La Légende d’Ochi est une fable familiale à l’univers sombre mais empreinte de poésie. Elle explore des thématiques universelles telles que l’empathie, l’acceptation de l’autre, l’harmonie avec le vivant mais aussi une saine remise en question de l’autorité. Elle est peuplée de mystérieuses créatures traquées sans pitié par les hommes : les ochis. Pour les créer, le réalisateur et scénariste Isaiah Saxon a privilégié les effets pratiques conférant un charme particulier ainsi qu’une douce nostalgie à son premier long métrage. En voici tous les secrets de leur conception. La Légende d’Ochi sort en salles ce 23 avril.

Helena Zengel et les marionnettistes de Bébé Ochi, en bleu sur fond bleu

Helena Zengel et les marionnettistes de Bébé Ochi

L’histoire

Yuri (Helena Zengel), 12 ans, vit sur une île des Carpates, où le temps semble s’être arrêté, avec son père Maxim (Willem Dafoe). Ce dernier attribue la mort de sa femme aux ochis, des créatures qu’il entend exterminer jusqu’au dernier. Quand Yuri découvre un bébé ochi blessé et perdu, elle décide de le ramener à sa famille, bien au-delà de la forêt. Maxime se lance aussitôt à leur poursuite.

L’inspiration derrière les ochis

Bébé Ochi

À l’Academy of Art de San Francisco, Isaiah Saxon a suivi des cours sur les effets spéciaux, le dessin et la sculpture. Cela lui a permis d’incorporer ces différents éléments à son approche cinématographique. « Réaliser ne se limite pas à écrire des lignes de dialogue et filmer des acteurs », confie le cinéaste. « Il s’agit aussi de dessiner et de concevoir des personnages dans un monde qui a été pensé pour les accueillir. Puis de sculpter l’ensemble, en créant toutes sortes d’outils pour les améliorer. Trouver comment y parvenir avec peu de moyens m’a poussé à explorer diverses techniques que j’ai ensuite appris à maîtriser. »

L’idée de La Légende d’Ochi vient de l’intérêt du réalisateur pour le lien que l’enfant développe avec un animal ou une créature mystérieuse. Un thème illustré par des œuvres comme E.T., l’extra-terrestre (1982) de Steven Spielberg, Gremlins (1984) de Joe Dante et Mon voisin Totoro (1988) de Hayao Miyazaki, mais aussi Kes (1969) de Ken Loach et L’Étalon noir (1979) de Carroll Ballard.

Le design des ochis

Isaiah Saxon et un ochi adulte

Isaiah Saxon et des ochis

Pour concevoir les ochis, Isaiah Saxon a collaboré avec David Darby, qui a sculpté les modèles à partir de dessins originaux. Ces derniers s’inspirent de la fascination du cinéaste pour les rhinopithèques de Roxellane. Ces singes au pelage brun-doré et au nez retroussé vivent dans les forêts montagneuses du sud-ouest de la Chine, proche du plateau tibétain. « Ces animaux ont à la fois une allure extraterrestre et simiesque », explique le réalisateur. « Je ne voulais pas trop m’éloigner du monde des primates. Je souhaitais que le public perçoive les ochis comme de véritables créatures vivant dans un monde réel. »

Le bébé ochi est ainsi une version idéalisée d’un singe réel, avec des traits modifiés pour renforcer l’empathie du spectateur et celle de Yuri. « Nous avons agrandi ses yeux, ainsi que ses oreilles, afin de souligner leur expressivité », précise Isaiah Saxon. « Dans un monde où les images de synthèse tendent vers l’épure et le lisse, les imperfections des effets pratiques apportent une richesse supplémentaire à l’expérience visuelle du fantastique par le spectateur. »

La conception des ochis, entre animatronique et costume

L'animatronique final de Bébé Ochi

L’animatronique de Bébé Ochi

Le prototype rudimentaire du bébé Ochi a été conçu avec le superviseur créatif John Nolan. « Il n’avait pas encore de visage, juste une peau inerte tendue sur une armature d’acier manipulée par des tiges », se souvient Isaiah Saxon. « Mais dès que nous avons commencé à la faire bouger, il était évident que nous étions sur la bonne voie. Quand vous créez quelque chose à la main, ses potentiels défauts font partie de son charme. »

Le bébé ochi est une marionnette guidée par plusieurs marionnettistes. Les ochis adultes, eux, sont incarnés par des acteurs équipés de costumes spéciaux avec extensions de membres. Ces costumes et Ces marionnettes sont dotés de têtes animatroniques. Chaque détail du visage est contrôlé par une équipe dédiée surveillant un moniteur caméra. « La complexité de tout cela est immense », précise le réalisateur. « Chaque ochi nécessitait plusieurs opérateurs télécommandés, uniquement pour les expressions faciales. Quant au bébé ochi, une personne gérait les yeux et les sourcils, une autre la bouche et les oreilles, et une troisième actionnait les membres pour animer la marionnette. »

Le pratique avant le digital

Les têtes animatroniques des ochis adultes

Peter Elliot, expert en primates et interprète, a dirigé et affiné les mouvements des ochis dans chaque scène. Il voulait transmettre une vivacité émotionnelle plutôt qu’un hyperréalisme. « Je ne voulais pas qu’il y ait une sensation d’étrangeté », justifie le cinéaste. « En utilisant des techniques purement pratiques, nous avons poussé les limites aussi loin que nous le pouvions pour que tout semble aussi réel que possible. »

La majorité de ce que l’on voit à l’écran vient de performances et de constructions pratiques. Les effets visuels ont principalement servi à effacer les marionnettistes du cadre.

Le langage des ochis

Isaiah Saxon souhaitait incorporer le chant des oiseaux à un son qui se rapproche de celui des primates. Il a découvert par hasard la pratique connue sous le nom de « sifflement de gorge ». Il a ensuite regardé des vidéos sur YouTube retraçant ce phénomène. « Une vidéo en particulier m’a donné la chair de poule, » avoue-t-il. « Celle de Paul Manalatos, assis dans sa chambre, en sweat à capuche, devant une webcam, qui sifflait comme un oiseau avec sa gorge. J’ai tout de suite su que c’était le son de l’ochi. »

Isaiah Saxon et les marionnettistes de Bébé Ochi

Le cinéaste a alors contacté le siffleur et lui a envoyé le scénario. « Paul m’a rappelé, très ému, en me disant que le film était l’histoire de sa vie. Comme Yuri, il a grandi sans mère et a trouvé du réconfort dans le black metal et les sifflements de gorge. À Los Angeles, nous avons enregistré ses sifflements dans une cabine. Dans le film final, le son de l’ochi est composé à 90 % de Paul Manalatos et à 10 % de chants d’oiseaux – du moqueur et un peu de corbeau. »

Pour Yuri, ce chant, en tant que mode de communication propre à l’ochi, vient naturellement. Il résulte de cet indicible lien qu’elle forme avec la créature. Un lien inné entre deux êtres vulnérables issus de deux espèces différentes.

« Je voulais mettre en scène un enfant qui a l’impression que sa capacité à s’exprimer s’est étiolée ou a disparu », décrit le réalisateur. « Yuri est cloîtrée. Le black metal est son seul exutoire. Un beau jour, elle tombe sur une créature qui semble être l’antidote à tout ce que les humains ont de détestable. L’ochi est franc, intuitif, instinctif – l’inverse de son père manipulateur et machiavélique. Que se passerait-il si cette énergie ochi était présente dans sa vie ? Pourrait-elle l’aider à s’ouvrir au monde ? »

Crédit photos : © A24