Dans The Fabelmans, Steven Spielberg révèle ce qui l’a poussé à devenir réalisateur. Portrait du jeune artiste qu’il était, son film est également un récit initiatique et un drame familial intime où il rend hommage à ses parents. The Fabelmans sort en salles ce 22 février.
Rencontre avec un scénariste…
“La plupart de mes films font écho à des événements qui me sont arrivés au cours de mes années d’apprentissage,” remarque Steven Spielberg. “Dès qu’un cinéaste s’attaque à un projet, il parle forcément de lui d’une manière ou d’une autre, qu’il le veuille ou non. Même s’il n’en a pas écrit le scénario. C’est comme ça. Mais avec The Fabelmans, ce n’était pas seulement métaphorique car l’histoire s’inspire directement de mes souvenirs.”
Le cinéaste songe à ce film depuis longtemps. Cependant, il n’a pas envisagé de s’y atteler sérieusement avant de nouer une forte complicité avec le dramaturge et scénariste Tony Kushner. “Je n’aurais pas été capable de coécrire ce film sans quelqu’un que j’aime, admire et respecte autant que Tony Kushner,” reprend le réalisateur. “La seule chose qui comptait, c’était que je puisse me livrer à quelqu’un, que je puisse tout déballer, pour ainsi dire, sans jamais ressentir de gêne ou de honte.”
Steven Spielberg et Tony Kushner se sont rencontrés en collaborant sur Munich (2005). Un soir, pendant le tournage à Malte, le scénariste a demandé au cinéaste à quel moment il avait décidé de devenir réalisateur. En réponse, Steven Spielberg lui a narré son histoire. Le dramaturge lui a alors lancé qu’il devait absolument en faire un film. Et le metteur en scène lui a répliqué : “En réalité, j’y pense de temps en temps…”.
… et un thérapeute
La conversation entre Steven Spielberg et Tony Kushner s’est poursuivie au fil des années. Ils ont aussi collaboré sur d’autres projets comme Lincoln (2012) et West Side Story (2021). Pendant seize ans, les deux hommes se sont parlé et ont organisé des séances d’écriture. Autant d’échanges que le cinéaste qualifie, en plaisantant à moitié, de “thérapie”.
Après West Side Story, Steven Spielberg a ressenti une forme d’urgence à finaliser le scénario de The Fabelmans. Il avait déjà perdu sa mère en 2017 et l’état de santé de son père se dégradait. La pandémie a alors frappé. “Tandis que la situation sanitaire empirait en 2020, je me demandais ce que je souhaiterais laisser derrière moi et à quelle problématique centrale je voulais absolument m’attaquer,” souligne le réalisateur. Son père est décédé en août 2020. Grâce à des rendez-vous via Zoom, Steven Spielberg a confié d’autres souvenirs à Tony Kushner. “Tony était, en quelque sorte, mon thérapeute et j’étais son patient,” relève le metteur en scène. “Je lui parlais très longuement. Il me relançait avec ses questions et m’aidait à aller jusqu’au bout.”
“Steven était en deuil, et à mon sens, c’était pour lui une manière d’affronter la souffrance et la perte de son père,” renchérit Tony Kushner. “Je me disais que même s’il n’en ressortait rien, c’était une formidable expérience.” Ils ont achevé la première mouture du scénario de The Fabelmans en décembre 2020.
The Fabelmans ou la famille Spielberg
Chez les Fabelman, Sammy (interprété par Mateo Zoryan quand il est enfant puis par Gabriel LaBelle quand il est adolescent) est Steven Spielberg ; Mitzi Fabelman (Michelle Williams) sa maman Leah Adler ; Burt Fabelman (Paul Dano) son papa Arnold Spielberg ; Reggie (Birdie Borria puis Julia Butters), Natalie (Alina Brace puis Keeley Karsten) et Lisa (Sophia Kopera) ses sœurs Anne, Sue et Nancy.
Dans The Fabelmans, Steven Spielberg montre que les valeurs et la personnalité de ses parents – son père, concepteur d’ordinateurs visionnaire et brillant scientifique, et sa mère, musicienne de talent et artiste passionnée – ont façonné son caractère et son identité artistique. Il raconte le drame des déménagements successifs de sa famille – du New Jersey en Arizona, puis de l’Arizona en Californie – à l’époque où il était adolescent. Enfin, il dévoile un lourd secret – la raison pour laquelle le couple de ses parents a vacillé, puis a fini par divorcer – et à quel point la souffrance née de cette révélation, tout comme les enseignements qu’il en a retirés, ont marqué sa vision des gens et de son approche de la fiction.
Fabelman : un patronyme judicieusement choisi
Steven Spielberg a trouvé le prénom du personnage qui le représentait – Sammy – mais aussi à celui de sa mère – Mitzi –, de son père – Burt – et de ses sœurs – Reggie, Natalie, Lisa. Tony Kushner a eu l’idée de Fabelman pour le nom de famille. En réfléchissant à la traduction de Spielberg (“montagne de jeu” en allemand) et à son propre rapport au scénario, le dramaturge a choisi le terme théâtral germanique “fabel”, qui désigne une analyse critique de l’intrigue d’une pièce de théâtre. Traduit en anglais, “fabel” veut aussi dire “fable”. A peu de chose près, Fabelman pourrait se traduire par “homme à fables”…
L’histoire d’une famille
Si chacune des scènes s’inspire de l’enfance du cinéaste et explore des enjeux intimes, The Fabelmans s’avère une fable universelle autour des êtres humains – famille, amis, communauté – qui cherchent à s’assumer tels qu’ils sont et à s’aimer. “Je ne voulais pas raconter une histoire qui ne concerne que moi,” reconnaît Steven Spielberg. “Je voulais que l’histoire résonne de manière collective afin que les spectateurs puissent reconnaître leur propre famille dans le film. Car il s’agit d’une histoire familiale qui parle des parents, des fratries, du harcèlement, des bonnes et des mauvaises choses qui se passent quand on grandit dans une famille qui reste unie… jusqu’au moment où elle ne l’est plus. Et c’est une histoire qui parle du pardon et de l’importance du pardon.”
Par ailleurs, Steven Spielberg estime que The Fabelmans résonne autant pour lui que pour Tony Kushner. L’intrigue s’est en effet nourrie de leurs parcours respectifs, de leurs centres d’intérêt intellectuels et de leurs questionnements éthiques communs. C’est ainsi que la famille Fabelman est emblématique des familles juives américaines des années 50 et 60. “Si on s’est aussi bien entendus à l’époque de Munich, c’est que nous avons tous les deux un rapport très profond et très affectif au judaïsme,” affirme Tony Kushner. “Cette dimension a imprégné le récit – l’histoire d’une famille juive. Les Fabelman assument avec fierté et avec simplicité leurs origines.”
Deux événements déterminants
Le récit que Steven Spielberg a donné à Tony Kushner sur le plateau de Munich commence un jour de 1952. Il a 6 ans et il découvre Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille au Fox Theater de Philadelphie. Il est tellement émerveillé par le film que sa réaction, viscérale, le poussera à devenir réalisateur.
A l’adolescence, tandis que sa passion pour le cinéma ne fait que croître, Steven Spielberg est marqué par sa rencontre avec John Ford. Le réalisateur légendaire donnera au jeune homme quelques conseils, simples et judicieux.
The Fabelmans : un tournage émouvant
“Je me suis promis que je resterais professionnel,” rapporte le réalisateur évoquant le tournage de The Fabelmans. “Il fallait que je conserve une distance avec le sujet du film. Mais c’était difficile. Le récit ne cessait de me ramener à de véritables souvenirs. C’était à la fois délirant et étrange de reconstituer des événements qui m’étaient vraiment arrivés et de les voir se dérouler sous mes yeux. Je n’avais jamais vécu une telle expérience.” Son équipe s’est tout de suite montrée compréhensive. “Steven oubliait de dire ‘Coupez !’ parce qu’il était totalement plongé dans la scène,”explique la productrice Kristie Macosko Krieger. “Il avait besoin de reprendre ses esprits. On faisait tous en sorte qu’il puisse prendre un moment, rien que pour lui.”
Le décor du premier jour du tournage était la reconstitution de la maison familiale de Steven Spielberg à Phoenix, en Arizona. “Quand j’ai débarqué sur le plateau, il a vraiment fallu que je prenne sur moi,” témoigne le cinéaste. “J’ai arpenté les pièces, seul, avec une boule dans la gorge. Je suis ressorti du décor. Je me suis préparé pour la première prise. Les acteurs se sont mis en place. Michelle Williams portait la copie conforme des vêtements préférés de ma mère. Paul Dano ressemblait à mon père à s’y méprendre. J’ai regardé Paul et Michelle, ensemble. A un moment , j’ai eu l’impression que la scène se déroulait au ralenti. En les regardant tous les deux, je ne voyais plus Michelle ou Paul. Je voyais ma mère et mon père. J’ai un peu perdu pied. Michelle et Paul ont été adorables. Ils sont venus me voir, m’ont pris dans leurs bras et on s’est serrés très fort. C’était le début d’une très belle amitié.”
Des reconstitutions améliorées pour The Fabelmans
Pour The Fabelmans, Steven Spielberg maniait lui-même la caméra 8 mm afin de tourner des images des petits films amateurs de Sammy The Last Gunfight et Escape to Nowhere. “C’était vraiment génial de pouvoir se replonger dans ces souvenirs avec une véritable caméra 8 mm à la main,” s’enthousiasme le réalisateur. Il admet que la qualité des films de Sammy dans The Fabelmans est largement supérieure à celle de ses réalisations de l’époque. “J’aurais aimé pouvoir reproduire mes films 8 mm avec le même côté amateur qui me caractérisait quand j’étais ado,” avoue-t-il, “mais je n’ai pas pu résister à l’envie de rechercher un meilleur emplacement pour ma caméra, en 2021, au moment où j’ai tourné le film, que celui que j’avais trouvé en 1961. C’était plus fort que moi.”
Crédit photos : © Universal Pictures / Amblin Entertainment