Elvis s’attache à raconter la vie et l’œuvre du chanteur et acteur Elvis Presley à travers le prisme de ses rapports complexes avec son mystérieux imprésario, le colonel Tom Parker. Adoptant le point de vue de ce dernier, le biopic explore plus de vingt ans de relations tourmentées entre les deux hommes, de l’ascension fulgurante du jeune artiste à son statut de star mondiale. Elvis sort en salles ce 22 juin 2022.
Baz Luhrmann et Elvis Presley
“Si ce film s’intitule Elvis, il s’agit tout autant de l’histoire du colonel Tom Parker,” prévient Baz Luhrmann. “Parker en est le narrateur – qui n’est pas toujours très fiable – et notre porte d’entrée dans l’univers d’Elvis Presley.” Le scénariste, réalisateur et producteur a mené des recherches approfondies sur le légendaire Elvis Presley. Il a découvert cette étrange association entre l’artiste envoûtant et le bonimenteur fascinant. Cette relation aide à mieux comprendre le parcours d’Elvis Presley – de chauffeur routier à l’homme le plus célèbre et le plus audacieux de la planète – et ses difficultés personnelles.
Pour incarner le légendaire Elvis Presley, Baz Luhrmann a cherché activement un acteur capable de restituer la gestuelle naturelle et les qualités vocales de cet artiste , mais aussi sa vulnérabilité. “J’avais entendu parler d’Austin Butler parce qu’il s’était fait remarquer à Broadway dans Le marchand de glace est passé, aux côtés de Denzel Washington,” explique le réalisateur. “J’ai ensuite reçu un appel de Denzel, que je ne connaissais pas, pour me dire à quel point ce jeune homme avait une éthique professionnelle qu’il n’avait encore jamais vue. Il a passé de nombreux essais caméra et participé à des ateliers de musique et d’art dramatique et, à l’issue de cette longue préparation, j’ai su sans le moindre doute que j’avais trouvé un acteur capable d’incarner l’esprit de l’une des plus grandes légendes du rock.”
Elvis Presley (Austin Butler)
C’est un jour de Noël, à Los Angeles, qu’Austin Butler (vu récemment dans The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch et Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino) s’est retrouvé à interpréter Blue Christmas d’Elvis Presley. “Deux semaines plus tard, j’étais au piano, chez moi, et je me suis mis à chanter d’autres titres d’Elvis,” raconte le jeune acteur. “Un bon ami à moi, qui était là, m’a pris par le bras et m’a dit ‘Tu devrais vraiment jouer Elvis’.”
Deux jours après, son agent l’a contacté pour lui annoncer que Baz Luhrmann préparait un film sur la légende du rock. “J’y ai vu comme un signe et j’ai senti qu’il fallait que je lâche tout ce que j’étais en train de faire pour décrocher le rôle. Je suis devenu totalement obsédé par l’univers d’Elvis. J’ai lu et visionné tout ce que je pouvais sur sa vie, ses amis, ses relations. Je n’écoutais plus que sa musique. Avant même les auditions, j’ai envoyé à Baz une vidéo où je jouais au piano et chantais Unchained Melody.”
Quand il a enfin pu rencontrer Baz Luhrmann, tous deux se sont parfaitement entendus. Leur préparation s’est étalée sur plusieurs mois, jusqu’à l’essai caméra. “J’avais préparé trois chansons,” raconte Austin Butler. “Mais Baz les a changées au dernier moment. J’ai donc dû interpréter trois titres que je n’avais pas répétés. Je suis convaincu que c’était un test pour voir comment j’allais m’en sortir sous la pression. A l’époque, j’ai cru que je m’étais totalement planté.” Quelques jours plus tard, il a appris qu’il avait le rôle. “J’ai alors senti la responsabilité qui m’incombait. J’étais constamment angoissé. Je tenais à être à la hauteur du personnage, de sa famille, et à lui rendre hommage. C’était difficile de ne pas avoir l’impression d’être comme un gamin qui flotte dans le costume de son père, comme si je portais de grosses chaussures avec lesquelles je pouvais à peine marcher.”
Pour s’approprier l’allure physique d’Elvis, Austin Butler a travaillé avec la coach de mouvement Polly Bennett avant et pendant le tournage. Il a appris sa gestuelle et compris ce qui poussait Elvis Presley à bouger comme il le faisait. Il a également travaillé avec plusieurs coachs vocaux pour parler et chanter comme Elvis Presley, d’une voix qui a changé au fil des années.
Parallèlement au rocker adulé, Austin Butler a aussi dû trouver le Elvis Presley triste, assis à son piano, entonnant Are You Lonesome Tonight. “Il fallait qu’il révèle l’Elvis intime et, surtout, l’humanité et la spiritualité du personnage,” souligne Baz Luhrmann. “Si j’ai le plus grand respect pour les artistes qui rendent hommage à l’un des leurs, il s’agissait ici d’une tout autre approche : il s’agit d’un acteur qui livre une interprétation à travers les chansons au lieu d’imiter un artiste de légende.”
Le réalisateur a travaillé à la fois avec la voix d’Austin Butler et celle d’Elvis Presley. “Les chansons de la période antérieure aux années 60 sont interprétées par Butler, même si, par moments, on utilise un mélange de sa voix et de celle d’Elvis,” précise-t-il. “Mais pour la deuxième partie de la carrière d’Elvis – avec ses concerts gigantesques et légendaires – on a utilisé ses propres enregistrements.”
Colonel Tom Parker (Tom Hanks)
“Le Colonel Tom Parker était à la fois un génie et une crapule,” sourit Tom Hanks qui l’interprète. “C’était un type très discipliné mais il valait mieux recompter ses billets dans son portefeuille après l’avoir croisé …” Dans le film, le parcours d’Elvis commence vraiment lorsqu’il est repéré au cours de son premier concert public par celui qui allait devenir son imprésario, le colonel Tom Parker.
Elvis débute avec un Tom Parker âgé, vers la fin de sa vie, car le film se présente comme le récit de ses souvenirs aux côtés de l’artiste. Le personnage nous avertit qu’on pourrait le prendre pour “le méchant de l’histoire”. Ce n’est pas faux. “Le colonel parle la langue des forains [il a bâti sa carrière grâce aux foires aux monstres avant de se lancer dans les kermesses de musique country, ndlr] et c’est le roi de l’enfumage,” révèle Baz Luhrmann. “Il cache la réalité aux gens, mais d’une manière qui les enthousiasme. Ils aiment qu’on les arnaque. Ils sont même prêts à payer pour ça. Ces gens sont conscients qu’on les floue et qu’on les balade, mais sur le coup, cela leur permet de croire à quelque chose et ils aiment ça. C’est une manipulation psychologique et affective. C’est ça, être le roi de l’enfumage.”
“Il se moque pas mal de la musique,” poursuit le réalisateur. “De son propre aveu, il n’a pas l’oreille musicale. En revanche, il voit comment Elvis électrise le public et se rend compte qu’il va lui assurer sa fortune. Et c’est exactement ce qui se passe – en dépassant les rêves les plus fous de Parker. A eux deux, ils transforment le pays, la pop-culture et le monde.”
Pour se documenter sur son personnage, Tom Hanks s’est entretenu avec Priscilla Presley. “Je m’attendais à ce qu’elle me dise à quel point elle s’était méfiée du colonel Tom Parker au cours de toutes ces années,” avoue-t-il. “Et elle m’a dit ‘C’était un homme merveilleux, et j’aimerais qu’il soit encore en vie aujourd’hui. Il s’est très bien occupé de nous. C’était une crapule à sa façon’.” “Tom excelle à camper des êtres qu’on aime et qu’on admire, tout comme il est admiré dans la vie,” constate Baz Luhrmann. “Mais, en tant qu’acteur, il a aussi envie de se frotter à d’autres registres. Il a rarement eu l’occasion d’aller vers sa part d’ombre et d’incarner un sale type. Le genre de mec avec qui on n’a pas franchement envie de boire un verre. Je crois qu’il était très content d’interpréter ce personnage qui n’est pas particulièrement aimable.”
Priscilla Presley (Olivia DeJonge)
Au cours du développement du projet, Baz Luhrmann a notamment sollicité Priscilla Presley. Pour le réalisateur, le fait qu’elle adoube le projet était précieux et sa représentation à l’écran décisive. “Tout comme on ne voulait pas qu’Austin imite Elvis, on ne voulait pas d’une comédienne qui se livre à une imitation de Priscilla,” affirme-t-il. “Priscilla s’est montrée extrêmement généreuse. Je l’ai rencontrée à plusieurs reprises. C’était très délicat de l’incarner dans le film parce que c’était une icône à part entière. Et pourtant, elle a toujours été au centre de la vie d’Elvis. Même si elle a son propre parcours et qu’elle a accompli des choses importantes, elle a été très bénéfique pour le nom des Presley et leur héritage.” Le réalisateur a choisi Olivia DeJonge pour l’incarner car comme Priscilla Presmey, l’actrice est “une femme d’une grande assurance”.
“Pour moi, Priscilla aimait profondément cet homme,” explique la comédienne. “En raison de ses tournées et de ses obligations professionnelles, il était le plus souvent loin d’elle. Je me suis demandé comment j’aurais réagi si j’avais été à sa place. Je crois que Priscilla a fait passer Elvis en premier pendant très longtemps. Elle l’aimait de tout son cœur et elle s’est occupée de lui comme personne. Elle était toujours là pour lui. Au départ, elle a cherché à incarner tout ce qu’Elvis attendait d’une femme. Puis, elle a affirmé sa singularité et compris que sa vie auprès d’Elvis n’était plus le genre d’existence auquel elle aspirait… Même si elle n’a jamais cessé de l’aimer.”
“C’est une jeune femme brillante qui tombe amoureuse et qui, brusquement, est projetée dans la vie chaotique d’Elvis,” renchérit Olivia DeJonge. “Elle incarne souvent la seule voie de la raison au milieu de tout ce chaos. Elle est mariée à l’homme le plus célèbre au monde. Au fil du temps, leur couple est mis à l’épreuve. Elle est aussi mise à l’épreuve, en tant qu’épouse et en tant que mère.”
Pour se documenter sur le personnage, la jeune actrice s’est appuyée sur le livre de Priscilla, Elvis et moi, et lu ceux qui lui ont été consacrés. Elle a également visionné ses interviews et les petits films amateurs où on la voit avec Elvis. “J’ai voulu m’imprégner du personnage autant que possible. Et puis, j’ai fait le tri dans toute cette matière pour en retenir les éléments les plus utiles à l’histoire. Dans le film – et, à mon avis, dans la vie –, elle était comme un pôle de stabilité pour Elvis, un ballon d’oxygène qui permet de rééquilibrer une existence totalement déjantée.”
Graceland
Les chef décoratrices Catherine Martin et Karen Murphy ont tenté de reconstituer Graceland à certaines époques aussi précisément que possible. “Pour autant, on n’était pas en train de tourner un documentaire,” remarque Catherine Martin. “Et, bien entendu, le point de vue du film est particulier puisque l’histoire est racontée par le colonel Tom Parker. Il ne s’agissait pas d’une reconstitution ultra-détaillée de la vie d’Elvis et de son univers, car il y a non seulement le regard de Baz Luhrmann, mais celui de Tom Parker. C’est lui qui raconte l’histoire. On ne voit donc à l’écran que ses souvenirs de sa collaboration avec le King.” Cependant, Graceland ayant été conservé en l’état depuis la mort d’Elvis Presley, les fans et les touristes ont une idée précise du site.
Ainsi, tous les détails architecturaux s’inspirent de plans auxquels l’équipe déco a eu accès grâce à la fondation Graceland et la directrice des archives Angie Marchese et son équipe. “Pour nous, Graceland incarnait symboliquement la réussite d’Elvis,” continue la chef décoratrice. “On l’aperçoit de l’extérieur quand il y débarque avec ses parents après l’avoir achetée. Ensuite, on en découvre l’intérieur. La décoration est telle qu’elle était au moment où Elvis a acquis la maison. Par exemple, à l’emménagement, elle avait du parquet. Il a été entièrement recouvert de moquette rouge par la suite. Il était essentiel de montrer ce changement. Puis, dans les années 60 et 70, plusieurs altérations de décoration sont intervenues. Baz considérait très important de montrer la propriété telle qu’on peut la découvrir aujourd’hui car c’est l’image qu’on en a à l’heure actuelle.”
La reconstitution mêle des matériaux anciens et récents. Il était impossible pour la production d’acheter tous les meubles des années 50 dont le film avait besoin. L’équipe déco a donc fabriqué de nombreux éléments en plus des accessoires trouvés chez des brocanteurs. Il a fallu dix semaines pour construire l’extérieur de Graceland. En raison du confinement lié à la pandémie, le décor est resté protégé sous une bâche en plastique pendant près d’un an. Toute la végétation a dû être déplacée et conservée en lieu sûr. Elle a été arrosée et entretenue pendant l’interruption du tournage, comme les pelouses autour de la propriété.
La Cadillac rose
Le directeur artistique en chef Damien Drew a supervisé l’acquisition de plus de 300 automobiles et motos pour Elvis, dont la fameuse Cadillac rose. “L’équipe de la fondation Graceland a été d’une aide précieuse,” indique-t-il. “Elle nous a fourni une liste exhaustive de toutes les voitures qu’a possédées Elvis au cours de son existence. Il était totalement obsessionnel en matière de voitures. Parfois, il les achetait pour une période limitée, puis les offrait à ses amis ou à ses proches. Il s’est acheté des motos très jeune. On a commencé par se renseigner sur les véhicules disponibles en Australie [le tournage s’est entièrement déroulé dans le Queensland, ndlr] et sur ce qu’on allait devoir acheter aux États-Unis.”
“Au départ, on craignait de ne pas trouver en Australie d’exemplaires des voitures les plus importantes avec le volant à gauche,” poursuit le directeur artistique. “Mais plus on avançait dans nos recherches, plus on réussissait à dénicher des véhicules d’un peu partout “Dans le Queensland, il y avait beaucoup de collectionneurs de voitures. Les gens avaient des véhicules à l’abri dans des hangars qu’on n’aurait même pas imaginé pouvoir obtenir. Au bout du compte, on a dû acheter seulement une quinzaine de véhicules. Et seuls six d’entre eux ont été acheminés des États-Unis. Les autres nous ont été prêtés par des collectionneurs australiens. La plupart étaient ravis de nous les prêter parce qu’ils savaient qu’on allait les remettre en état, les retapisser et les réparer. Et donc les valoriser.”
Les costumes iconiques d’Elvis
Le film couvre trois décennies : les années 50, 60 et 70. Austin Butler porte plus de 90 costumes différents, dont une grande sélection des célèbres combinaisons d’Elvis Presley.
Dans les années 50, le jeune homme achetait la plupart de ses vêtements de scène et de ville chez Lansky Bros., sur Beale Street, à Memphis. “Dans les années 50, Lansky Bros était vraiment la boutique où se fournissaient les artistes de la région pour avoir fière allure sur scène,” raconte Catherine Martin, également chef costumière. “Le magasin incarnait une certaine idée du style pour ces futures vedettes, y compris le jeune Elvis Presley. J’ai adoré discuter avec Hal et Julie Lansky. Ils perpétuent la tradition du magasin fondé par le père de Hal, Bernard.”
S’agissant des combinaisons, Catherine Martin et son équipe ont collaboré avec Kim et Butch Polston de B&K Enterprises à Charlestown, dans l’Indiana. Ces derniers ont fabriqué la réplique exacte du costume de scène emblématique d’Elvis Presley des années 70 avec la bénédiction du chef costumier d’Elvis Bill Belew. Grâce aux Polston, Catherine Martin a obtenu des combinaisons conçues de la même manière que les originales, apportant ainsi une touche d’authenticité supplémentaire au film.
Le maquillage FX étonnant
Austin Butler campe Elvis de 17 à 42 ans et a dû porter des prothèses de maquillage. “Pour la première partie de la vie d’Elvis, on devait parvenir à montrer les légères variations de poids et de structure osseuse qui jouent quand on passe de la vingtaine à la trentaine,” confie le concepteur de prothèses Mark Coulier. “Mais ce devait être subtil et pas trop marqué. Pour son concert final, Elvis est très gros et on ne l’a pas vu depuis un moment. Cette fois, on devait vraiment rendre le changement visible. Le public constate son surpoids mais également qu’il est en mauvaise santé. C’était là toute la difficulté.” Cette apparence finale a exigé 5 heures de maquillage.
“Quand on commence à voir la transformation, on se sent changé,” admet Austin Butler. “Lorsqu’on a plus de poids, on marche différemment, on respire différemment. Cela permet de mieux se glisser dans la peau du personnage. Le dernier concert d’Elvis est déchirant. On décèle le petit garçon derrière ce gros corps malade. On sait qu’il n’a vécu que peu de temps après ça. C’est très émouvant. Quand j’ai enfilé ce costume grossissant, cela me semblait vraiment très lourd. Puis on m’a installé dans la combinaison de scène et mes poumons étaient comprimés. Je ne pouvais que respirer de façon superficielle et j’avais vraiment très chaud. Ça donnait une sensation de claustrophobie. Cela m’a rendu profondément triste car Elvis ressentait sans doute la même chose. Il ne pouvait pas vraiment respirer et pourtant sa voix portait encore.”
Tom Hanks, de son côté, a subi une transformation plus radicale. L’acteur s’est cependant contenté de se raser le crâne et de patienter, confiant sa métamorphose à l’équipe coiffure et maquillage, sous l’œil du chef prothésiste Jason Baird. “Le point de départ de tout maquillage prosthétique réside dans la réalisation d’un moulage de la tête de l’acteur et d’un scan numérique de son corps,” détaille Jason Baird. “A partir de là, les prothèses du corps sont fabriquées avec des variations pour chaque version.”
Trois versions de Tom Parker existent dans le film en fonction de son âge. Tout d’abord, de 45 à 50 ans, au moment où il a découvert Elvis ; puis, quand il a atteint la soixantaine ; enfin, à l’âge de 87 ans, peu avant sa mort. “Pour le Parker d’une soixantaine d’années, il fallait qu’on épaississe le cou de Tom Hanks pour marquer le vieillissement. On lui a aussi changé sa perruque et on l’a affublé de taches de vieillesse supplémentaires. À 87 ans, il est très pâle et a l’air malade. On a appliqué de très nombreuses prothèses sur le visage de Tom. On lui a ajouté une perruque différente avec davantage de cheveux blancs, une prothèse dentaire, et davantage encore de taches de vieillesse et de bronzage. L’application totale pour les deux premières versions prenait 3h30 par jour, quotidiennement. La version la plus âgée, fantomatique, prenait environ 5 heures.”
“La plupart du temps, on voit le colonel Parker avec son manteau mais dans plusieurs scènes il est bras nus,” reprend Jason Baird. “On a donc pris des empreintes des bras de Tom et sculpté des épaississements pour les avant-bras et les biceps. Chaque jeu de prothèses nécessitait qu’on introduise des poils un par un dans les bras de silicone. cela a aussi pris du temps mais c’était essentiel par souci de réalisme.”
La mystérieuse couleur noir et blanc
Au cours du tournage, Baz Luhrmann a fait du “trainspotting”. “C’est la reconstitution exacte d’images d’événements existants,” explique Mandy Walker, la directrice de la photographie. Elle cite notamment le concert spécial d’Elvis en 1968, les concerts de Las Vegas et les émissions de Steve Allen et Milton Berle. “Il y avait tellement d’images d’archive disponibles que nous avons pu reproduire chaque événement avec précision : l’éclairage, les objectifs utilisés, les gros plans… C’était un vrai défi à relever.”
Dan Sasaki, qui dirige l’ingénierie optique chez Panavision, a créé deux jeux d’objectifs pour Elvis. “Tout d’abord, les objectifs utilisés jusqu’à ce qu’Elvis se rende à Las Vegas étaient du 65 mm ,” détaille Mandy Walker. “Ils donnent des teintes plus douces et moins de contrastes que des objectifs normaux. Et ils ont un rendu plus doux pour restituer l’idée d’un contexte historique ou faire référence à une époque passée. Puis, quand Elvis se rend à Vegas, on passe aux objectifs anamorphiques. Ils incarnent les années 70 avec leurs déformations de l’image caractéristiques. Ces lentilles ont été fabriquées spécialement pour nous et sont même ornées de petits Elvis. Elles apportent un peu plus de couleurs saturées et de contrastes. Du coup, quand le film passe d’une époque à l’autre, on ressent la transition. Cela permet au spectateur de mieux se projeter dans cette époque.”
Mandy Walker a également eu recours aux nouvelles technologies LED. “Tout le matériel était connecté à un variateur de lumière. Si on faisait pivoter la caméra, on pouvait aussi modifier l’éclairage en même temps. Je pouvais également changer les couleurs des éclairages rapidement, le tout à partir d’une tablette. On a même utilisé des lumières douces en LED, de 2,50 m de long. Elles rendaient une très belle lumière tamisée et pouvaient être dissimulées dans le plafond.”
La palette chromatique est spécifique à l’époque du film. La première partie de la vie d’Elvis à Memphis est, comme l’indique Baz Luhrmann, “en couleur noir et blanc”. C’est une référence au photographe Gordon Parks. Pour lui, les débuts de la photographie couleur étaient inscrits dans le noir et blanc. “La couleur noir et blanc est comme une version pastel de la couleur, mais avec un noir et blanc très contrasté,” précise Mandy Walker. “Je cherchais ce rendu pour les scènes de Beale Street. J’avais en tête les photographies de Gordon Parks quand on mettait au point les cadrages et les éclairages. On a reconstitué les images de cette époque de la vie d’Elvis que le public connaît bien.” “Les documents qu’on a étudiés très en amont ont permis de ne pas tomber dans une esthétique trop nostalgique mais d’évoquer l’époque de manière organique,” affirme Baz Luhrmann.
La musicalisation de Baz Luhrmann
Le réalisateur accorde autant d’importance à la musique qu’à la mise en scène, à la direction d’acteur et au cadrage. “Je considère que la partition, le scénario et le style visuel ne font qu’un,” déclare-t-il. “Ma collaboration avec l’équipe musicale est aussi forte que ma relation avec l’image. Sur Elvis, j’ai travaillé avec le superviseur musical Anton Monsted et le compositeur et producteur exécutif musical Eliott Wheeler. La partition, les dialogues et le script finissent par créer une symbiose. Ainsi, quand les acteurs se glissent dans mon univers, ils peuvent déjà le visualiser.”
“Il existe une ‘musicalisation’, même si je sais que c’est un néologisme,” continue Baz Luhrmann. “C’est une invention de ma part. Car pour moi, tous ces éléments s’animent à l’unisson. Je ne suis pas du genre à partir du scénario pour envisager la musique dans un deuxième temps. Celle-ci n’est pas à l’arrière-plan. Pour accéder au monde intime d’Elvis, il faut l’écouter chanter. Ce n’était pas quelqu’un de vraiment bavard mais lorsqu’il se mettait à chanter, on avait l’impression de le connaître, de le comprendre. C’est un don vraiment unique.”
Elvis Presley a enregistré plus de 700 titres. Baz Luhrmann a été confronté à des choix difficiles pour déterminer quelles chansons retenir. Il les a sélectionnées en fonction non pas de leur notoriété mais de leur capacité à accompagner le récit. “Que je m’attelle à une œuvre classique comme Roméo et Juliette ou Gatsby le magnifique, ou à un chanteur légendaire comme Elvis, je m’attache toujours non pas à décrypter la nature de mon sujet, mais la manière dont le public de l’époque le percevait,” remarque le réalisateur. “Par exemple, lorsque Big Mama Thornton chante You ain’t nothin’ but a hound dog, c’est l’histoire d’une femme qui dit à un type infidèle et malhonnête de ‘se barrer’, du jargon de l’époque. En contrebalançant sa chanson avec un air de rap de Doja Cat, on actualise la portée de ce titre pour un public plus jeune et contemporain.”
“Autre exemple : lorsque Elvis se produit, live, pour la première fois au Louisiana Hayride,” renchérit le réalisateur. “Austin chante Baby Let’s Play House et on respecte le style de l’époque de manière assez fidèle. Mais pour souligner ce que cela représentait pour les jeunes spectateurs de l’époque – cette force, cette énergie qui les galvanisait –, on a utilisé un ‘shred’ à la guitare grâce à Gary Clark Jr [chanteur et guitariste qui joue le musicien et chanteur de blues Arthur Crudup dans Elvis, ndlr]. J’ai eu recours à cette technique tout au long du film. J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec de jeunes artistes prometteurs et de grandes légendes.”
“Elvis Presley a travaillé en étroite collaboration avec des musiciens noirs, de blues ou de gospel qui ont été déterminants dans son parcours artistique,” précise Nelson George. L’historien, auteur et critique musical a secondé la production dans sa phase de recherche sur les rapports entre Elvis Presley et les Afro-Américains de Memphis et de Tupelo. “En outre, les artistes [qui les campent à l’écran ] ont été très convaincants dans leur interprétation de plusieurs très grands chanteurs et musiciens du XXème siècle.”
Tenant à réunir de grands noms de la musique et de nouveaux talents par souci d’authenticité, Baz Luhrmann a engagé des stars actuelles pour incarner plusieurs personnages majeurs du film : Kelvin Harrison Jr dans le rôle de B.B. King ; Shonka Dukureh dans celui de Big Mama Thornton ; Yola dans celui de Sœur Rosetta Tharpe ; Alton Mason dans celui de Little Richard (avec la voix de Les Greene); et Gary Clark Jr. dans celui d’Arthur “Big Boy” Crudup. Shannon Sanders et son gospel – Lenesha Randolph et Jordan Holland – ont campé des chanteurs pentecôtistes. Tous se sont engagés dans l’aventure très en amont, collaborant avec le réalisateur entre Nashville et l’Australie.
Une fois ces artistes de gospel réunis, ils ont notamment enregistré une session , fin 2019, dans une petite église rurale, utilisant d’authentiques micros des années 40 et 50. Ces enregistrements ont constitué la matrice de la séquence pentecôtiste du film. “J’ai été surprise de découvrir, quand on m’a appelée pour faire mon enregistrement en studio, que le film n’était pas tourné,” sourit Yola. “Parce que, le plus souvent, on s’occupe de la musique une fois le film terminé. Pour Baz, à partir du moment où il réalisait un film sur Elvis, il lui semblait impossible de ne pas laisser la musique inspirer la mise en scène.”
Crédit photos : © Warner Bros. Pictures