonne journée sur un plateau de tournage quand la scène fonctionne et que les acteurs font du bon travail. Vous sentez que tout le monde est concentré et plein d’énergie. Ce sont les meilleurs jours.
Vous êtes un des rares réalisateurs à encore tourner vos films en 35 mm.
Oui, je suis un idiot. (Rires)
Que vous apporte le 35 mm que vous ne trouvez pas dans le digital ?
J’ai grandi avec le 35 mm. Mon grand-père était réalisateur. Mes parents faisaient des films. J’aime la concentration que demande la caméra, sa prise en main. J’aime aussi le rendu de l’image. J’adore la sensation que transmet le 35 mm. Je suis sûr que je finirai par passer au digital, je l’utilise déjà pour réaliser des pubs. Mais je prends mon pied avec le 35 mm. Je passe un temps fou à l’étalonnage et je vois vraiment la différence. Je ne dis pas que c’est nul de travailler en digital, cela peut donner quelque chose de beau, mais je vois la différence. Je la vois dans mes images : le grain, les noirs… J’aime vraiment cela. Mais j’aime projeter le film en digital. Je m’y suis habitué. Je ne fais pas de copie 35 mm mais tourner en 35 mm est génial. C’était bizarre mais quand nous étions dans le laboratoire, à New York, il y avait aussi Woody Allen et Steven Spielberg qui travaillaient sur leur nouveau film. Il y avait donc Woody Allen, Steven Spielberg et littéralement Joachim Trier travaillant sur du 35 mm à New York au même moment et nous étions les seuls. Je me suis senti honoré. (Rires)
Pourquoi faites-vous systématiquement des projections tests pour chacun de vos films ?
Pendant le montage, je les montre à des amis mais aussi à des inconnus. Ensuite, je discute avec eux. J’utilise cela comme un outil créatif pour comprendre jusqu’où je peux aller pour certaines choses. C’est la différence entre la signification et la connotation. Je ne veux pas être vague quand je raconte une histoire. Ce que le public comprend ou ne comprend pas est intéressant. Mais je ne dois pas non plus trop me préoccuper du goût des autres, sinon, je me perds.
Comment faites-vous justement face à trop d’avis différents du vôtre ?
Je prends une décision tout en sachant qu’il y a toujours quelqu’un qui ne sera pas d’accord, qui voudra que je fasse un autre film. Quand j’écris, quand je tourne, quand je monte, il y a toujours quelqu’un qui veut que je fasse un autre film. Et c’est pareil avec les critiques de film. Je ne gagne jamais. Tout ce que je peux faire, c’est réaliser le film que je veux. C’est tout ce que j’ai. (Rires)
Lisez-vous les critiques de vos films ?
Je les lisais mais aujourd’hui, j’essaye de les éviter. Je recevais beaucoup de louanges pour mon travail et beaucoup de bonnes critiques et c’est devenu addictif. Tout le monde veut être aimé. Mais c’est aussi dangereux. Parfois, j’en lis encore quelques unes. Je suis devenu de plus en plus prudent avec le temps parce que je suis très sensible et elles peuvent me blesser. Si je lis que des gens n’aiment pas mon travail, qu’ils veulent que je fasse autre chose, je me sens victime d’une injustice ou je peux devenir vraiment triste. Tout ce que je veux des critiques, c’est qu’ils comprennent ce que j’ai fait. Je ne peux pas apprendre d’un critique qui me dit que j’aurai dû faire un autre film. Et je veux rester sensible et vulnérable. Je ne veux pas devenir quelqu’un de dur ni qui s’en fiche.
Jusqu’à présent vous tournez les scénarios que vous avez écrits avec Eskil Vogt. Pensez-vous pouvoir travailler avec un scénario écrit par un autre ?
Oui. Nous en avons déjà parlé, Eskil et moi. Il n’y a rien d’exclusif mais nous continuons à travailler ensemble parce que notre duo fonctionne. Cela nous plaît et c’est amusant. Nous verrons ce que l’avenir nous réserve. Mais votre question sur ma perception de réalisateur est liée à cette question de scénario car je m’inquiète beaucoup d’être piégé dans un style de films. Je rêve d’une longue vie dans le cinéma. J’ai toujours voulu essayer de nouvelles choses. Je ne veux pas entendre dire : « Vous êtes Joachim Trier et vous faites ce genre de films. »
Quel genre de carrière voulez-vous ?
Je veux juste continuer à réaliser des films personnels. Ce sont les seuls films pour lesquels je veux me battre. Bien sûr, je souhaite que mes films soient très populaires mais je ne peux rien y faire. Je fais ce que je peux mais je n’ai pas beaucoup le choix non plus. Je n’ai pas dix idées géniales en même temps. J’en ai une à la fois que j’ai besoin de développer et que je veux faire. Et elle devient un film. Je souhaiterais être ce genre de réalisateur qui a dix projets dans ses tiroirs. Mais je ne sais pas faire cela, je ne suis pas comme cela. A chaque film que j’ai fait, j’ai senti le besoin de le faire. Mais je ne sais pas. L’avenir est toujours incertain pour les créatifs. Nous nous inquiétons toujours de manquer de bons sujets ou que notre prochain film sera nul. Le doute est constant. Malheureusement. Quand j’étais jeune, à 19 ou 20 ans, quand je faisais mes courts métrages, je pensais que je deviendrais plein de confiance et que tout serait facile. Cela n’a jamais été le cas. (Rires) Mais je n’abandonne pas.
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