Kevin Murphy, showrunner et producteur exécutif de Defiance, présente la saison 3 de sa série. Une aventure qui n’est jamais de tout repos, que ce soit pour lui ou ses personnages.
Quel a été le plus grand défi que vous avez dû relever sur cette saison 3 ?
Kevin Murphy : Je crois que c’est le renouvellement de cette saison. Nous avons dû en passer par le pitch pour que la série soit renouvelée. J’ai dû appâter les auteurs chez moi avec la promesse d’une pizza et de vin relativement cher pour un brainstorming sur ce que nous allions faire. Beaucoup des idées émises ce jour-là sont dans cette saison 3. J’ai dû écrire un résumé cohérent avec tout cela, mettre un beau pantalon, une chemise et pitcher la saison entière [aux décideurs de Syfy et de Universal Cable Productions, NDLR]. C’était comme panifier mon mariage, décider du gâteau, du lieu de la réception, du thème et de la décoration et finalement attendre pour savoir si le mariage aura vraiment lieu. Je crois que c’était le plus intimidant. Et il y a tant de gens dont les moyens de subsistance dépendaient de ce pitch. Il y avait beaucoup de pression. Mais une fois que la série a été renouvelée, l’intimidation et la pression ont disparu.
Est-il plus difficile d’écrire pour certains personnages ?
Plus le personnage est nouveau plus il est difficile d’écrire pour lui. Le personnage de Niles Pottinger a pris du temps pour déterminer ce qui fonctionnait ou non. Cette saison 3, ce sont les deux Omecs qui ont posé problème. J’ai dû apprendre quels mots sonneraient le mieux dans leur bouche car les acteurs portent des prothèses dentaires. Trouver les mots qu’ils pouvaient prononcer, et donc ce qu’ils pouvaient dire, a été difficile. Le personnage de Doc Yewll a aussi été dur au début à cause du masque en latex que l’actrice porte et l’aspect figé de son visage. Il était alors plus facile pour elle de tout jouer de façon impassible. J’ai dû apprendre à écrire pour les prothèses. Je connais Datak et Stahma si bien que je pourrais écrire leurs dialogues dans mon sommeil. Ces voix sont si caractéristiques, elles sont comme en lecture automatique dans mon esprit et je peux imaginer sans peine comment ils vont dire leurs répliques.
Avez-vous le jeu vidéo à l’esprit quand vous écrivez pour la série ?
C’était plus le cas sur la première saison mais parce que le jeu existait en dehors de notre production. Aujourd’hui, il nous arrive de prendre les décisions les plus importantes quant à l’histoire alors que le réalisateur commence la préparation de l’épisode. Comme il arrive 14 jours avant le tournage, les décisions sont appliquées très rapidement. Nous avons appris à nous accorder avec le jeu et nous faisons notre série avec une longue liste de possibilités. Par exemple, Lee Tergesen arrive dans la série pour jouer Rahm Tak, un seigneur de la guerre membre du Collectif de Voltanis qui veut détruire Defiance. Ce personnage a un passé antérieur à son apparition dans Defiance. La famille Rahm Tak est importante dans le jeu. Nous faisons comme un crossover avec le jeu. Autre exemple, un de nos personnages réguliers va disparaître pendant un temps et ne revenir qu’à la fin de la saison. Cela donne la possibilité de l’utiliser dans le jeu avec une intrigue propre pendant son absence de la série.
Comment pouvez-vous vous rappeler de tous les détails de la série ?
Nous avons un coordinateur pour la mythologie, Brian Alexander. Nous avons découvert dès la saison 1 que notre crosshybridation avec le jeu vidéo et la mythologie que nous partageons étaient incroyablement compliquées. Notre superviseur du scénario a fini par faire ce travail avant d’en avoir le titre officiel. Cette saison, il continue mais il est aussi scénariste sur la série. Il actualise notre wiki et forme les autres scénaristes à le faire aussi. Notre wiki compte des centaines de pages. Et quand nous changeons quelque chose dans le scénario de la série, nous devons intégrer ces changements dans notre wiki pour que le jeu en profite aussi.
Vos effets spéciaux sont de très bonne qualité malgré un budget toujours plus serré. Comment faites-vous ?
A Syfy, nous avons un budget généreux. Je crois que je suis plutôt fier de voir que beaucoup d’autres séries ont des budgets plus importants que nous et que nous sommes les seuls à avoir un personnage régulier avec un maquillage digital dans chaque épisode. Stephanie Leonidas [qui joue Irisa] s’est abîmé la cornée vers la fin de la première saison. Depuis la saison 2, ses yeux sont colorés digitalement à chacune de ses apparitions. Et elle est souvent à l’écran. Je parle ici de plus de 200 effets visuels par épisode. Nous faisons désormais la même chose pour Trenna Keating, qui joue Doc Yewll et qui a des problèmes aux yeux. Ces deux personnages sont importants et chaque plan avec eux contient désormais un effet visuel. Mais c’est aussi merveilleux car cela nous permet de mettre dans les yeux d’Irisa des ombres quand elle pleure ou des flamboiements quand elle est en colère. Nous pouvons faire des trucs assez cool. Je suis émerveillé par ce que Gary Hutzel et Mike Gibson [tous deux chargés des effets visuels] peuvent faire. Si vous prenez les deux premières heures de Battlestar Galactica et les deux premières heures de Defiance, ils ont réussi a créé deux fois plus d’effets spéciaux dans Defiance et seulement sept ans séparent les deux séries. Tout devient de plus en plus dur pour eux à mesure que nous mettons plus d’effets visuels dans la série alors que le budget reste stable. Nous avons plus de décors et de lieux de tournage mais nous sommes aussi plus intelligents quant à la façon de dépenser notre argent. Nous avons aussi la chance d’avoir la même équipe technique depuis le début. Les techniciens reviennent chaque année, même s’il y a un hiatus de six mois entre deux saisons.
Quelle est la cible principale de la série ? Le marché américain ou le marché international ?
Cela commence avec le marché américain parce que la série est produite par Universal Cable Productions pour Syfy. Si Syfy décide d’arrêter la série, je pense que la série ne pourra pas continuer. Cependant, je pense que la raison qui fait que la série existe est le marché international. Nous ne pourrions faire cette série sans une présence à l’international.
Combien de saisons voyez-vous pour la série ?
Nous ne risquons pas de manquer d’histoires à raconter et le fait que le rôle-titre de la série soit une ville et non un personnage, parce que nous ne faisons pas les Chroniques de Nolan, signifie que la série peut survivre au départ de n’importe quel groupe de personnages. Il y a aussi tant de choses que nous pouvons faire. Nous n’avons fait qu’effleurer les Guerres Pâles, par exemple. Cela pourrait prendre toute une saison à raconter tout comme avec l’arrivée des aliens sur Terre ou avec la jeunesse de nos personnages. Il y a aussi ce qui est arrivé sur la planète des Castithans ou des Gulanéens. Notre réserve d’histoires est inépuisable.
Si la série s’arrête, comment voulez-vous la voir finir ?
Je ne sais pas si j’ai une réponse à cette question car c’est comme de préparer ses propres funérailles. (Sourire) J’aime à penser que le jour où je n’aurai plus envie de faire cette série, personne ne pourra me remplacer. Je veux croire que je suis indispensable mais ce n’est pas réaliste. Ce serait génial de finir la série comme je le veux et ne pas me demander si elle sera renouvelée pour une nouvelle saison. Cela n’arrive pas souvent mais de temps en temps, vous savez comment la série va finir. Par exemple avec la série Code Lisa, nos deux dernières commandes concernaient le renouvellement de 26 épisodes, soit deux ans. Nous savions qu’après ces 26 épisodes ce serait fini et nous avons eu la possibilité de planifier le grand final. Cela arrive très rarement.
Que croyez-vous que cette série dise du monde d’aujourd’hui ?
Cette série parle du multiculturalisme. C’est une grande métaphore sur un nouveau monde où les êtres humains sont les indigènes dérangés par l’arrivée de nouveaux colons. Les autres races s’allient, certaines s’entendent entre elles, d’autres non. Les Castithans ont plus en commun avec les humains, qui viennent d’un autre système solaire, qu’avec les Irathients avec qui ils partageaient pourtant la même planète. Nous introduisons maintenant l’idée de la colonisation, des prédateurs et des esclaves. Nous découvrons que ces races que nous connaissons ont vécu sous le joug d’une autre race votane pendant des siècles. Les rancunes anciennes sont tenaces. Comment vivre aujourd’hui avec ce passé ? Je pense que le fait d’utiliser le genre de la science-fiction nous permet d’avoir une approche un peu plus brutale parce que nous parlons d’aliens et non d’êtres humains.
La série possède-t-elle des influences de Star Wars ?
J’avais 10 ans quand Star Wars est sorti et je n’avais encore jamais rien vu de tel de toute ma vie. J’ai été bluffé. Le côté crade et usé était différent de ce qui se faisait avant. Les vaisseaux étaient cabossés et sales, tout était fouillis, dégoûtant et réel. Tout ce qui avait été fait avant était si propre, comme dans 2001, l’odyssée de l’espace. Tout y était joli, blanc et immaculé. Star Wars piétinait toutes les règles. Toute la science-fiction se passait aussi dans le futur et avec des Terriens. Star Wars se déroulait dans le passé et la première chose que l’on voyait dans le film était « Dans une galaxie lointaine, très lointaine… », ce qui vous faisait croire à un conte de fées mythique. J’aimais aussi Le Hobbit pour ce même thème de conte de fées épique. Mais Star Wars avait des vaisseaux spatiaux et des créatures, brisait toutes les règles et nous ouvrait à l’imagination pour le futur.
Pensez-vous que la science-fiction vit actuellement son heure de gloire ?
Je ne pense pas que le genre n’ait jamais perdu de son aura. Je pense que les producteurs de télé savent mieux aujourd’hui comment le monétiser et le porter vers un public populaire. Defiance a du succès car la série est basée sur le détail et possède une mythologie d’une grande richesse, comme Game of Thrones. J’ai travaillé sur Caprica. C’était une suite encore plus compliquée que Battlestar Galactica. Sur Defiance, nous avons ce wiki interne qui contient des centaines de pages sur tous les éléments importants de la série mais nous ne les utilisons pas à chaque épisode car nous n’avons que 42 minutes à chaque fois. Les fans apprécient que tous ces détails existent. Regardez ce que Marvel fait actuellement avec leurs projets transmédia, les films et les séries télé. Dans la série Daredevil, ils évoquent des sujets qui arriveront dans les prochains films. Plus les fans découvrent la mythologie, l’apprécient et le font savoir, et plus les décideurs auront envie d’investir.
Table ronde réalisée sur le tournage de Defiance, à Toronto – 21 avril 2015
Crédit photo : Defiance Saison 3_©_2014_Open_4_Business_Productions_LLC
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