Une forêt près de Montrol-Sénard, dans le Limousin. 25 juillet 2012. C’est le 13ème jour de tournage de la saison 5 d’Un Village français, la série qui raconte la vie de Français sous l’Occupation. Un an sépare la fin de la saison 4 de la saison 5 qui commence en septembre 1943. Aujourd’hui se tournent des scènes de l’épisode 6.
« Cette saison 5 est un tournant dans la série, affirme Jean-Marc Brandolo, le réalisateur des six premiers épisodes de la saison. Les gens récoltent ce qu’ils ont semé : les salauds commencent à douter et sentent que le vent tourne et ceux qui ont pris des risques et perdu des proches réalisent que quelque chose est possible, que quelque chose se prépare. »
Et ce quelque chose se prépare en partie dans le maquis. Des couvertures jetées sur des structures de branches forment des tentes de fortune. Des valises et sacs à dos sont posés ici et là et des musettes sont accrochées dans les arbres. Près du feu de camp s’entassent des gamelles et des tasses en fer blanc, une cafetière, des couverts. Plus loin, des dominos reposent en vrac près d’un canif planté dans le sol pour tenir une feuille de journal qui fait office de tapis de jeu. Des éditions pliées des Nouvelles de Villeneuve sont empilées près de cartes postales et de photos, de hachettes et de scies. Et de fusils. En bois. Deux sont sculptés, les autres ressemblent à des jouets construits par des enfants : deux branches ficelées l’une sur l’autre pour faire le canon avec deux bouts de bois en guise de manche et de détente.
Daniel Larcher, médecin et ancien maire de Villeneuve, est assis au pied d’un arbre avec deux prisonniers allemands, Gunther et Klaus. Ce dernier, blessé, est allongé. « Daniel est appelé dans le maquis pour soigner un blessé mais se retrouve lui aussi prisonnier, explique son interprète Robin Renucci. N’étant plus maire, il n’est plus un collabo mais pas aux yeux des maquisards. » Plus loin, dans un coin du camp, des maquisards discutent de la pièce de théâtre qu’ils préparent. Du théâtre dans un maquis ? « Les maquisards n’ont plus de repères, continue Robin Renucci. C’est par le théâtre qu’ils vont se recentrer. Ils ont besoin de se représenter et d’exprimer leur état, de sortir d’eux-mêmes et de retrouver l’adresse à l’autre, de créer du lien avec l’autre pour retrouver la démocratie, pour se sauvegarder, se sauver. Pour eux, le monde s’est arrêté, ils ont besoin de le remettre en marche. La fiction qu’ils jouent dans le maquis va les amener à agir dans le réel. » Et de ce théâtre va naître une action de résistance qui va déstabiliser le colonel Heinrich Müller, le chef de la Gestapo en charge de Villeneuve : un défilé dans les rues de la ville d’une armée de jeunes Français, comme celui, bien historique celui-là, d’Oyonnax, le 11 novembre 1943.
Ce défilé est organisé par Antoine, 21 ans, le chef des maquisards. Il est le beau-frère de Raymond Schwartz, l’entrepreneur collabo qui a épousé sa sœur, Joséphine. Il s’est enfui dans les bois tout autant pour échapper au STO, le service de travail obligatoire instauré par l’occupant, qu’à l’emprise de Raymond qui le considère comme un fils et veut diriger sa vie. « Antoine prend son destin en main en devenant réfractaire, affirme Martin Loizillon. Alors qu’il vole des poulets dans une ferme, il rencontre Marie, l’ancienne métayère devenue résistante, et la suit dans le maquis et la résistance. Mais c’est un leader qui s’ignore. » D’où un conflit ouvert entre le maquisard et la résistante. « Marie a plus de maturité et de sagesse que ces jeunes maquisards, précise Nade Dieu. Elle s’est aussi endurcie en devenant une guerrière. Elle a atteint un point de non-retour et n’a plus de vie personnelle. Elle vit en marge pour une cause. »
Tandis qu’Antoine réfléchit au sort de ses trois prisonniers, Marie arrive au camp pour lui annoncer une mauvaise nouvelle. Il dégaine alors un Lüger et met Gunther en joue. Daniel hurle pour l’arrêter mais Antoine réplique : « C’est un Boche ! ». Il ne parvient cependant pas à tirer. Marie crie : « Arrête ça tout de suite ! » avant de lui donner une claque puis de le prendre dans ses bras quand il éclate en sanglots. « L’honnêteté du Village français est de montrer les gens non pas dans leur finalité mais dans leur cheminement, remarque Robin Renucci. Ces jeunes maquisards tâtonnent complètement, ils pataugent dans l’action avec des fusils en bois. Mais ils vont devenir des humains qui pensent et qui agissent. C’est toujours intimidant au regard de l’histoire de voir les gens qui se sont engagés dans la résistance. On dit qu’ils ont été courageux, qu’ils ont fait une chose extraordinaire, qu’ils ont libéré la France. Mais ce qu’on voit dans la série, c’est la vie quotidienne de ces jeunes gens qui se mettent en mouvement sans vrai plan. Ils ne savaient pas comment résister mais ils ont eu envie d’y aller. Ils ont eu envie de dire non. »
Article paru dans Studio Ciné Live – N°44-45 – Décembre 2012-Janvier2013