Ils s’appellent Bond, James Bond, et Bourne, Jason Bourne. L’un est au shaker ce que l’autre est à la cuillère. Ils sont au coude à coude dans le cœur des fans de films d’action et d’espionnage. Mais qui a le plus influencé l’autre ?
Rendons à César ce qui est à César. A la fin du roman de Ian Fleming On ne vit que deux fois (1964), James Bond tue Blofeld, se blesse à la tête en s’échappant et tombe dans la mer. Il est sauvé et recueilli dans un village de pêcheurs mais a perdu la mémoire. Cela ne vous rappelle rien ? L’écrivain Robert Ludlum, créateur du Jason Bourne de La mémoire dans la peau (1980), n’a jamais caché qu’il était un grand fan des écrits de Fleming. Il aurait même adopté des initiales identiques pour son héros en hommage à Bond.
L’adaptation cinématographique de La mémoire dans la peau ne reprenant que les prémisses et les grands traits de caractère du personnage du roman, le réalisateur Doug Liman aurait pu faire un nouveau Bond. Mais son film sortant la même année que Meurs un autre jour (2002), il a pris le contre-pied. Son Bourne évite les gadgets, les décors exotiques, le glamour, la fantaisie et le sea, sex and sun bondiens. Il ne porte pas de smoking mais un pull troué. Il ne conduit pas une clinquante Aston Martin mais une vieille Mini Austin (la Deux Chevaux de Bond dans Rien que pour vos yeux (1981) n’était pas mal non plus). Il est un agent hautement entraîné au permis de tuer mais il est sombre, sérieux, parle peu, sourit encore moins. Un peu le Bond de Timothy Dalton de la fin des années 80.
Doug Liman garde les courses-poursuites en voiture qui ont toujours fait les beaux jours des Bond mais accentue le côté physique de l’action, introduisant des combats à mains nues impressionnants de brutalité. Le style de la bagarre dans l’appartement parisien et cette approche sans compromis ni fioriture de l’action se retrouvent dès la scène d’ouverture de Casino Royale (2006), avec plus de bestialité. L’action est ce qui rapproche le plus les deux franchises qui partagent quelques techniciens lié au genre : Alexander Witt est le réalisateur de la seconde équipe de La mémoire dans la peau et de Casino Royale et Dan Bradley celui de La mort dans la peau (2004), de La Vengeance dans la peau (2007) et de Quantum of solace (2008) où il reprend le style de la caméra toujours en mouvement de Paul Greengrass, le réalisateur des Bourne 2 et 3 ; Gary Powell est le coordinateur des cascades de Casino Royale, de La vengeance dans la peau (en partie) et de Quantum of solace. Le monde est petit.
A la sortie de La mémoire dans la peau, beaucoup saluent son réalisme. Plus réaliste ce Bourne qui prend un type pour amortir sa chute de plusieurs étages et en tue un autre pendant sa descente ? Ce n’est pas difficile d’être plus réaliste que Meurs un autre jour avec sa voiture invisible et son laser spatial mais le film a quand même engrangé $432 millions au box-office mondial. Face à ce meilleur score de la franchise avant Casino Royale (et le double de La Mémoire dans la peau), les producteurs des Bond revoient quand même leur copie et décident d’un épisode suivant plus sérieux. Ce qu’ils ont toujours fait après avoir été trop loin dans la fantaisie : Au service secret de sa majesté (1969) après On ne vit que deux fois (1967), Rien que pour vos yeux après Moonraker (1979), Tuer n’est pas jouer (1987) après Dangereusement vôtre (1985). Ils récupèrent aussi les droits de Casino Royale, ce qui leur donne l’occasion (l’excuse ?) de pouvoir rebooter la franchise : nouveau style et nouvel acteur, Daniel Craig.
Le Bond de Craig est implacable, acharné, dur, sombre, le genre bulldozer. Comme Bourne. Mais c’est le vrai Bond de Ian Fleming et Casino Royale veut retourner aux sources du personnage, né bien avant Bourne. Ce Bond n’utilise pas de gadgets. Comme Bourne. Mais Q n’est pas dans le roman. Ce Bond est en quête de vengeance après la mort de Vesper. Comme Bourne après la mort de Marie. Mais Bond vengeait déjà la mort de sa femme dans Les diamants sont éternels (1971). Ce Bond devient incontrôlable pour M. Comme Bourne pour la CIA. Mais Bond jouait déjà les francs-tireurs dans Permis de tuer (1989). Alors qui de la poule ou de l’œuf ?
James Bond a deux recettes pour survivre. Il s’adapte aux modes cinématographiques du moment : la blaxploitation pour Vivre et laisser mourir (1973), les arts martiaux hongkongais pour L’homme au pistolet d’or (1974), Star Wars (1977) pour Moonraker… Aujourd’hui, il emprunte à Bourne ou Batman begins (2005), des films plus sombres et personnels avec des héros abîmés et face à leurs démons. Et il change d’acteur pour maintenir sa longévité. En 50 ans et 23 films, Bond a connu six comédiens. En 10 ans et 4 films, Bourne a déjà passé la main, acteur ET personnage. Bond et Bourne se nourrissent l’un l’autre comme tous films d’un même genre, prenant le meilleur de chacun et tentant d’éviter le pire. Mais voyons qui sera toujours là dans 10 ans : James Bond ou Jason Bourne ? Qui a dit Jack Bauer ?
Article paru dans Studio Ciné Live – N°41 – Octobre 2012