Après près de dix ans sans réaliser un long-métrage d’horreur, Ti West revient à ses premiers amours avec un hommage au slasher classique. Dans X, une équipe de cinéma tourne un film porno dans une petite ferme isolée appartenant à un couple de personnes âgées, au Texas, en 1979. Ce qui arrive par la suite s’avère efficace, surprenant et non dénué d’humour. Attention, spoilers. X sort en salles ce 2 novembre.
Ti West : Un artiste intransigeant
Timon C. West s’est fait connaître comme réalisateur de films d’horreur avec The Roost (2005), Trigger Man (2007), The House of the Devil (2009), The Innkeepers (2011) ou encore The Sacrament (2013). Il a également mis en scène le western In a Valley of Violence (2016) et une dizaine d’épisodes de séries comme “Scream”, “L’exorciste” ou encore “The Passage”. Son nouveau long-métrage X, est le premier d’une trilogie comprenant également la préquelle Pearl et la suite MaXXXine. Le cinéaste de 42 ans cumule souvent plusieurs fonctions sur ses œuvres : réalisateur, producteur, scénariste, monteur, directeur de la photographie et occasionnellement acteur. Crédité à la réalisation de Cabin Fever 2 : Spring Fever (2009), Ti West a depuis désavoué ce film estimant qu’il ne s’agissait plus de son travail mais d’un produit des producteurs qui ont retourné certaines scènes et procédé à un nouveau montage, dénaturant ainsi sa vision originale.
Vous n’avez pas tourné de films d’horreur depuis près de dix ans. Pendant ce lapse de temps, vous avez réalisé un western et des épisodes de séries télé. Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir aux longs-métrages d’horreur ?
Ti West : J’ai enchaîné tellement de films d’horreur à la suite que j’ai senti que si je ne faisais pas de pause, je finirais par me répéter. Et réaliser un long-métrage est un peu un traumatisme pendant deux ans. Se lancer dans un projet, se répéter et ne pas être inspiré, c’est assez brutal. J’ai donc fait une pause. J’ai tourné un western, puis j’ai eu l’occasion de réaliser un épisode de télévision, alors que personne ne m’avait jamais rien proposé de tel de ma vie. C’était la première fois que quelqu’un me demandait si je voulais faire partie de quelque chose que je n’avais pas créé moi-même. Alors j’ai essayé et j’ai vraiment aimé ça. Et une fois que j’ai réalisé un épisode, ça a continué. J’en ai fait 17 d’affilée en cinq ans. Je suis passé d’une série à l’autre et ces cinq années sont passées très vite, sans que j’y pense vraiment.
Mais vers la fin de cette période, je me suis dit que j’avais fait beaucoup de télé et que je devrais peut-être commencer à penser à réaliser un long-métrage. Mais en même temps, je me demandais pourquoi je ferais ça. J’aime faire de la télévision. C’est créativement gratifiant, je passe du bon temps et j’aime les gens avec qui je travaille. Faire un film, comme je l’ai dit, c’est très traumatisant. Donc, j’ai commencé à réfléchir à ce qui me donnerait envie de revenir au long-métrage. J’ai senti que j’avais un réel respect pour la réalisation de films et pour le cinéma en tant qu’artisanat. J’ai ainsi voulu faire quelque chose qui avait un rapport avec ça. Et c’est de là qu’est venue l’idée de faire un film sur des gens qui font un film. J’avais aussi l’impression que les films d’horreur, surtout ici en Amérique, étaient très mous, et j’ai pensé que c’était le bon moment de faire un slasher avec un côté un peu plus tranchant. Ces deux idées ont fait boule de neige et c’est devenu X.
Que voulez-vous dire exactement par “traumatisant” ?
Lorsque vous écrivez et réalisez un film, vous devez penser à une idée. Et vous espérez que cette idée est bonne. Puis, il faut l’écrire, ce qui est tout aussi désagréable que stimulant. Vous êtes tout seul, à essayer d’écrire ce scénario, que vous voulez bon. Vous faites face au fait que vous échouez constamment au fur et à mesure que vous écrivez jusqu’à ce que vous pensiez que ce scénario est enfin bon. Ensuite, vous devez le montrer à des gens et leur demander un tas d’argent pour le faire. Alors que personne ne veut donner de l’argent à personne pour faire quoi que ce soit. Si vous parvenez à les convaincre, généralement, à un moment donné, tout tombe à l’eau. Vous devez alors trouver une solution et obtenir plus d’argent. Toutefois, ce n’est jamais la somme dont vous avez besoin. Après, il faut réaliser le film, ce qui est un défi permanent de 15 heures par jour pour que les choses soient faites comme vous le souhaitez. Vous y arrivez toujours de justesse chaque jour. Enfin, il faut monter le long-métrage et espérer qu’il fonctionne, puis le montrer aux gens et espérer qu’ils l’aiment. Et si tout ça fonctionne, ce qui est très improbable, il faut alors le distribuer dans le monde entier. Et obtenir un certain succès. Quelle que soit la définition que vous donnez à ce succès. Et avant que vous le sachiez, un an et demi s’est écoulé. La dernière étape est de faire la promotion du film.
Quand tout ceci est terminé, vous repartez de zéro et recommencez toute cette expérience en vous disant : “Il me faut une nouvelle idée”. Et cela fait dérailler votre vie pendant deux ans d’une certaine manière. Mais il n’y a rien de mal à ça, je suis très heureux de le faire. Cependant, il faut croire en son projet avant de le commencer. Avec X et Pearl, je suis resté en Nouvelle-Zélande pendant 13 mois. Ce n’était pas prévu. Cela a complètement déréglé ma vie. Trois mois avant d’arriver en Nouvelle-Zélande, je ne savais pas que j’allais y passer plus d’un an. Quand vous faites un épisode de série, on vous demande si vous pouvez être dans l’avion le lundi. Et vous êtes de retour chez vous un mois plus tard et c’est fini. C’est un type d’engagement très différent quand vous vous lancez sur un long-métrage. C’est aussi très étrange d’imaginer une chose et d’essayer de le rendre réel. Cela exige beaucoup de vous.
Retour à un certain âge d’or
Dans X, êtes-vous RJ, le réalisateur ?
Je ne le pense pas, même si je crois qu’il y a des éléments en lui auxquels je m’identifie. Je suis très proche de lui quand il essaye de faire toujours plus à partir du peu qu’il a. Cependant nous n’avons pas la même personnalité. Mais l’aspect cinéaste, cette idée de ne pas avoir grand-chose mais d’essayer d’en faire quelque chose de bien, je m’y retrouve certainement.
Pourquoi avez-vous choisi l’année 1979 et cette époque ?
En grande partie parce que dans les années 70, si vous vouliez faire un film d’horreur ou un film pour adultes, vous pouviez le faire en dehors de l’industrie cinématographique hollywoodienne, vous pouviez le faire de manière indépendante et vous n’aviez pas besoin de stars, vous pouviez créer vos propres stars et vous pouviez vous adresser directement à votre public, qu’il s’agisse de drivins, de cinémas grindhouse, de salles pornographiques, etc. Il y avait l’aspect entrepreneurial lié à ces deux choses. Et dans les années 70, faire un film pour adultes n’était pas vraiment différent de faire un film pour tout public. Il fallait toujours tourner le reste du film, l’histoire et tout ça, il fallait toujours une caméra et du son. C’était un bon moyen de montrer aux gens ce que c’était de faire un film.
En 1979, on est aussi à l’aube d’un changement générationnel entre deux décennies, ce qui me semblait ajouter de la valeur au film. Et puis, dans les années 70, faire un film pour adultes n’était pas différent de faire un film d’horreur, le sujet était différent mais le processus était le même. C’était une façon pour moi de montrer au public que le film, une fois terminé, est censé être érotique alors que sa réalisation est maladroite et ridicule.
Vous auriez pu décider que vos personnages fassent un film d’horreur au lieu d’un film pour adultes.
Mais si j’avais fait ça, il y aurait eu ce commentaire constant sur la raison pour laquelle je parle des films d’horreur et je ne voulais pas faire quelque chose de méta. Il s’agissait de parler de l’esprit d’entreprise et de l’ambition de faire quelque chose et d’espérer changer sa vie en le faisant. Si j’avais choisi le film d’horreur, il n’y aurait eu aucun moyen d’éviter cette sorte d’auto-réflexion constante sur ce que je dis des films d’horreur. Ce n’est pas un film qui dit quelque chose sur le porno en tant qu’industrie ou sur l’horreur en tant qu’industrie. Il s’agit plutôt d’évoquer les efforts disparates qu’il faut déployer pour mettre sur pied une aventure cinématographique.
Rencontre avec une actrice
Vous abordez également la réalité de la vieillesse. D’où vient ce thème ?
J’ai l’impression que la vieillesse est une crise existentielle pour tous. Nous allons finir par vieillir et mourir et, à mesure que vous vieillissez, certaines choses vous sont moins accessibles, dans la plupart des cas, mais pas dans tous les cas. Faire un film sur des jeunes qui profitent de leur jeunesse et qui utilisent leur sexualité pour créer quelque chose, et le mettre en contraste avec des gens qui ne le font pas, me semblait être une dynamique intéressante. Et puis, typiquement, dans les films d’horreur, on s’attend à ce que les jeunes soient insouciants avec le sexe, la drogue et le rock ‘n’ roll tandis que les personnes plus âgées les regardent d’un air puritain et veulent les punir pour ce qu’ils font. C’est plus intéressant quand ces personnes âgées sont en fait rancunières et jalouses. Je n’avais pas encore vu ça dans un film d’horreur. Cela m’a semblé être un angle plus humaniste, plus proche de la réalité, afin, d’une certaine manière, d’humaniser les méchants du film.
Pourquoi avez-vous choisi Mia Goth pour les rôles principaux de Maxine et de Pearl ?
Mia Goth est la deuxième personne que j’ai rencontrée pour X. Cela s’est fait par Zoom. Nous parlions de Maxine, parce qu’il n’était pas question qu’elle joue Pearl à l’époque, mais mon objectif a toujours été de trouver une actrice qui comprenne ce que je voulais faire avec le film, qui l’apprécie et qui soit bonne. J’étais un fan de son travail, de manière générale. Au cours de la conversation, nous avons parlé des parallèles entre Maxine et Pearl, du fait qu’il y a deux personnages différents mais qu’il s’agit essentiellement de la même personne. Je lui ai alors dit que mon objectif idéal était que la personne qui interprète Maxine incarne également Pearl. J’étais très intéressé par sa réaction. Nous étions au beau milieu de cette conversation quand elle s’est arrêtée et j’ai pu voir les rouages tourner dans son esprit.
Et puis j’ai eu l’impression qu’elle était soufflée par cette perspective. Elle a dit : “Je serai parfaite pour ça”. Et je l’ai juste crue. On sent chez les gens quand on leur parle, si on est sur la même longueur d’onde. C’était aussi le genre de personne dont j’avais besoin en tant que partenaire créatif pour faire quelque chose de difficile. Je cherchais quelqu’un qui voulait relever un tel défi, parce que c’est certainement plus facile à dire qu’à faire : jouer deux personnages, passer par la phase maquillage et tout le reste.
Une trilogie inattendue
Comment avez-vous présenté X à vos acteurs, notamment en raison du tournage du film pornographique et de la nudité ?
Le truc avec X, c’est qu’il y a le film que tout le monde craint qu’il puisse être et il y a le film qu’il est réellement. Et généralement, au fil de la conversation, les gens commencent à comprendre ce que le film n’est pas et ce qu’il est. Le film n’est pas que sur le porno. C’est juste une partie du film et une partie de ce que sont les personnages. Il s’agit plus de la réalisation du film que du contenu du film qu’ils font. La préparation du film était bien plus intense que le tournage lui-même. Nous en avons longuement parlé avec tout le monde. Tous ceux qui ont joué dans ce film se sont très bien entendus. Ils ont compris le sens de l’humour du film et ce qu’était le film et ce que nous voulions faire. Et Tandi Wright, notre coordinatrice d’intimité, était vraiment géniale. Ce n’était donc pas un problème. Chacun avait ses propres raisons de penser que ce serait amusant et créatif de le faire.
Pensiez-vous faire une trilogie en vous lançant dans X ? Parce que maintenant vous avez trois films : X, Pearl [annoncé prochainement] et MaXXXine [en préparation].
Pas au début. Au début, ce devait être juste un film. Puis, arrivé en Nouvelle-Zélande, j’ai eu l’idée de faire deux films. Et quand j’ai eu l’idée des deux films, j’ai ensuite eu l’idée d’un troisième film. J’ai parlé à A24 du deuxième et du troisième film, en précisant que le troisième film MaXXXine, est meilleur en tant que troisième film qu’en tant que deuxième film, bien que ce soit la suite de X. Je me suis dit que ce serait plus intéressant de remonter dans le temps, d’apprendre à connaître Pearl avant d’avancer dans le temps et de vivre toute l’histoire dans son ensemble. C’est ainsi que tout a commencé. Nous nous sommes concentrés sur Pearl parce que c’est quelque chose que nous pouvions faire dans la foulée de X, en Nouvelle-Zélande. A24 était ouvert aux trois films alors que nous n‘en avions pas encore fait un seul. C’était une grande ambition qui est devenue une réalité.
Vous avez écrit X sans penser que vous auriez Mia dans les rôles de Maxine et de Pearl. Mais ensuite, quand vous avez écrit Pearl et MaXXXine, vous aviez cette actrice en tête pour les personnages. Le processus d’écriture est-il alors différent pour vous ?
Oui. Mia et moi avions déjà collaboré sur X et sur Maxine et Pearl en tant que personnages. Je n’avais pas beaucoup réfléchi à l’histoire de Pearl. Dans X, on n’apprend pas grand-chose sur son passé. Mais je voulais des réponses. Mia m’a posé des questions sur le personnage. J’ai pu lui donner des informations. Grâce à cela, nous avons collaboré à la construction de Pearl en tant que personnage pour l’aider dans sa performance dans X. Et quand la réalité a commencé à s’imposer, à savoir que nous pouvions peut-être faire un deuxième film, j’ai senti qu’elle était Pearl. Il ne pouvait y avoir de film sans elle. Nous avons collaboré sur le scénario de Pearl dès sa conception, ce qui n’était pas le cas pour X, car je ne connaissais pas Mia à l’époque. Mais comme nous parlions tous les jours de Pearl, du point de vue de la performance, quand il s’est agi d’écrire l’histoire de Pearl, j’ai pensé que nous devions le faire ensemble.
Crédit photos : © Capelight Pictures OHG / Christopher Moss
Article paru dans L’Ecran fantastique reboot – N° 21 – Novembre 2022