Dans la minisérie Un soupçon, Odile Vuillemin incarne Isabelle Dubreuil, une veuve noire inspirée de plusieurs tueuses en série. L’actrice, qui interprète rarement des méchantes, a trouvé cathartique de jouer ce personnage extrêmement ambigu et complexe, vulnérable et touchante, dangereuse et redoutable. La diffusion des quatre épisodes d’Un soupçon commence ce 16 octobre, à 21h10, sur France 2.
Etait-ce facile d’entrer dans la tête de cette veuve noire ?
Odile Vuillemin : Oh. (Soupir) Comment dire ? J’aimais bien l’idée de jouer une femme qui n’est pas gentille. J’ai souvent joué des gentilles et, à un moment donné, c’est assez cathartique de se déverser quelque part. Les rôles de méchantes sont plutôt des cadeaux de ce côté-là. Cela avait commencé avec mon personnage dans Prométhée [où elle incarne une psy prête à tout pour sauver son fils, ndlr]. C’est assez jouissif et ce sont de beaux challenges d’actrice. Facile ? Je ne sais pas. J’ai re-regardé la série avant de venir vous voir et j’ai réalisé qu’Isabelle est un personnage sur lequel on n’a pas prise. Pas même moi.
Afin de créer votre personnage, vous êtes-vous plongée dans une littérature de faits divers ou y êtes-vous allée à l’instinct, juste avec le texte ?
J’avais tous les éléments en moi. (Rires) Isabelle Huppert a dit qu’être actrice, ce n’était pas aller à l’extérieur de soi et devenir quelqu’un d’autre mais explorer des parties de soi. Lire ça a bouleversé ma façon de jouer. C’est explorer des parties de moi que je ne pourrais pas explorer dans une vie de tous les jours. Et surtout là, ce n’est pas vraiment le domaine où j’ai envie d’aller m’essayer. (Rires) Donc, j’ai opté pour le plan Isabelle Huppert qui était d’aller chercher en moi.
Du côté de vos pulsions homicides ?
Mais comme tout le monde ! (Rires)
Y a-t-il une référence cinématographique ou un personnage de psychopathe qui vous a inspirée ?
Moi-même. (Rires) C’est très cathartique d’être actrice. Je ne suis pas sûre d’avoir cherché.
C’est un rôle rare. Que vous êtes-vous dit en l’acceptant ?
Chouette !
Il ne faut pas que je me rate ?
Il ne faut pas que je me rate, je me le dis à chaque fois. J’aime bien faire des trucs que je ne sais pas faire.
Que vous ne savez pas faire ou que vous n’avez pas encore fait ?
Les deux. Je m’arrange pour me mettre en danger toute seule sur quelque chose que je pense ne pas savoir faire. Ce sont des rôles difficiles car ils sont au millimètre près, sur la tangente. Un petit peu à droite, on va voir le subterfuge. Un petit peu à gauche, ce n’est pas assez. J’aime bien les challenges, la nouveauté, me renouveler. Cela ne me dérange pas de ne pas savoir faire parce que j’apprends une compétence et c’est plutôt chouette de grandir. Je remets peu en question le postulat d’un scénario. Je lis, j’ai un fantasme, puis je vais voir l’auteur, ensuite on s’engueule et enfin on fait un truc super ensemble.
Quel fantasme ?
Ces questions-là sont dures.
C’est vous qui avez ouvert la porte.
Je vous ai dit que j’aimais me mettre en danger. (Sourire) Le fantasme du tueur en série femme. On n’en rencontre pas si souvent que ça dans le paysage audiovisuel. Dès que je lis le scénario, j’ai tout de suite des images qui me viennent, une idée. C’est sûrement ma passion de l’âme humaine et mes études d’ethno, de socio et de psycho, mais j’ai besoin d’avoir tout de suite une trajectoire de personnage, qu’elle soit bonne ou mauvaise. J’ai besoin de ces petits maillons qui me permettent de comprendre, voire d’excuser, mon personnage.
Savez-vous ce qui conduit Isabelle à tuer ses maris ?
J’essaie de faire amie-amie avec mon personnage parce qu’on vit deux mois dans le même corps. Je ne sais pas. Parfois, je ne suis pas sûr d’avoir envie d’aller… (Elle soupire.) Je vais dire quelque chose qui signifie que j’ai mal fait mon boulot, ça ne me va pas du tout. (Sourire) Parfois, je ne suis pas sûre qu’il faille aller aussi loin et se perdre dans cette déchéance-là. Je n’ai pas de réponse. Je cherche toujours à interpréter un personnage dans sa complexité. C’est vrai qu’on a de parfaits monstres mais il y a souvent une forme d’explication.
Une scène laisse deviner que cela vient de son enfance, mais c’est le seul indice.
C’est un point de départ important pour un acteur. Après, c’est l’histoire qu’on se raconte. J’aurais pu jouer Isabelle d’une autre façon si je m’étais raconté l’histoire différemment. On s’arrange toujours avec ses problèmes, avec sa réalité. J’ai vécu la même chose en jouant dans L’Emprise [elle y joue une femme sous emprise accusée d’avoir tué son mari, ndlr]. Je l’ai regardé plusieurs mois après et je me suis alors dit que je n’aurais pas joué le personnage comme ça. Ça correspond à des moments de vie. C’est une rencontre à un instant T entre un être humain et un personnage. Aujourd’hui, je ne jouerai pas le personnage de la même façon parce qu’entre-temps, j’ai vécu d’autres expériences, il s’est passé d’autres choses et j’évolue. Je suis très fan du travail sur soi. Beaucoup trop même. Ce sont des outils d’actrices. Plus je me connais et plus j’ai de cordes à mon arc pour tirer des fils.
Que pensez-vous quand on vous dit que vous êtes parfaite pour le rôle d’une tueuse en série ?
Qu’il y a une forme de justice. Il faut dire les choses clairement, on se dit : « Enfin ! ». (Rires) De tels compliments font plaisir. On se dit : « Merci la vie ! »
Et à la fin du tournage ?
Plus jamais ! (Rires) C’est horrible !
Après avoir joué un personnage aussi intense, êtes-vous plus fatiguée que pour un personnage plus « classique » ?
Je ne crois pas. En, fait, je n’ai pas eu le temps de me poser la question parce qu’une semaine plus tard, je jouais un personnage encore pire [une femme qui livre sa fille à un pédophile dans Signalement, ndlr]. Je me suis dit que c’était un bon entraînement, c’était l’échauffement. J’arrive à un stade où je parviens à la fois à plonger complètement dans un personnage et à en ressortir tout de suite. Ce qui est plutôt salutaire, voire sanitaire, avec ce genre de personnage. Ce n’était pas le cas au début de ma carrière, ce sont que des choses qu’on apprend sur le tas. Je me suis vue pendant des mois traîner des personnages sans m’en rendre compte. Petit à petit, j’en ai pris conscience. Sur L’Emprise, je suis vraiment restée dans mon marasme parce que les allers-retours étaient trop compliqués à faire. Donc, je suis descendue au fond et j’y suis resté pendant un mois. J’ai beaucoup pleuré, beaucoup éprouvé. Mais le lendemain du tournage, c’était plié. Aujourd’hui, quand c’est trop dur, je n’ai plus envie de me faire aussi mal. J’ai donc une nouvelle technique. J’essaie de ne pas trop me projeter. Je me prépare différemment et quand je suis sur le plateau, j’ouvre toutes les vannes. C’est assez inattendu parce que je ne sais pas moi-même ce que je vais faire. Mais comme c’est sur un temps concentré, je n’ai pas besoin de l’intellectualiser, de le vivre, de le ressentir, de me faire mal, etc. C’est à la fois beaucoup plus organique et beaucoup moins difficile à gérer au quotidien.
Crédit photos : © FTV / Olivier Martino
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