Il est James Bond. Depuis Casino Royale, Daniel Craig respire du Bond à chaque instant de sa vie. Sur les plateaux. Normal. Et en dehors des plateaux. Une plaie. Mais il se soigne. Et il ne regrette toujours rien. 

 

Daniel Craig est James Bond

Daniel Craig est James Bond

Dans les dix minutes d’extraits de Skyfall que nous avons vus, quelqu’un demande à James Bond : “Où étiez-vous passé ?” et il répond : “J’appréciais la mort.” Et donc, la mort, c’est comment ?

Daniel Craig : (Sourire) C’est plus compliqué que ça. Vous allez devoir deviner l’intrigue car je ne vous dirai rien, je suis désolé.

Vous avez dû attendre quatre ans avant de retrouver James Bond à cause de problèmes financiers dans la production de la franchise. Etiez-vous néanmoins confiant ?

Oui, je savais que les producteurs trouveraient une solution. Ce n’était qu’une question de patience. Mais cela nous a donné plus de temps pour faire un bon Bond. D’habitude, vous n’avez pas autant de temps pour préparer un film.

Tout le monde parle de Skyfall comme d’un Bond plus classique. Pourriez-vous préciser ?

Il n’est pas classique dans le sens rétro mais plutôt dans le sens d’un film qui survivra à l’épreuve du temps. Il y a des influences majeures des premiers Bond dans Skyfall, dans son aspect visuel, dans les émotions qu’il fera éprouver mais le film se passe dans un monde très moderne. Nous ne retournons pas au point de départ.

Qu’apporte le réalisateur Sam Mendes à la franchise ?

Il apporte déjà son amour des films de Bond et son envie d’en faire un. Il n’aurait pas accepté le projet s’il n’était pas sûr d’en faire quelque chose. Il a su choisir ses acteurs car nous avons un casting de rêve. Mais, de leur côté, les acteurs ont accepté le projet parce que nous avons un bon scénario, qui n’a d’ailleurs pas été facile à écrire.

Vous avez déjà tourné avec lui pour Les Sentiers de la perdition, il y a 10 ans. En quoi a-t-il changé ?

(Il hausse les épaules) Comme tout le monde peut changer en dix ans, je suppose qu’il est plus vieux et plus sage. Nous avons tous les deux changé. Nous étions aussi tous deux dans un état d’esprit différent à l’époque mais quand je lui ai demandé de faire Skyfall, je savais comment il allait réagir face à ce défi. Et il a réagi. Brillamment.

James Bond est aussi plus sympa que le Connor Rooney des Sentiers de la perdition.

Oui, je ne tue pas d’enfant. (Sourire)

Mais dans le travail, Sam Mendes est-il le même ?

Je suis plus impliqué dans Skyfall que je ne l’étais dans Les Sentiers de la perdition. Je vois beaucoup Sam en dehors du plateau mais sur le plateau, il n’a pas changé. Il est précis, généreux, très exigeant ce qui est génial pour un acteur car il vous pousse à aller toujours plus loin. C’est un pur plaisir de travailler avec lui parce qu’il sait aussi faire disparaître la pression ambiante. Je peux m’amuser davantage en sachant qu’il est là et qu’il contrôle tout ce qui m’entoure.

Sam Mendes - Daniel Craig

Le réalisateur Sam Mendes et Daniel Craig

Pouvez-vous improviser sur un Bond ?

Non, c’est impossible. Mais quand vous avez un bon scénario, les moments drôles surviennent des situations. John Logan [le scénariste, NDLR] a écrit quelques répliques hilarantes mais il y a des moments drôles qui ont moins à voir avec les dialogues et plus avec des regards, des émotions. La liberté d’explorer ça, le sentiment d’être assez confiant pour essayer des choses… Quand vous avez fini une scène, que vous savez qu’elle est bonne, vous refaites deux ou trois prises en vous amusant, pour voir ce qui peut arriver quand vous changez ceci ou cela. Sam est très réceptif à ce genre de choses. Avec un peu de chance, on s’est inspiré du scénario et on l’a rendu encore plus intéressant.

Un Bond a toujours beaucoup de scènes d’action. Vous vous êtes découvert de nouvelles aptitudes physiques ?

Il y a plus de sauts, de scènes avec des câbles et de choses comme ça. Mais tout ressemble à une nouvelle expérience à chaque fois car quel que soit le temps que vous passez à répéter une scène à l’entraînement, c’est encore différent quand vous la tournez. Dans Skyfall, je suis sur un train qui roule à 80 km/h et qui n’arrête pas de tanguer. C’est très différent de l’entraînement et il faut apprendre très vite en tournant la scène. Mais je suis entouré de personnes de confiance, je suis en sécurité avec elles car tant que je rentre sain et sauf chez moi, elles le peuvent aussi.

Jusqu’où êtes-vous prêt à aller ?

Jusqu’à ce que je ne me sente plus en sécurité. Je laisse volontiers ma place aux cascadeurs. Ils sont là pour ça, c’est leur métier et ils sont payés pour ça. Tant que nous arrivons à les faire passer pour moi, tout me va. (Sourire)

Apprenons-nous des éléments nouveaux sur Bond car il semble que Skyfall se concentre plus sur M et son passé ?

Je suis de toutes les scènes donc tout tourne autour de Bond mais nous avons d’autres personnages extrêmement forts jetés dans la bataille et qui enrichissent l’histoire. Est-ce qu’on en apprend plus sur Bond ? Je l’espère. Je ne sais pas. J’en ai vu autant que vous. J’aime à le penser.

James Bond serait-il définitivement passé du gentleman britannique au héros d’action américain ?

Je ne pense pas parce que ce n’est pas comme ça que je l’interprète. Le concept du héros d’action, du héros solitaire qui doit sauver le monde est vieux de mille ans. James Bond en un de ses descendants. Il y a certainement eu un changement avec Casino Royale, une transition mais il y a aussi quelques différences dans Skyfall que vous ne trouvez pas dans les deux précédents Bond. C’est vrai qu’il est un peu plus gentleman dans celui-ci.

Face à face entre James et Silva (Javier Bardem)

Face à face entre James Bond et Silva (Javier Bardem)

Silva est-il un bon méchant pour Bond ?

Il est superbe ! Javier [Bardem] est un acteur brillant qui sait ce qu’est un méchant chez Bond et il lui donne tout ce qu’il a. Et c’est beaucoup, croyez-moi ! (Sourire)

Considérez-vous James Bond comme le tournant dans votre carrière ?

Oui, et pas qu’un petit ! (Rires) Il y a des films dont vous ne pouvez pas vous échapper ni de la pression qu’ils créent. Cela peut vous faire oublier un peu qui vous êtes parce que vous êtes alors confronté à ce que les gens pensent de vous. Ce qui n’est utile pour personne. Vous ne pouvez passer votre vie à réfléchir à ce qu’untel ou untel pense de vous. Sinon, vous vous perdez.

Comme vivez-vous cette constante attention de la presse, des paparazzis, des fans ?

Je ne vous dirai pas comment je me cache pour éviter tout ça car après, ça ne marcherait plus. (Rires) Etre célèbre ne m’intéresse pas. Plus un acteur est conscient de lui-même, pire il est. J’essaye de l’être le moins possible mais je suis James Bond, je ne passe donc pas inaperçu. C’est dur parfois mais je fais de mon mieux. J’aime être acteur et j’essaye de refouler tout ça car pour moi, la célébrité n’a aucun sens.

Y a-t-il des choses que vous ne pouvez plus faire aujourd’hui et qui vous manquent ?

Aller au pub me relaxer avec mes amis, me souler et faire le fou et de ne pas m’en inquiéter. Ce qui a surtout changé, c’est l’attitude de certains fans. De vrais casse-pieds. Il y a des gens qui viennent m’observer de près quand je mange. Ils sont incroyablement curieux. Ils pensent aussi que c’est leur droit de me prendre en photo. Et comme tout le monde aujourd’hui à un appareil photo dans son téléphone, je ne peux y échapper. Je ne peux pas aller au pub, apprécier une pinte de Guinness, chanter quelques chansons et être heureux sans qu’un con me filme et le mette sur Internet. Je n’ai pas cette liberté. Et personne d’autre non plus car tout finit sur Internet. Enfin, sauf pour ceux qui semblent s’en ficher.

James Bond appartient à un musée.

James Bond appartient à un musée

Avant James Bond, vous tourniez dans beaucoup de petits films indépendants britanniques. Depuis James Bond, Flashbacks of a Fool de Baillie Walsh (2008) est le seul film indépendant que vous avez fait. Pourquoi ?

C’est plus dur. J’ai testé. Et surtout dans le cas de Flashbacks of a Fool. Vous ne pouvez plus faire ces films en totale indépendance dès que mon nom est attaché au projet car l’argent semble alors affluer et l’argent est malheureusement l’ennemi de ces films. Love is the Devil [de John Maybury (1998), NDLR] a coûté 900 000 livres, c’est beaucoup d’argent mais ce n’est rien comparé à un film comme Skyfall qui coûte 200 millions de livres. C’est ridicule. Quand je veux faire un petit film, les investisseurs veulent y participer car ils pensent qu’ils peuvent gagner de l’argent. Cela ne peut pas être un critère pour faire un film indépendant. L’objectif ne doit pas être de gagner de l’argent mais de montrer le film, d’amener des gens à le voir, de faire passer son message. Si votre but est de faire de l’argent, vous êtes foutus d’avance parce que vous pouvez perdre votre indépendance, la possibilité de faire ce que vous voulez faire. Je ne referai plus un film comme ça à moins que le budget soit totalement contrôlé. Mais je n’ai pas encore trouvé ce film, rien ne m’a encore accroché. Mais cela fait cinq ans que je suis sur les plateaux de cinéma et je veux prendre un peu de recul. J’ai besoin de m’éloigner de tout ça.

Vous étiez aussi producteur exécutif sur Flashbacks of a Fool. Comptez-vous réitérer l’expérience ?

Produire, oui, mais je ne sais pas vraiment comment faire. J’ai besoin d’en apprendre plus pour produire. Ou pour réaliser. Mais jouer prend beaucoup de temps et le temps que j’apprenne à produire ou à réaliser, je serai déjà dépassé et il faudra que je recommence tout. (Sourire)

Ecrire un scénario ?

(Il secoue vivement la tête) Oh non. Voilà quelque chose qui est totalement impossible.

Etes-vous l’acteur que vous rêviez d’être ?

Non, j’en suis loin. (Rires) Quand je suivais des cours d’art dramatique, mon rêve était de gagner ma vie, payer mon loyer et être payé pour ce que j’adorai faire. Puis j’ai pris une voie que je n’ai pas pu totalement contrôler. Je n’avais pas ce genre d’ambition, de faire tout ça, d’être célèbre.

Aimez-vous toujours le métier ?

Oui. Mais pas vraiment en ce moment. Etre assis ici et répondre à toutes ces questions, j’en ai un peu marre. Mais ça va aller. J’ai juste besoin d’une petite pause. (Rires)

Vous regrettez d’avoir accepté James Bond ?

Non. (Il éclate de rire) Non.

Article paru dans Studio Ciné Live – Hors Série James Bond – Octobre 2012