En matière de rictus sinistre, le Joker et Ça ont un nouveau rival tout aussi terrifiant que mortel, une entité maléfique à découvrir dans le bien nommé Smile. Le premier long-métrage de Parker Finn sort en salles ce 28 septembre.
Parker Finn, réalisateur, scénariste et cinéaste inspiré
Ses deux courts-métrages, The Hidebehind (2018) et Laura Hasn’t Slept (2020), ont connu un certain succès dans les festivals et ont attiré l’attention des studios hollywoodiens. En l’occurrence Paramount qui donne à Parker Finn l’occasion de réaliser son premier long-métrage, Smile. Le jeune réalisateur américain, fasciné par les ténors du cinéma d’horreur anglo-saxon et japonais, s’est inspiré de Laura Hasn’t Slept pour entrer dans la cour des grands. Il entend bien terroriser tout le monde avec juste un sourire.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Que faisiez-vous avant vos deux courts métrages, The Hidebehind et Laura Hasn’t Slept ?
Parker Finn : Après l’école de cinéma de Chapman University, en Californie du Sud, j’ai fait une série de petits boulots. Parallèlement, j’écrivais et je réalisais des petits films plutôt confidentiels. Puis, j’ai mis en scène ces deux courts-métrages que vous citez et qui ont été diffusés de façon plus publique. En fait, j’ai passé beaucoup d’années à écrire et à travailler dur en tant que cinéaste en galère. (Sourire)
Pourquoi êtes-vous devenu réalisateur ?
Le cinéma m’obsédait quand j’étais enfant. Mon père était cinéphile. Ma mère était prof, elle m’a donné l’amour de la lecture. Les livres et les films ont donc occupé une place importante dans mon enfance. Mais quand j’étais très jeune, je ne comprenais pas vraiment comment les films étaient faits. C’est comme s’ils m’étaient transmis, tout fait, par magie. Ce n’est que vers 10 ou 11 ans que je me suis rendu compte que des gens créaient ces films. Et je me suis dit : “Wow, s’il y a une chose que je veux faire dans ma vie, c’est ça!”. Il me fallait juste trouver comment. J’ai grandi dans l’Ohio, près de Cleveland. Je me suis alors creuser la tête pour aller à Hollywood afin de faire des films.
Qu’est-ce qui vous a mené au genre de l’horreur ?
Quand j’étais enfant, j’ai vraiment été marqué par l’horreur. Certaines de mes premières expériences cinématographiques les plus frappantes ont été des films d’horreur, des choses qui m’ont vraiment affecté et qui sont restées en moi. Et même si je pense que j’avais vraiment peur quand j’étais enfant, à un moment donné, cette peur s’est transformée en un sentiment d’attraction. Je me suis passionné pour les différentes façons dont je pouvais être effrayé. J’ai aussi grandi en lisant le magazine “Fangoria” et les effets spéciaux m’obsédaient. J’adore les effets spéciaux mécaniques. Je suis fasciné par la façon dont ils sont réalisés. J’aime les films qui sont bricolés et artisanaux, je sens une vraie connexion avec eux. C’est ma ligne de conduite dans mon propre travail, je fais de l’artisanal et du sur mesure.
L’horreur de ne pas être cru
Quelles sont vos principales influences dans le genre de l’horreur ?
Stanley Kubrick est sans aucun doute l’un de mes cinéastes préférés et Shining est l’un de mes films favoris de tous les temps – mais j’adore tout ce qu’il a fait. En grandissant, j’ai vraiment aimé Ridley Scott, Sam Raimi, Wes Craven, John Carpenter. Quand j’ai découvert l’horreur japonaise, c’était avec Hideo Nakata qui a fait Ringu ou encore Kiyoshi Kurosawa qui a fait Cure. Certains de ces cinéastes ont eu une immense influence sur moi. J’ai l’impression que tout ceci a créé comme une bibliothèque pour mon inspiration vers laquelle je m’efforce toujours de tendre.
Le postulat de Laura Hasn’t Slept [une jeune femme pense mourir si elle voit le visage de l’entité qui la poursuit dans ses cauchemars] fait penser aux Griffes de la nuit. D’où vient l’idée de votre court métrage ?
J’ai aussi adoré Les griffes de la nuit. C’était un film sensationnel pour moi quand j’étais enfant. L’idée du court-métrage Laura Hasn’t Slept émane de deux choses. Quand on fait un mauvais rêve ou un cauchemar et que l’on se réveille soudainement, on se retrouve avec un sentiment de panique ou d’affliction. Et même après quelques minutes ou quelques heures, voire après toute une journée, pour une raison ou une autre, même si l’on sait que ce n’était qu’un rêve, ce sentiment reste en nous. Je voulais savoir si je pouvais recueillir ce sentiment et le mettre à l’écran de manière efficace.
En même temps, je voulais l’associer à l’idée que si on est hanté par une chose surnaturelle et maléfique, et que si on essaie de comprendre d’où ça vient – et même si on comprend personnellement d’où ça vient -, les gens autour de nous peuvent ne pas nous croire ou penser que c’est autre chose que du surnaturel. J’étais curieux de voir ce que cela donnerait d’essayer d’expliquer à quelqu’un ce que l’on traverse et ne pas être cru.
Le court métrage m’a vraiment servi de tremplin pour Smile. J’étais en postproduction du court-métrage quand j’ai eu l’idée du long. L’ADN et des thèmes du court-métrage se retrouvent dans Smile, mais ce dernier est aussi un film à part entière. J’aime me lancer des défis et je voulais m’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une simple reprise du court-métrage. Je pense que le film surprendra vraiment les spectateurs. Une des autres connexions avec Smile est la présence de Caitlin Stasey, l’actrice de Laura Hasn’t Slept.
Quel a été votre processus pour transformer le court-métrage en long-métrage ? Qu’avez-vous choisi de garder, d’ajouter, de changer ?
Je commence toujours par les personnages. Mon travail est avant tout axé sur les personnages. J’ai ressenti l’idée de ce film à travers les protagonistes. Je voulais aussi raconter une histoire captivante et dramatique. Les films d’horreur doivent réussir d’abord en tant que drame humain, avant d’introduire les éléments d’horreur. L’histoire m’intéressait vraiment, celle du Dr Rose Cotter, jouée par Sosie Bacon [la fille de Kevin Bacon et Kyra Sedgwick], qui vit quelque chose de terrifiant sans pouvoir expliquer ou définir d’où cela vient. Elle sait que c’est réel mais elle n’arrive pas à faire comprendre aux gens ce qu’elle vit. J’ai repris cette histoire et j’ai intégré les éléments du court-métrage qui avaient réellement effrayé le public, comme l’utilisation d’un sourire pour représenter le mal et ce sentiment d’être poursuivi ou hanté par quelque chose qui se trouve à l’intérieur de soi.
Dans le domaine de l’horreur, un réalisateur peut chercher à juste effrayer les spectateurs ou à donner un sens plus profond ou métaphorique à son histoire. Qu’en est-il de Smile ?
J’aime à penser que Smile fait les deux. L’histoire est complexe et j’ai essayé d’y intégrer des métaphores et des parallèles très intéressants. J’ai hâte que le public découvre tout ça en voyant le film. J’ai aussi voulu construire le film comme un mystère mais Smile est avant tout profondément psychologique. En même temps, il comporte des moments choquants et viscéraux. Il possède de grands moments de terreur qui, je l’espère, feront bondir les spectateurs de leur siège et les feront hurler. Smile s’appuie également sur certain thèmes et sur ce sentiment insidieux de crainte et de malaise qui, si j’ai bien fait mon travail, restera présent dans l’esprit des spectateurs longtemps après le générique.
La construction de la terreur
Le personnage principal étant une psychiatre, le thème des troubles mentaux semble incontournable.
Smile n’est pas un commentaire sur la santé mentale. Cependant c’est un thème qui, bien sûr, le traverse. Je souhaitais étudier ce qu’il y a dans nos têtes, et comment cela peut façonner nos expériences, notre réalité et notre perception. Et puis, je pense que le fait de ne pas être cru est une peur identifiable et très universelle qui convenait parfaitement à l’histoire. C’est la direction que je voulais prendre.
Le scénario d’un court métrage est toujours très concis. Certains réalisateurs parviennent parfois à mieux atteindre leurs objectifs en 10 minutes qu’en 1h30. Avez-vous cette crainte de vous éparpiller dans un long-métrage ? De ne pas réussir dans un long ce que vous avez réussi dans un court ?
Mon Dieu, oui. J’aime à espérer que j’ai aussi bien réussi. Smile a un rythme très effréné, il est riche en événements. Le court-métrage était construit autour d’une peur centrale, alors que Smile est rempli de toutes sortes de peurs différentes qui, je l’espère, vont vraiment choquer et surprendre les spectateurs. Si j’ai bien fait mon travail, ils ne seront pas capables de deviner quelle sera le prochain moment de terreur. C’était important pour moi, quand j’ai commencé à réaliser ce film, de ne pas me reposer sur un seul concept. Il y a beaucoup de choses à découvrir dans le film pour le public. Smile possède toute une réserve de peur et j’espère que personne n’y est préparé, que personne ne la verra arriver.
Comment construisez-vous la peur ?
Cela dépend du type de peur. Personnellement, un film d’horreur peine à me faire peur si je ne suis pas profondément investi dans le personnage. Je m’assure donc que le public se retrouve vraiment dans la peau du protagoniste. Puis, il s’agit d’anticiper ce qu’il attend comme peur. Aujourd’hui, les spectateurs sont très intelligents, très connaisseurs. Ils ont vu beaucoup de films d’horreur. Je me demande toujours, en tant que spectateur, d’où va surgir la peur. J’essaye alors d’aller à contre-courant, de couper l’herbe sous le pied du public et de faire quelque chose d’incroyablement inattendu. La peur doit également être authentique et faire partie intégrante de l’histoire. Je n’aime pas les fausses frayeurs, les trucs bon marché. Je ne veux jamais tromper le public. Il faut que la peur et la terreur qu’ils ressentent soient authentiques, que le film les embarque dans l’histoire et ne les lâche plus.
Si le personnage a autant d’importance pour vous, son interprète est donc primordial. Pourquoi avez-vous choisi Sosie Bacon pour le rôle principal ?
Dès le début, j’ai toujours su que le rôle de Rose était incroyablement difficile, qu’il nécessiterait une actrice très spécifique. Le film entier dépend de sa performance. Quand j’ai rencontré Sosie, j’ai découvert que non seulement nous avions de nombreux goûts communs en matière de cinéma, mais qu’en plus, elle cherchait un vrai défi. Elle voulait faire quelque chose qui lui fasse vraiment peur. Cela m’a inspiré.
Rose est une actrice extraordinaire. Je pense qu’elle a donné l’une des performances les plus stupéfiantes du cinéma récent. J’ai hâte que les gens la voient. Mais ce qui est vraiment incroyable chez elle, c’est qu’elle est très intuitive sur le plan émotionnel et qu’elle sait comment séduire le public de manière très nuancée. Quand le personnage commence à vivre ces choses vraiment effrayantes, le public est là. Nous ressentons chaque petite parcelle d’émotion et de nuance. Psychologiquement, elle a dû aller dans des coins de son esprit de façon vraiment, vraiment intense. Sa performance est hors du commun. Elle s’est livrée d’une manière vraiment incroyable.
Un rictus malveillant
N’avez jamais pensé à Caitlin Stasey pour le personnage principal ?
Caitlin n’interprète pas le même personnage que dans Laura Hasn’t Slept mais je voulais créer un parallèle avec son personnage du court-métrage. Caitlin est incroyable. C’est une actrice extraordinaire qui peut faire des choses étonnantes. Quand j’ai écrit le script de Smile, je savais que je ne voulais personne d’autre pour jouer ce rôle. Je l’ai écrit spécifiquement pour Caitlyn. Elle doit faire des choses incroyablement difficiles dans le film. J’aime écrire une tâche impossible pour les acteurs et ensuite les convaincre qu’ils peuvent le faire. Quand les spectateurs verront la performance de Caitlyn dans Smile, je pense qu’ils en auront littéralement le souffle coupé.
Quand je pense à un sourire dans un film d’horreur, je pense à Ça et au Joker. Comment avez-vous créé votre propre sourire ? Un sourire unique pour Smile ?
J’ai choisi d’utiliser un sourire pour représenter le mal dans le film parce que je pense qu’il y a une force dans sa contradiction. Les sourires sont censés être une expression de chaleur, d’amabilité et de gentillesse. C’est un geste très primitif pour nous, les êtres humains. Nous sourions naturellement quand nous sommes bébés, avant même d’apprendre à parler. Je voulais donc voir si je pouvais renverser la situation et utiliser le sourire comme le masque du mal. Que ce rictus représente quelque chose de dangereux et de malveillant, et la promesse d’une menace.
Pour l’exécution du sourire de Smile, c’était très important de ne pas utiliser d’effets spéciaux numériques. Je voulais qu’il s’agisse d’un vrai sourire humain. J’ai commencé par travailler seul devant le miroir, en essayant de trouver le concept de ce sourire. Puis, j’ai travaillé avec les acteurs jusqu’à ce qu’ils parviennent à recréer ce sourire. Ensuite, j’ai déterminé le cadrage adéquat, le contexte des scènes, l’environnement des personnages et tous les autres éléments de la réalisation comme le son, la musique, etc. afin de créer ces moments vraiment sinistres et étranges liés au sourire qui, je l’espère, mettront tout le monde incroyablement mal à l’aise. (Rires)
La bande-annonce de Smile m’a fait penser au Cercle. On y voit des gens arborer un sourire inquiétant quelques jours après avoir vu une mystérieuse entité puis meurent une semaine après.
J’aime autant Ringu d’Hideo Nakata que Le cercle de Gore Verbinski, mais j’avais aussi beaucoup d’autres films d’horreur japonais en tête. Ce que l’horreur japonaise fait si bien, ce sont ces histoires virales, très effrayantes, d’un autre monde, qui ressemblent presque à des malédictions. Je voulais prendre certaines des idées de Smile et voir si je pouvais créer une histoire qui ressemblerait à une légende urbaine que vous avez toujours connue et à laquelle vous êtres soudainement confronté.
La bande-annonce est très impressionnante. N’avez-vous pas peur d’en montrer trop et de gâcher la surprise ? Je pense surtout au dernier plan avec la tête devant la portière de la voiture que je trouve génial. Mais je suis d’avance déçue car je n’aurai pas la même réaction en voyant la scène dans le film.
Une bande-annonce est un défi permanent entre préserver le plus possible l’histoire du film et appâter suffisamment le public pour lui donner envie de le voir. C’est toujours un dilemme. Mais je suis heureux d’affirmer qu’il y a une tonne de surprises dans Smile qui ne sont pas dans la bande-annonce et qui, je pense, vont vraiment étonner les spectateurs car ils ne les auront jamais vues auparavant. La bande-annonce n’est vraiment qu’un avant-goût de ce qui vous attend.
Crédit photos : © Paramount Pictures
Article paru dans L’Ecran fantastique reboot – N°20 – Septembre 2022